Notes d'un économiste
2021-05-21T15:18:09+02:00
Mathieu Perona
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Dotclear
La plus grande des illusions
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2020-11-05T21:06:00+01:00
2020-11-05T21:09:29+01:00
Mathieu P.
General
sciences comportementales
Taxation
<p><strong>En train de lire <em>Under the Influence</em> de Robert Frank. Il appelle <em>mother of all cognitive illusions</em> l'idée qu'un niveau de taxes plus élevés pour les plus riches les empêcherait d'acheter les biens et services qu'ils désirent. L'idée n'est en fait pas neuve (c'est un euphémisme : elle est au moins aussi vieille que la querelle du luxe), mais la formulation qu'il en donne me paraît assez intéressante pour lui consacrer un billet.</strong></p> <p>Repartons de l'énoncé (traduit approximativement<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/11/05/La-plus-grandes-des-illusions#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>) : « Les plus aisés pensent que des taxes plus élevées sur leurs revenus limiteraient leur capacité à acheter les biens qu'ils désirent. Cette idée semble évidente, elle est pourtant fausse. »</p>
<blockquote><p>Les plus aisés pensent que des taxes plus élevées sur leurs revenus limiteraient leur capacité à acheter les biens qu'ils désirent. Cette idée semble évidente, elle est pourtant fausse.</p></blockquote>
<p>Sans refaire toute la démonstration de l'ouvrage, l'argument est le suivant (je le reformule dans le langage de l'économie du bien-être) : au-delà d'un certain niveau de revenu, nous disposons de tout le confort nécessaire à une vie décente. À partir de ce point, le poids des biens qui nous servent essentiellement à signaler notre position ou notre réussite sociale augmente rapidement dans notre consommation : le SUV récent, comme celui des collègues, la grande maison ou l'appartement avec vue, la montre, le smartphone haut de gamme, bref, tout ce qui relève de la consommation ostentatoire. Or, cette consommation est essentiellement un jeu à somme nulle : ce qui nous intéresse n'est pas alors d'avoir une grosse voiture, mais d'en avoir une <em>plus grosse</em> que le voisin ou le collègue. Tout le monde achète ainsi une voiture plus grosse, et on revient à la case départ. Dans le domaine de l'économie du bien-être, on utilise l'image d'un tapis roulant hédonique pour rendre compte de cet effet de comparaison<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/11/05/La-plus-grandes-des-illusions#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.</p>
<p>Évidemment, cela crée un problème d'action collective, fondé à l'échelle individuelle sur un dilemme du prisonnier. Les routes seraient plus sûres, l'air moins pollué et nous aurions plus d'argent disponible si nous achetions tous des voitures plus petites. Sauf que la personne qui le fait toute seule se retrouve certes avec un peu plus d'argent, mais moins en sécurité du fait de la différence de masse entre son véhicule et celui des autres, et autant de pollution. Souvent, le raisonnement s'arrête là : toute une partie de la population serait heureuse d'une vie un peu plus sobre, mais personne n'a intérêt à commencer.</p>
<p>L'originalité, à mes yeux, de l'argument de R. Frank est de remarquer qu'une taxe bien conçue agit comme une autocontrainte sur ces consommations positionnelles : mes pairs étant touchés comme moi, leur niveau de consommation est réduit comme le mien, ce qui laisse mon rang parmi eux inchangés. Il y a juste moins d'argent dans le système pour faire gonfler les prix des biens rares (immobilier de centre-ville, au hasard), et plus pour financer des biens publics dont tout le monde profite.</p>
<p>Si on reprend l'énoncé de départ, l'erreur est de croire que dans « Les plus aisés pensent que des taxes plus élevées sur leurs revenus limiteraient leur capacité à acheter les biens qu'ils désirent. », seuls les revenus bougent avec la taxe. L'évolution des revenus relatifs entraîne une évolution parallèle des prix relatifs, qui ramène les personnes concernées au même point en termes de pouvoir d'achat.</p>
<p>Ce raisonnement appelle assez logiquement un ensemble de mesures familières, comme un impôt sur le revenu fortement progressif, une taxe carbone élevée assortie d'une redistribution vers les bas revenus (les hauts revenus consomment nettement plus de biens intensifs en CO2, à commencer par les voyages en avion) ou encore une taxe au poids des véhicules. Rien de fondamentalement nouveau, en somme, si ce n'est un autre constat comportemental : si notre aversion à la perte est forte, nous nous habituons en fait assez vite à une perte de revenu, surtout si celle-ci n'est pas isolée mais touche également nos pairs. L'idée est donc que ces mesures ne sont pas <em>fondamentalement</em> impopulaires, elles ne le sont que de manière transitoires, et jamais autant que juste avant leur mise en œuvre, quand la préférence pour le présent et l'aversion à la perte sont les plus fortes.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/11/05/La-plus-grandes-des-illusions#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Celles et ceux qui veulent le lire sous la plume de l'auteur peuvent aussi lire <a href="https://behavioralscientist.org/behavioral-economics-robert-frank-taxes-mother-of-all-cognitive-illusions/" hreflang="en" title="ce billet"></a>.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/11/05/La-plus-grandes-des-illusions#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] L'ouvrage <em>The Inner Level</em> documente extensivement les dégâts psychologiques et sociaux de cette course au statut.</p></div>
Les bizarreries de l'achat de billets
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2020-06-19T16:04:00+02:00
2020-08-25T13:26:52+02:00
Mathieu P.
