Querelle des musées : autour de l'exposition « Picasso et les maîtres »
Un article du ''Monde'' attire l'attention sur les problèmes d'équilibre entre les grands musées (essentiellement parisiens), les petits musées et la Réunion des musées nationaux (RMN), agence chargée de coordonner l'action des uns et des autres.
Résumé de l'affaire
Alors que les expositions d'envergure sont généralement déficitaire, l'exposition « Picasso et les maîtres », au Grand Palais et opérée par la RMN, promet de faire un coquet bénéfice (l'article parle d'un million d'euros). Bénéfice que se disputent la RMN, le Louvre, le Musée d'Orsay et le Musée Picasso. La première est organisatrice, mais les seconds ont fourni œuvres et compétences scientifique.
En quoi est-ce intéressant ? En ce que ce conflit illustre le conflit d'intérêt entre les grands établissements fonctionnant dans un cadre de concurrence muséale internationale, une RMN en quête de légitimité, et la kyrielle de petits musées locaux, qui crient famine.
Une lecture utile
Première chose, faire un détour pour comprendre les fondamentaux de l'économie des musées. Ce détour montre comment la querelle autour de ce million d'euros illustre les problèmes qui naissent dès qu'on essaye d'utiliser un seul outil pour remplir une multitude d'objectifs. En l'occurrence, les musées ont à la fois des fonctions scientifiques (étudier les collections), patrimoniales (conserver) et pédagogiques qui font le cœur de leurs fonctions, mais aussi des fonctions d'attraction touristique, et pour certains procèdent de volontés d'aménagement du territoire ou électorales.
C'est beaucoup à supporter pour des structures généralement dotées de très peu d'autonomie (à commencer par la possibilité de vendre tout ou partie de leurs collections) et de moyens (il est séduisant d'être l'élu qui inaugure un musée, beaucoup moins gratifiant de lui consacrer les ressources nécessaires à son fonctionnement). Et de fait, de très nombreux musées survivent à peine, et d'autant moins bien que les attentes du public sont à la hauteur de la notoriété donnée aux pièces maîtresses des plus grandes collections mondiales.
Autant dire, en fait, que la querelle autour de ce million n'est qu'une tempête dans un verre d'eau au regard des difficultés posées par l'organisation des musées en France.
PS : Désolé pour le billet rapide, destiné essentiellement à rappeler l'existence de l'article Wikipédia éclairant sur le sujet. Je travaille en ce moment, entre deux agapes, sur un projet qui me prend beaucoup de temps. J'espère que vous avez passé un joyeux Noël, et vous souhaite une bonne fin d'année.
Publié le samedi, décembre 27 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mardi, décembre 30 2008
17:12
Oui, votre billet - intéressant, comme toujours - sera en effet peut-être perçu comme un peu "rapide", sauf si l'on a pris le temps de lire une bonne partie de l'article sur Wikipédia ! ;-) À ce sujet, à relire son sommaire, l'article (le vôtre, je présume) est basé en assez grande partie sur le chapitre de Frey et Meier du Handbook de Ginsburgh et Throsby (en ligne). J'aime bien ce chapitre (clarté, analyse clairement économique, sujets concrets traités (dont "deaccessioning" et pratiques de tarification), etc.), en particulier ses éléments d'"économie institutionnelle" qui apportent des éléments clairement complémentaires à l'analyse "néoclassique" du "comportement" des musées. Petit bémol pour moi pour ce chapitre de Frey et Meier, si je peux me permettre : je trouve que le lien entre externalités positives de consommation et demande sociale (ou demande de non-marché) pas très très clair. J'aurais aimé que le lien des unes vers l'autre soit plus explicité. En même temps, le chapitre s'adressant, je suppose, à des économistes de formation, les auteurs ont peut-être considéré que cela était inutile...?/
L'article du Monde rappelle peut-être tout simplement à ses lecteurs que, même pour l'art et la culture, nous vivons dans un monde de ressources rares et de coûts d'opportunité (face ici, en effet, à une diversité d'objectifs visés pour les musées mais cela resterait aussi vrai pour un seul objectif visé). À ce sujet, je me souviens d'un bout de phrase d'Alan Peacock, reprenant Milton Friedman, expliquant qu'être conseiller économique du "gouvernement" en matière culturelle implique d'expliquer quotidiennement des concepts d'économie de premier cycle à ses collègues. Peacock précisait qu'il s'agissait pour lui de convaincre des collègues, ne voulant pas le reconnaître mais conscients de sa véracité, que l'aide publique aux activités culturelles implique un coût d'opportunité.
