Le Comité des constructeurs français d'automobile gonfle ses chiffres
Ce matin, en lisant un journal gratuit (ce qui m'arrive rarement), je tombe sur cette statistique surprenante : un salarié français sur dix serait concerné directement ou indirectement par l'automobile, soit 2,5 millions de personnes. Cela naturellement à l'appui du plan d'aide aux constructeurs automobiles, qu'on ne se rappelle pas avoir proposé de payer plus d'impôts quand tout allait bien. Au crédit du journal, une source est indiquée : le Comité des constructeurs français d'automobiles. Je vais donc voir.
Après quelques hésitations, je tombe sur la bonne page : « impact économique ». J'ouvre le fichier, et je rigole. Jaune, façon New Beetle. Passe encore que les constructeurs comptent à leur actif les employés de leurs fournisseurs de matières premières. Naturellement, pas de note méthodologique sur l'établissement de ces chiffres, et une source complètement inexploitable. Dans un TD de L1 d'économie, cela vaudrait 05/20 à son auteur. Cela ne serait pas gênant si ces fournisseurs amont ne pesaient pas si lourd. En effet, il apparaît que l'industrie automobile proprement dite n'emploie que 275 000 personnes, à rapporter aux 430 000 attribués aux « matières premières et services ». Pour un peu, je soupçonnerait ce dernier chiffre d'incorporer l'intégralité des emplois du secteur pétrolier.
C'est en-dessous que cela devient plus amusant : parmi les activités liées à l'automobile, et donc dans les emplois seraient « indirectement » concernés, on trouve en effet 88 000 personnes travaillant dans l'assurance, l'expertise et le crédit (soit, mais on aimerait savoir d'où sort cette quote-part), et 13 000 dans le sport, la presse et l'édition. Évidemment : l'éditeur de livres sur les voitures anciennes est directement menacé par la baisse des ventes de voitures neuves, voyons.
Mais ce n'est rien, parce qu'avec tout cela, on en est à peine à 1,271 millions de gens. D'où sort le million restant ? Eh bien de la construction et de l'entretien des routes, des transports routiers, et aussi de la police (!), de la santé (!!), de l'enseignement (hors auto-écoles, déjà comptées !!!) et de l'administration.
Formellement, le vide de sens du terme « indirect » fait que ce calcul n'est pas faux. Il n'en reste pas moins qu'avancer ce chiffre quand on tend la main pour un plan de relance relève de l'imposture intellectuelle, tant il est douteux que plus du tiers des emplois ainsi décomptés soient menacés dans le cas d'un ralentissement de la demande de voitures neuves pendant un ou deux ans. Au contraire, la demande reçue par certains (équipementiers et réparateurs, qui à eux seuls représentent plus d'emplois que la construction automobile proprement dire) pourrait augmenter, des voitures plus anciennes demandant plus d'entretien.
Je sais que j'ai bien tort de perdre du temps à signaler ce genre d'âneries, mais dans le contexte, je trouve que les limites de la simple décence sont allègrement franchies.
Publié le mardi, décembre 16 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
mardi, décembre 16 2008
16:42
En matière d'automobile, les "les limites de la simple décence" sont fréquemment franchies...
— DCmardi, décembre 16 2008
20:06
Merci d'avoir consacre une partie de votre temps a verifier ces chiffres. Dans une democratie, cela s'appelle un comportement citoyen. Maintenant, esperons que votre voix sera efficacement relayee.
— Antoinemercredi, décembre 17 2008
14:23
merci de nous avoir éclairé sur ceci, on est tellement débordé par le train train quotidien qu'on croit tout ce qui se dit ou se publie.
— sueAu moins ça va nous permettre la prochaine fois de bien vérifier par nous-mêmes et demander conseil aux experts !
samedi, décembre 20 2008
18:10
Un sur dix, ça claque bien comme 99 francs autrefois ou 9,90 euros.
— jvvleeBizarrement on entend moins ce genre de propos concernant l'agriculture hum hum alors qu' avec un "indirectement" c'est quand même plus facile^^ et je suis sûre qu'on peut arriver à mieux qu'1 sur 10. Alors une petite rallonge d'impôts? ;)
D'autant que ça veut dire quoi? Si tu es une minorité, tu peux crever, c'est pas grave?
Merci en tous cas pour ta note.
mercredi, février 11 2009
17:35
voir beaucoup plus d'élément (qui vont dans le même sens) sur le site de l'OFCE science po :
— François S.10 % des emplois dans lautomobile : un chiffre trompeur
www.ofce.sciences-po.fr/c...
mercredi, février 18 2009
10:38
Bonjour,
— épistémè.Je tombe sur ce billet via econoclaste et en particulier votre billet sur Luc Besson. Travaillant dans le secteur concerné, je serai autant critique envers les chiffres annoncés que du commentaire que vous en faites.
En effet, l'absence de méthodologie disqualifie d'emblée le chiffre apporté. Mais, calculer l'impact économique de l'industrie automobile est loin d'être aisé. Je travaille actuellement dans une société de transport qui gère la logistique pour trois sous-traitants de PSA Rennes. PSA Rennes,au dernier CE, c'était environ 8000 personnnes sur le site. Ce chiffre est le premier point. Comment évaluer ensuite l'impact économique de ce site sur le bassin rennais ?