Réactions
<p>Il m'est arrivé l'autre jour une aventure <del>intéressante</del> en achetant des billets sur l'agence de voyages de la SNCF. Je voulais réserver un trajet pour moi et ma famille cet été. J'avais déjà fait la recherche sur Trainline, mais je me suis trouvé obligé de passer par l'agence de la SNCF pour utiliser des bons d'achat émis par la SNCF (et non son agence de voyage, notez l'inégalité de traitement) suite aux grèves de décembre 2019.</p>
<p><strong>Étape 3</strong> Je demande, en étant identifié avec mon compte, le trajet repéré. Jusque-là, tout va bien, il sort au même prix que sur Trainline</p>
<p><strong>Étape 2</strong> Je reviens en arrière pour indiquer la référence du bon d'achat (les instructions de la SNCF précisant bien de ne le renseigner que quand on est certain de vouloir acheter, et il faut absolument le renseigner au tout début de la procédure : oui, c'est un <em>sludge</em>). Je reviens au trajet. Paf, +17€, le trajet augmente de plus de 10 %. Vérification faite, indiquer le code (pour moi) fait mystérieusement que ma femme ne bénéficie plus du tarif Accompagnant Carte Avantage, et donc a un billet plus cher. Étrange, puisque ces billets ne sont pas soumis à contingentement.</p>
<p><strong>Étape 3</strong> Là, je me rends compte que j'ai oublié d'indiquer le numéro de la carte de fidélité de ma femme. Je reviens en arrière (avec les boutons de l'interface, hein, pas ceux du navigateur, je ne suis pas un barbare) pour le renseigner. Retour aux trajets, 10 € viennent s'ajouter aux 17€.</p>
<p>Là, je trouve que c'est vraiment suspect. Je laisse donc tout en l'état, et j'ouvre une fenêtre de navigation privée, rentre tous les renseignements. J'obtiens le tarif initial repéré sur Trainline et peut utiliser une part de mon bon d'achat (pas tout, hein : seulement sur l'aller, parce que prendre en compte le fait qu'il y a un retour éligible, c'est trop difficile).</p>
<p>À ce point, deux remarques. La première, c'est que l'interface de oui.sncf me servira désormais d'exemple de <em>sludge</em> ou de design adversarial : une interface utilisateur conçue de telle manière qu'il soit compliqué et coûteux de sélectionner l'option la plus favorable – la non prise en compte du bon d'achat en est un exemple. La seconde, c'est que vu de l'extérieur, cela ressemble furieusement à du profilage, très maladroit qui plus est. Je ne peux cependant pas exclure la simple incompétence, avec des bugs dans l'algorithme de choix des tarifs – ici, proposer un billet Abonnement fréquence là où l'Accompagnant carte Avantages est plus intéressant. En tout état de cause, il est clair que j'éviterai autant faire se peut de passer par cette agence de voyages à l'avenir.</p>
<p>En regardant un peu ce qui se disait sur le sujet, j'ai vu que la défense habituelle de la SNCF est de dire : « oui, mais quand vous regardez un trajet, nous réservons virtuellement les places pour un certain temps. Donc i vous revenez en arrière puis regardez le même trajet, le prix augmente puisque le nombre de places disponibles diminue. ». Cela semble logique, mais quand on y réfléchit à deux fois, c'est absurde. Si le fait de regarder un trajet réserve bien virtuellement des places, revenir en arrière devrait les libérer. J'imagine que je ne suis pas le premier à remarquer cela, et je serais curieux de voir un diagnostic réalisé par des experts sur le comportement du moteur de prix.</p>
Épidémie et recherche académique
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2020-05-12T10:00:00+02:00
2020-05-12T10:00:00+02:00
Mathieu P.