Sur les questions culturelles, auriez-vous lu, le lendemain dans le même quotidien, cette interview d'un ancien ministre de Culture ? Pas inintéressant.
Bonne fin d'année à vous aussi et mes remerciements pour vos billets 2008 en économie culturelle !
— Moggiosamedi, janvier 3 2009
16:30
Je profite de ce commentaire pour souhaiter une bonne année à tous mes lecteurs.
Comme les notes de l'article l'indiquent, trois sources ont essentiellement été utilisées pour l'article Wikipédia : le chapitre du Handbook que vous mentionnez, Creative Industries de Caves, et Économie de la culture de F. Benhamou. Concernant le chapitre du Handbook, il y a effectivement un peu de handwaving sur le lien entre externalités et demande sociale. C'est manifestement un grand sujet d'embarras dès qu'il s'agit de consommations culturelles. On se doute bien qu'il y a des externalités positives, mais elles sont tellement diffuses (ce qui ne veut pas dire qu'elles sont de faible ampleur) qu'il est difficile de mettre le doigt dessus. Encore plus si on s'interdit de faire des jugements de valeur sur la manière dont la culture peut influencer les comportements individuels
Merci de m'avoir signalé l'interview. Je me demande à quel point ce qu'il dit (en reprenant des éléments connus : saupoudrage des aides, manque de clarté et de volonté de faire des choix, trop grande proximité avec les agents concernés) est audible tant au sein des structures publiques s'occupant d'affaires culturelles (pas que le Ministère de la Culture, donc), que parmi les acteurs culturels eux-mêmes. N.B. : le 03/01/2009, l'interview est encore accessible sans abonnement.
Bonne année 2009 à tous !
— Mathieu P.lundi, janvier 5 2009
12:50
Pour apporter un élément de réponse à votre interrogation concernant l'interview de l'ancien ministre, ici , une réaction, toujours dans le même quotidien, aux réponses du ministre dans l'interview, réaction qui provient d'un membre du Comité d'histoire directement attaché au cabinet ministériel.
— MoggioPour préciser mon commentaire précédent, Alan Peacock écrit, dans son article de cet ouvrage publié fin 2003 (books.emeraldinsight.com/...) à la fin de ses remarques conclusives : "As Milton Friedman used to say, being a government economic adviser entails teaching Economics I to intelligent people. One can add in the case of culture it is a matter of trying to convince intelligent and sceptical colleagues, reluctant to accept though well aware it is true, that government support for cultural activities involves an opportunity cost."
Meilleurs vux pour 2009 !
lundi, janvier 5 2009
14:53
Effectivement, la réponse est claire : une incapacité étonnante à entendre ce qui dans le discours d'Aillagon pourrait servir à remettre en question les dysfonctionnements actuels. Par exemple le fait que la présence de lieux culturels dans de nombreuses petites villes ne dit à peu près rien de ce qui s'y passe (le plus souvent pas grand'chose, faute de moyens), ou encore la trop grande consanguinité entre le régulateur et le régulé, qui est sans commune mesure avec ce qui existe dans d'autres Ministères. J'ai été également frappé par la description que ce commentaire donne d'un bon ministre de la culture : c'est quelqu'un qui ramène de l'argent. Comme si le livre de Benhamou avait été un coup d'épée dans l'eau.
— Mathieu P.lundi, janvier 5 2009
17:34
D'accord avec vous sur toutes vos remarques ! J'ajouterais seulement à vos deux parenthèses qu'il peut aussi ne pas se passer "grand'chose" dans certains "lieux culturels de nombreuses petites villes" simplement parce que ce qui y est proposé intéresse peu de personnes, notamment peu de personnes parmi celles habitant dans ces villes.
— MoggioConcernant le livre de Françoise Benhamou (celui sur les "dérèglements de l'exception culturelle", je présume), il n'a peut-être pas eu la médiatisation qu'il aurait mérité...?