C'est là que les choses se compliquent. Dans l'hypothèse où le site ferme, c'est bien plus de 8000 personnes qui seraient concernées. On pense à tous les sous-traitants (et actuellement ça licencie sévère, je puis vous le dire). Mais pense t-on à toutes les activités annexes tel que restauration, blanchisserie, nettoyage industriel, etc. Ces activités sont-elles bien reliées à l'industrie automobile. PSA Rennes ferme, mon employeur ne peut pas me basculer facilement sur un autre dossier. Il en va de même pour les autres sociétés. Si certains salariés pourraient être reclassés, impossible de tous les recaser. Il faudrait pour se faire avoir de nouveaux contrats qui puissent remplacer l'ancien.
Tout cela pour dire qu'estimer l'impact économique de l'industrie automobile est chose difficile. Mais autant le chiffre de 2,5 millions avancé sans méthodologie n'est pas recevable en l'état, autant les critiques émises (la vôtre ou celle de l'OFCE dont le lien est donné dans un commentaire) ne valent guère mieux. Pour compter, il faut savoir qui dépend de quoi. Une personne qui travaille dans la restauration (sodexho par exemple) uniquement sur le contrat PSA doit être comptée comme appartenant au monde de l'automobile.
En conclusion, le chiffre de 2,5 millions, tout fantaisiste qu'il soit n'en reflète pas moins une réalité que beaucoup ignorent, sauf ceux qui travaillent dans le secteur concerné. Emettre une critique soit, mais quand derrière on a aucun élément de réponse, bof bof...
mercredi, février 18 2009
11:31
Je ne nie pas que l'exercice soit difficile. Par exemple, les choses que vous présentez comme « impossibles » en termes de reclassement ne le sont qu'à court terme. Si on adopte une vision nationale des emplois liés à l'automobile, il faut aussi avoir une vision nationale et pas seulement locale des possibilités de reclassement, surtout quand on parle de groupe de l'envergure de Sodexho.
Le fond du problèmen en dehors de la malhonnêteté évidente de l'usage qui a été fait du chiffre par le secteur automobile, est un sophisme de composition qui consiste à faire croire que ce qui était valable à l'échelon local (la fermeture de certaines usines est une catactrophe pour les villes concernées, tout comme dans un autre registre les fermetures de garnisons militaires) était également vrai au niveau national. Et je crains fort que dans votre dernier paragraphe, vous ne commetiez le même sophisme.
Enfin, prenons une perspective d'un peu plus long terme : est-il désirable de conserver ces emplois dans le secteur automobile ? Ce n'est pas clair. Il est possible que l'automobile soit une industrie qui commence sinon son déclin, du moins une mutation profonde, fondée qu'elle est sur une énergie abondante et facilement transportable ainsi que sur un urbanisme étalé. C'est là le problème récurrent du soutien sectoriel. Ce ne sont pas les secteurs économiques qu'il s'agit de soutenir, mais les personnes qui travaillent dedans, en leur donnant éventuellement la possibilité de changer de secteur. Le corporate welfare continue manifestement à faire des dégâts.
— Mathieu P.mercredi, février 18 2009
21:21
Sur la question du reclassement, bien entendu il fallait comprendre à court terme. De même, on ne va pas s'étaler sur la question d'un reclassement au niveau national. Pour faire bouger les gens, il faut qu'ils y trouvent leur compte, une incitation suffisante. En l'état, c'est loin d'être le cas.
— épistémè.Mais peu importe, là n'était pas le sens de ma critique. Vous critiquez un chiffre du fait qu'on ne sait pas comment il est obtenu. Rien à redire, c'est la base de toute analyse sérieuse d'un sujet. Mais, comment estimer l'impact économique d'un secteur comme celui de l'automobile ? L'étude de l'OFCE est certes intéressante par exemple et juste sur la distinction entre stock et flux, mais le chiffre obtenu par le multiplicateur 2,88 est vraiment amusant et assez loufoque. Il serait marrant de savoir d'où sort ce multiplicateur (d'Eurostat certes, mais encore), mais je crains que sa justesse soit soumise à caution. Outre le fait que la masse salariale dans le secteur de la production subit de grandes variations saisonnières (gonflement pour le lancement d'un nouveau modèle, rétrécissement avec un modèle en fin de vie), le fonctionnement est également fonction du secteur envisagé : qu'est-ce qui est sous-traité et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Renault par exemple tend vers une réduction de la sous-traitance, du moins pour son site de Sandouville.
Bref, l'estimation à partir d'un indice général sur une situation qui s'apparente à une collection de cas singuliers me paraît pour le moins peu fiable. Voilà grosso-modo pour la critique.
Sur votre dernier paragraphe, oui là nous sommes sur la même longueur d'onde.
lundi, mars 2 2009
21:45
J'avais déjà compté sans toutes ces explications :
— georges- 10 % dans l'automobile
- 10 % dans le batiment
- 10 % dans la grande distribution
- 10 % dans l'hotellerie-restauration
- 10 % dans les ervices
- 10 % dans le petit commerce
- 10 % dans l'artisananat
- 10 % dans la culture et les loisirs
- 25 % dans la fonction publique
et tout le reste...
Il y a longtemps que les statistiques donnent une idée et cachent l'essentiel : ce qu'on veut démontrer sans le montrer vraiment.
mardi, mars 3 2009
10:12
C'est une vision personnelle, mais l'économie est un grand réseau de coopération : nous travaillons tous les uns pour les autres. Difficile de calculer les impacts des uns sur les autres quand on passe du cercle vertueux au cercle vicieux...
— MHjeudi, juillet 12 2012
11:12
Si l'automobile décline, c'est que les gens utilisent de plus vieilles automobiles, se déplacent moins et/ou utilisent plus les transports en commun.
La mise en place de ces derniers, leur fonctionnement, leur entretien représentent également des emplois. Sont-ils décomptés?
— DM