Recherche
Covid-19
Fonctionnement de la recherche
<p><strong>Dès qu'il a été évident que l'épidémie de Covid-19 serait un événement majeur, de très nombreux projets de recherche se sont mis en place, encouragés par un appel dédié de l'ANR. Au 11 mai 2020, une recension fait état de pratiquement une centaine de projets rien qu'en sciences humaines et sociales. Parallèlement, j'ai vu passer un grand nombre de questionnaires en ligne examinant de multiples aspects de nos réactions à la situation.</strong>
<strong>À mes yeux, l'épidémie a ainsi joué le rôle d'une loupe sur le fonctionnement actuel de la recherche en France, tant sur ses forces que sur certains de ses travers.</strong></p> <h3>Que fleurissent mille études</h3>
<p>Dire que l'épidémie est une situation d'urgence revient à enfonçer une porte ouverte. Je le fais pourtant, et sans ménagement. Il y a bien sûr l'urgence de disposer de faits et de chiffres pour informer la décision publique. Dans une telle incertitude, il faut de l'information, très rapidement, afin de fixer les priorités. Il y a aussi, et c'est moins évident hors du domaine, une urgence à collecter les données. Le confinement a-t-il entraîné des changements de comportement, par exemple dans la répartition de la charge mentale ou des tâches domestiques ? Si on attend tant soit peu, il sera difficile de le savoir : les souvenirs rétrospectifs sont peu fiables. Cela explique le lancement très rapide d'enquêtes en ligne qui, si elles ne peuvent par construction pas être représentatives, ont le mérite d'enregistrer un état d'une partie de la population avant que l'oubli ou la ré-écriture <em>a posteriori</em> ne vienne biaiser encore plus l'information.</p>
<p>Il fallait donc lancer très vite des questionnaires et sondages, et le bouleversement était tel que le nombre de questions qu'on pouvait - devait - légitimement poser était immense. Il l'est d'ailleurs encore en ce premier jour de déconfinement progressif. De fait, je relève l'immense réactivité des très nombreuses équipes - on parle en centaines de projets - qui ont réussi en quelques jours, semaines tout au plus, à adapter leurs questionnements de recherche aux nouveaux enjeux, à concevoir et mettre en ligne les questionnaires, et pour certaines à fournir les premiers résultats pour informer l'action publique. Pour reprendre un terme à la mode, la recherche française en sciences sociales a fait là preuve d'une extrême agilité.</p>
<h3>De la multiplication à la fatigue</h3>
<p>Le revers de cette réaction très rapide a été, de mon point de vue, un très faible niveau de coordination. Moi-même partie prenante<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/05/11/%C3%89pid%C3%A9mie-et-recherche-acad%C3%A9mique#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, je me suis astreint à remplir les questionnaires que je voyais passer dans mon fil Tiwtter, pour autant que l'équipe de recherche semble un minimum crédible. Je n'ai pu échapper à la sensation de répondre de nombreuses fois aux mêmes questions - qui sont d'ailleurs aussi celles que nous avons posées dans nos propres enquêtes. Des questions logiques, donc, mais dont les réponses vont être éparpillées dans un grand nombre d'enquêtes et d'études, impossibles à rassembler en pratique en un méta-échantillon. Pour ne donner qu'une raison : mes propres réponses vont figurer dans au moins une dizaine de ces enquêtes, sans qu'il soit possible, du fait de l'anonymisation, de repérer les doublons. Je me demande aussi si la multiplication de ces enquêtes n'a pas engendré une certaine fatigue, au détriment de celles arrivées plus tard dans la période de confinement.</p>
<h3>Et maintenant ?</h3>
<p>Toutes ces données vont naturellement nourrir de très nombreux travaux. Comme le faisait remarquer <a href="https://twitter.com/Calimaq">@Calimaq</a>, il y a une forte prime à la nouveauté, celle de publier rapidement sur une base d'enquête originale. Les chercheurs et les organismes ont beaucoup moins d'incitations à assurer la diffusion et la préservation de ces données dans la durée. On peut se demander ce qu'il restera d'exploitable de ces bases de données lorsqu'on voudra les réinterroger à la lumière de la prochaine pandémie, dans cinq, dix ou vingt-cinq ans. Il restera certainement les productions de la statistique publique, versées à leur rythme dans les services communs ADISP/Progedo. Mais toutes les productions des autres équipes de recherche ?</p>
