On va reparler des intermittents
Ou plutôt, on en reparle déjà dans cet article du Monde daté du 2 janvier 2009. En bref, la réforme de 2003 n'a rien réglé (ce qu'on savait déjà à ce moment-là), et les différentes parties prenantes ne sont pas arrivées à trouver autre chose avant l'expiration de la période transitoire, qui a été prolongé jusqu'au 16 février.
Pourquoi s'intéresser au système des intermittents ? Il ne concerne pourtant que 100 000 personnes, ce qui est peu. En revanche, il est en déficit à hauteur d'un milliard d'euros, qui sont puisés dans le régime général de l'assurance-chômage. Donc oui, il y a un problème dès lors qu'on considère qu'il s'agit de fait d'une subvention au secteur culturel, subvention dont on ne sait pas trop ni à qui elle profite, ni ou elle va.
Les bases
Pour bénéficier du régime des intermittents du spectacle, il faut pouvoir justifier d'au moins 507 heures travaillées au cours des dix derniers mois, et cotiser spécifiquement à ce régime, qui a un niveau de prélèvements plus élevés (soit dit en passant, travailler moins de 507 heures ne dispense pas de cotisations les aspirants à ce statut). Moyennant quoi, il est possible de disposer d'une indemnisation plus longue durant les périodes de chômage. En pratique, ce régime couvre à la fois les artistes et les techniciens du spectacle.
Le problème
Inutile de refaire ici ce qui a été fait, en mieux, ailleurs : les pages 73 à 87 du livre de F. Benhamou, Les Dérèglements de l'exception culturelle couvrent bien le sujet. Rappelons l'essentiel : une des raisons majeure du déficit du régime des intermittents du spectacle est la sous-déclaration des heures travaillées, permettant aux commanditaires de faire financer par l'assurance-chômage tout ou partie du temps de répétition et de mise en place d'un spectacle. Ainsi, de nombreux intermittents (en particulier du côté des techniciens) travaillent à temps complet (et souvent beaucoup plus, les amplitudes horaires étant très importantes), mais sont embauché sur des contrats d'intermittence renouvelés régulièrement. En fait, le régime des intermittents a tout de la mauvaise subvention :
- Il est mal ciblé, concernant des individus dont les rythmes de travail et les situations sont très différentes (artistes allant de projet en projet et techniciens à plein temps sur un même plateau) ;
- Il fournit les mauvaises incitations : d'une part, il encourage les commanditaires à renouveler des contrats d'intermittence plutôt que de signer des contrats de long terme (puisque les intermittents acceptent de travailler pendant une période où ils sont censés être au chômage), il encourage de nombreux jeunes à entrer dans la carrière artistique, qui apparaît comme plus protégée des aléas qu'elle ne l'est vraiment, et enfin incitent ceux qui en bénéficient à des comportements opportunistes, visant juste le nombre d'heures suffisant pour avoir droit aux indemnisations ;
- Il a des conséquences régressives, d'une part envers les artistes ayant peu d'engagements (qui cotisent sans bénéficier du dispositifs) et d'autre part envers les contributeurs nets, les salariés du privé, qui abondent les caisses d'assurance-chômage qui comblent le déficit du régime des intermittents ;
- Il encourage la surproduction de spectacles en abaissant le seuil de rentabilité et en limitant le risque encouru en cas de faible succès, et parmi les spectacles produits, le nombre de représentations est le plus souvent très insuffisant.
Tout cela est évidemment connu, même si les débats (voir la pauvreté des commentaires de l'article du Monde) oppose souvent des arguments caricaturaux, artistes accusés de fainéantise d'une part contre salariés accusés de poujadisme et d'anti-intellectualisme. Le fait est qu'une grande part de la production du spectacle, du cinéma et de l'audiovisuel repose sur ce système, et que sa fin aurait des conséquences difficilement prévisibles. Ce qui ne signifie pas, au contraire, qu'il ne faille pas le réformer.
Réformer le régime de l'intermittence ?
La réticence de tous les agents du secteurs, artistes comme commanditaires, à toute réforme a une raison évidente : si le régime était remis à l'équilibre, on voit mal quelle subvention viendrait remplacer le milliard d'euros actuellement versé au secteur via le régime de l'intermittence. Le meilleur moyen de défendre cette subvention consiste alors à refuser de la voir, et surtout de la faire voir, comme telle.
Françoise Benhamou envisage un certain nombre de réformes. Dans l'audiovisuel (qui, bien que contributeur net, abuse amplement du régime), forcer une requalification massive des contrats sur la base des pratiques réellement observées. On imagine bien qu'en ces temps de baisse des recettes, des dents vont grincer. Beaucoup de grandes institutions culturelles sont dans le même cas. Pour certaines d'entre elles, leur existence même est conditionnée à l'existence de ce régime, qui sert de palliatif à des dotations chroniquement en-dessous des besoins. Pour elles, le retour à la réalité pourrait être très rude, et ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'aménagement culturel du territoire, indépendamment des volontés des élus locaux d'inaugurer des lieux culturels promis au sous-financement. Il faudra sans doute aussi circonscrire plus nettement l'aire du culturel : est-il légitime qu'EuroDisney et le Tour de France s'appuient massivement sur le régime des intermittents ? L'exercice est très difficile, mais permet de mettre en évidence qu'en fait, si de nombreux salariés bénéficient du régime alors que leur rapport avec la culture est ténu, un très grand nombre d'artistes produisent et crée sans passer sous les fourches caudines de ce régime.
