Pourquoi s'intéresser au système des intermittents ? Il ne concerne pourtant que 100 000 personnes, ce qui est peu. En revanche, il est en déficit à hauteur d'un milliard d'euros, qui sont puisés dans le régime général de l'assurance-chômage. Donc oui, il y a un problème dès lors qu'on considère qu'il s'agit de fait d'une subvention au secteur culturel, subvention dont on ne sait pas trop ni à qui elle profite, ni ou elle va.

Les bases

Pour bénéficier du régime des intermittents du spectacle, il faut pouvoir justifier d'au moins 507 heures travaillées au cours des dix derniers mois, et cotiser spécifiquement à ce régime, qui a un niveau de prélèvements plus élevés (soit dit en passant, travailler moins de 507 heures ne dispense pas de cotisations les aspirants à ce statut). Moyennant quoi, il est possible de disposer d'une indemnisation plus longue durant les périodes de chômage. En pratique, ce régime couvre à la fois les artistes et les techniciens du spectacle.

Le problème

Inutile de refaire ici ce qui a été fait, en mieux, ailleurs : les pages 73 à 87 du livre de F. Benhamou, Les Dérèglements de l'exception culturelle couvrent bien le sujet. Rappelons l'essentiel : une des raisons majeure du déficit du régime des intermittents du spectacle est la sous-déclaration des heures travaillées, permettant aux commanditaires de faire financer par l'assurance-chômage tout ou partie du temps de répétition et de mise en place d'un spectacle. Ainsi, de nombreux intermittents (en particulier du côté des techniciens) travaillent à temps complet (et souvent beaucoup plus, les amplitudes horaires étant très importantes), mais sont embauché sur des contrats d'intermittence renouvelés régulièrement. En fait, le régime des intermittents a tout de la mauvaise subvention :

  • Il est mal ciblé, concernant des individus dont les rythmes de travail et les situations sont très différentes (artistes allant de projet en projet et techniciens à plein temps sur un même plateau) ;
  • Il fournit les mauvaises incitations : d'une part, il encourage les commanditaires à renouveler des contrats d'intermittence plutôt que de signer des contrats de long terme (puisque les intermittents acceptent de travailler pendant une période où ils sont censés être au chômage), il encourage de nombreux jeunes à entrer dans la carrière artistique, qui apparaît comme plus protégée des aléas qu'elle ne l'est vraiment, et enfin incitent ceux qui en bénéficient à des comportements opportunistes, visant juste le nombre d'heures suffisant pour avoir droit aux indemnisations ;
  • Il a des conséquences régressives, d'une part envers les artistes ayant peu d'engagements (qui cotisent sans bénéficier du dispositifs) et d'autre part envers les contributeurs nets, les salariés du privé, qui abondent les caisses d'assurance-chômage qui comblent le déficit du régime des intermittents ;
  • Il encourage la surproduction de spectacles en abaissant le seuil de rentabilité et en limitant le risque encouru en cas de faible succès, et parmi les spectacles produits, le nombre de représentations est le plus souvent très insuffisant.

Tout cela est évidemment connu, même si les débats (voir la pauvreté des commentaires de l'article du Monde) oppose souvent des arguments caricaturaux, artistes accusés de fainéantise d'une part contre salariés accusés de poujadisme et d'anti-intellectualisme. Le fait est qu'une grande part de la production du spectacle, du cinéma et de l'audiovisuel repose sur ce système, et que sa fin aurait des conséquences difficilement prévisibles. Ce qui ne signifie pas, au contraire, qu'il ne faille pas le réformer.

Réformer le régime de l'intermittence ?

La réticence de tous les agents du secteurs, artistes comme commanditaires, à toute réforme a une raison évidente : si le régime était remis à l'équilibre, on voit mal quelle subvention viendrait remplacer le milliard d'euros actuellement versé au secteur via le régime de l'intermittence. Le meilleur moyen de défendre cette subvention consiste alors à refuser de la voir, et surtout de la faire voir, comme telle.

Françoise Benhamou envisage un certain nombre de réformes. Dans l'audiovisuel (qui, bien que contributeur net, abuse amplement du régime), forcer une requalification massive des contrats sur la base des pratiques réellement observées. On imagine bien qu'en ces temps de baisse des recettes, des dents vont grincer. Beaucoup de grandes institutions culturelles sont dans le même cas. Pour certaines d'entre elles, leur existence même est conditionnée à l'existence de ce régime, qui sert de palliatif à des dotations chroniquement en-dessous des besoins. Pour elles, le retour à la réalité pourrait être très rude, et ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'aménagement culturel du territoire, indépendamment des volontés des élus locaux d'inaugurer des lieux culturels promis au sous-financement. Il faudra sans doute aussi circonscrire plus nettement l'aire du culturel : est-il légitime qu'EuroDisney et le Tour de France s'appuient massivement sur le régime des intermittents ? L'exercice est très difficile, mais permet de mettre en évidence qu'en fait, si de nombreux salariés bénéficient du régime alors que leur rapport avec la culture est ténu, un très grand nombre d'artistes produisent et crée sans passer sous les fourches caudines de ce régime.

Françoise Benhamou relève un certain nombre d'expériences ou de suggestions. La région Pays de la Loire conditionne ses subventions à la présentation d'un plan de diffusion réaliste (permettant d'évaluer l'impact culturel et de s'assurer qu'il y aura plus de deux ou trois représentations) et d'un plan de financement incluant le coût de l'ensemble des représentation (ce qui permet de faire la chasse au travail dissimulé en chômage). Elle suggère aussi un conditionnement des aides aux politiques d'emploi des producteurs, ceux ne créant pas d'emplois stables voyant leurs aides se tarir. D'autres pays fournissent aussi des idées : sélection dès le système scolaire en Russie, structures de troupes en Allemagne, qui permettent de donner un cadre à des contrats de longs terme, cartes syndicales dans les pays anglo-saxons, qui dessinent plus nettement qu'en France une limite entre occasionnels et professionnels.

Rien de tout cela n'est facile, et la réforme de ce régime se fera nécessairement dans la douleur. Les artistes doivent cependant être conscients qu'il n'est pas dans leur intérêt de faire traîner les choses. Ils gaspillent ainsi un capital de sympathie dans l'opinion déjà sévèrement écorné (surtout en ces temps de rigueur), et risquent de voir les plus gros intervenants (audiovisuel, grandes institutions culturelles) négocier un accord qui leur permettrait de tirer leur épingle du jeu au détriment de ceux que ce système était, initialement, censé protéger.