<p>Je me prends du coup à imaginer ce qui aurait pu être, et ce qui pourrait être mis en place avant le prochain événement de ce type : une grande infrastructure de recherche, comme peuvent l'être Progedo ou HumaNum, consacrée à la diffusion de questionnaires en ligne et à l'archivage des réponses au profit de l'ensemble de la communauté scientifique. Il aurait été ainsi possible d'imaginer un questionnaire modulaire, avec éventuellement une dimension de panel, qui aurait posé de manière aléatoire et tournantes des jeux de question proposées par la communauté. En échange de ce service rendu, l'ensemble des réponses serait accessible à toutes les équipes qui ont contribué avec des questions. On peut imaginer tout une suite de service autour d'une telle infrastructure, comme le partage de codes ou de résultats préliminaires, de manière à faire naître les collaborations entre équipes plutôt que le travail en parallèle sur les mêmes sujets.</p>
<p>Je rêve les mains sur le clavier, j'en suis bien conscient. Pourtant, il me semble qu'une telle infrastructure ferait sens - nous seulement dans la situation actuelle, mais aussi dans des temps plus normaux, où nous sommes déjà tant d'équipes à poser - parfois à grands frais - des questions très similaires.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2020/05/11/%C3%89pid%C3%A9mie-et-recherche-acad%C3%A9mique#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Transparence : le CEPREMAP a participé au financement de la vague spécifique de l'enquête Conditions de vie et Aspirations du Credoc, et participe à l'analyse des résultats de la vague spéciale du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF.</p></div>
Un triste avenir pour les classes moyennes
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2020-02-04T19:03:00+01:00
2020-02-04T20:30:04+01:00
Mathieu P.
General
transition écologique
<p>À l'occasion d'une discussion sur Twitter, je me suis pris à réfléchir aux trajectoires possibles des niveaux de vie dans un contexte de transition écologique. Je partage ici quelques idées, qu'il ne faudra pas considérer avec plus de sérieux que des considérations écrites au fil du clavier. Je vais sans doute enfoncer quelques portes ouvertes, au passage.</p>
<p>En quelques mots : il me semble que les conséquences de la transition écologique vont peser sur le niveau de vie des classes moyennes, et particulièrement des classes moyennes inférieures dont on a vu lors de la récente crise des Gilets jaunes combien elles se sentent déjà fragilisées.</p> <p>Ma perspective générale est simple, et probablement naïve : les principaux blocs de coût de la transition écologique vont probablement être :</p>
<ul>
<li>L'énergie en général : on va sortir des énergies fossiles dans un contexte ou les énergies de remplacement sont, et resteront pour un certain temps, plus onéreuses. Cela va particulièrement impacter le transport individuel - les voitures, et les dépenses de chauffage et climatisation (il va y avoir des vagues de chaleur, donc ne pas oublier la clim, très énergivore).</li>
<li>L'alimentation : comme le montrent les analyses récentes de <a href="https://ourworldindata.org/environmental-impacts-of-food" hreflang="en">Our World in Data</a>, le transport est marginal dans les impacts en termes de CO2. La pression va donc porter d'abord sur la consommation de viande, à commencer par la viande bovine. Sur un plan plus large, on voit mal comment nous échapperons à une baisse au moins transitoire des rendements agricoles, donc un renchérissement des aliments et à tout le moins un coût de changement des habitudes alimentaires, le temps de réadapter nos habitudes à la nouvelle offre.</li>
</ul>