Françoise Benhamou relève un certain nombre d'expériences ou de suggestions. La région Pays de la Loire conditionne ses subventions à la présentation d'un plan de diffusion réaliste (permettant d'évaluer l'impact culturel et de s'assurer qu'il y aura plus de deux ou trois représentations) et d'un plan de financement incluant le coût de l'ensemble des représentation (ce qui permet de faire la chasse au travail dissimulé en chômage). Elle suggère aussi un conditionnement des aides aux politiques d'emploi des producteurs, ceux ne créant pas d'emplois stables voyant leurs aides se tarir. D'autres pays fournissent aussi des idées : sélection dès le système scolaire en Russie, structures de troupes en Allemagne, qui permettent de donner un cadre à des contrats de longs terme, cartes syndicales dans les pays anglo-saxons, qui dessinent plus nettement qu'en France une limite entre occasionnels et professionnels.
Rien de tout cela n'est facile, et la réforme de ce régime se fera nécessairement dans la douleur. Les artistes doivent cependant être conscients qu'il n'est pas dans leur intérêt de faire traîner les choses. Ils gaspillent ainsi un capital de sympathie dans l'opinion déjà sévèrement écorné (surtout en ces temps de rigueur), et risquent de voir les plus gros intervenants (audiovisuel, grandes institutions culturelles) négocier un accord qui leur permettrait de tirer leur épingle du jeu au détriment de ceux que ce système était, initialement, censé protéger.
Publié le dimanche, janvier 4 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mercredi, janvier 21 2009
02:28
Bonjour,
— PhilomonVous omettez je crois de préciser que les 507h en question (qui peuvent paraitre très peu si on les compare à un salarié du régime général) sont en fait des "heures de papier". Je m' explique : les journées entières passées par exemple a préparer au téléphone et par courriel la régie d un spectacle ne sont pas comptabilisées, n' entrent pas non plus en ligne de compte les heures de route. Un spectacle qui demande par exemple 6h00 de travail de préparation + 8h00 de route A/R+ 6h00 de travail technique dans une salle le jour du spectacle, soit au total 20h00 de travail, n' est officiellement considéré que comme 10h de travail !
C' est donc effectivement une subvention à la culture, car si l' on répercutait le paiement de ces heures de travail sur l' employeur, les prix des billets d' entrée pour un spectacle en seraient augmentés de façon très lourde, ce que bien évidemment personne ne souhaite.
Par ricochet, la crainte des acteurs du Spectacle est de rendre plus difficile les créations autres que commerciales et " mainstream". Une sorte de " Staracadémisation" forcée !
Vous avez compris par ailleurs le noeud du problème : certaines sociétés, surtout dans l audiovisuel. usent et abusent du système en dissimulant des emplois de permanents sous un "costume" d' intermittent ( "permittents"!...). Si réforme il doit y avoir, c' est sur ce point qu' elle devrait se concentrer. C' est d' ailleurs ce que la Coordination des Intermittents avait demandé en 2004 sans être écoutée. On a préféré fragiliser les intermittents du Spectacle Vivant, qui eux, dans leur immense majorité, ne travaillent pas à plein temps, ont des employeurs multiples, et sont "ultra-flexibles', ce qui il me semble, devrait être les 3 conditions pour bénéficier de ce statut.
Je ne sais pas si celà suffirait à combler le déficit, mais celà serait au moins le début de sérieuses économies, en plus d' aller vers plus de justice sociale.
Je ne parlerai pas ici de l' autre débat plus large qui est de savoir si la culture doit être "rentable", de même que l hôpital ou...l école ??
En espérant avoir apporté quelques éléments utiles à votre réflexion.
Philomon (Technicien du spectacle)
mercredi, janvier 21 2009
13:48
En tant qu'enseignant, je suis bien conscient que le temps passé devant le public (les étudiants dans mon cas) ne représente qu'une fraction du temps de travail consacré à l'enseignement. Ce n'est pas pour rien que la charge d'enseignement des professeurs agrégés (18 heures hebdomadaires) avait été calculée comme correspondant à une charge de travail totale de 42 heures pas semaines (à noter que ce calcul n'a jamais été revu malgré la baisse du temps de travail dans tous les autres domaines). Un problème dans le cas des intermittents est que ce genre de calcul n'existe pas : toutes les heures sont censées être déclarées, ce qu'elle ne sont pas. Ce pourrait d'ailleurs être une voie de réforme que d'assoir l'indemnisation et l'évaluation du temps sur le nombre d'heures de représentations, multipliées par un coefficient correspondant au type d'activité (on n'a pas besoin de tous les techniciens pour toutes les répétitions) et de l'importance des rôles).
Plus généralement, il y a un arbitrage à faire entre la largeur de la couverture et son efficacité. Dans le cas Allemand, la solidarité s'effectue sur la base restreinte de troupes, qui mutualisent en partie les gains de leurs membres. Le système est plus risqué qu'en France, puisque le nombre d'acteurs dans une troupe est faible, mais il est plus facile de faire la police et d'exclure (ou de faire contribuer plus) ceux qui abusent du système.
— Mathieu P.jeudi, octobre 21 2010
12:56
Par le site de la CGT spectacle, un article intéressant de l'économiste Bruno Coquet ('connais pas) pour la livraison de la revue Futuribles d'octobre 2010. C'est une petite bombe critique sur le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Son contenu n'est pas toujours nouveau mais une grande partie de ses conclusions semble - à première vue - difficilement contestable (je n'ai pas vérifié les chiffres toutefois). Notez que l'analyse du régime d'assurance chômage porte autant sur le côté offreurs de travail d'intermittent du spectacle (aléa moral) que sur le côté demandeurs de ce travail (antisélection) : http://www.fnsac-cgt.com/administra...
— Moggio