<p>Pourquoi cela concernerait-il particulièrement les classes moyennes ? Je me trompe peut-être, mais il me semble que le modèle d'habitation et de consommation des classes moyenne comporte une large part de ces biens. Je pense ne pas me tromper en disant que l'idée de ménage de la classe moyenne évoque un ménage habitant dans un pavillon ou une maison, et se déplaçant majoritairement en voiture - deux voitures le plus souvent. Avec la crise des Gilets jaunes, on a vu comment le budget alloué au transport représentait à court terme une dépense contrainte. Il ne me semble pas que cela puisse aller en s'arrangeant : à moins d'arriver à une énergie aussi facilement stockable et peu coûteuse, il sera de moins en moins raisonnable de déplacer une tonne de métal pour transporter 80 km d'humain. Concrètement, cela va accentuer la proximité avec des classes populaires plus utilisatrices de transports en communs, et la classe moyenne supérieure qui a les moyens de se loger à proximité de son travail. Tout cela, évidemment, est bien connu et identifié, il me semble.</p>
<p>J'ai moins clairement vu exprimé le fait que les mêmes causes vont renchérir le coût de l'habitat. Qu'on me corrige si je me trompe, mais une maison avec cinq parois en contact avec l'extérieur requiert plus d'énergie par personne à chauffer qu'un logement collectif, avec une ou deux parois extérieures. Certes, il y a des progrès à faire du côté isolation, mais les calculs que j'ai vus indiquent des gains, et donc des retours sur investissement, assez faibles. Des travaux de ce type seront d'autant plus difficiles à financer que le niveau de vie des ménages concernés sera déjà sous pression.</p>
<p>Si j'assemble ces deux éléments, il me semble difficile d'échapper à la prévision d'une dépréciation très sensible des maisons individuelles, particulièrement celles mal desservies par les transports. La classe moyenne se trouvera donc non seulement exposée à une baisse de son niveau de vie (flux), mais aussi à une baisse de son patrimoine (stock), l'immobilier étant la composante essentielle du patrimoine en question. Or, ce patrimoine est souvent mobilisé de manière prospective pour expliquer que les finiront par s'y retrouver en termes de richesse, ou pour financer la dépendance.</p>
<p>De manière plus hypothétique, j'imagine que l'évolution des habitudes alimentaires ne se fera pas sans coût. Le régime alimentaire à une charge symbolique forte, et je ne serais pas étonné qu'on assiste à une forme de crispation identitaire autour de ce thème lorsque la contrainte du prix se fera sentir.</p>
<p>Tout cela augure donc il me semble d'une période prolongée de difficultés structurelles pour les classes moyennes, qui me semble être les plus directement touchés par les conséquences anticipables de la transition. Je serais ravi qu'on me montre que ce pessimisme est mal placé.</p>
Portrait d'un écart salarial
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2019-10-01T09:58:00+02:00
2019-10-01T09:58:00+02:00
Mathieu P.
Réactions
Gender gap
Orientation
<p><strong>À la lecture hier d'un <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/09/26/pas-evident-en-tant-que-jeune-diplomee-d-assumer-son-declassement-salarial_6013166_4401467.html" hreflang="fr" title="« Pas évident, en tant que jeune diplômée, d’assumer son déclassement salarial »">portrait</a> dans <em>Le Monde</em>, je suis resté perplexe sur le traitement qui y est fait des écarts de salaires liés à l'orientation.</strong></p> <p>Si je résume l'article en quelques lignes : Inès, jeune diplômée de SciencesPo en filière de journalisme, fait face au lot commun de son secteur : précarité et rémunération faible. C'est difficile à accepter pour une jeune femme qui, légitimement, aspirait à une parité salariale avec son conjoint (ingénieur architecte), d'autant plus que l'entrée de ce dernier dans la vie active conduit à des attentes en termes de consommation qu'elle ne pourra pas suivre de son côté.</p>
<p>Sur le fond, le portrait est intéressant en ce qu'il illustre de manière très claire des constats connus sur la part des inégalités salariales liées au secteur d'activité<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, quand bien même les femmes entrant sur le marché du travail sont aujourd'hui plus nombreuses à être diplômées du supérieur que les hommes de leur génération<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>. Ce qui m'interroge, je crois, est l'ampleur de la dissonance cognitive qu'il révèle. Cette jeune femme était consciente de faire le choix d'un secteur d'activité qu'elle décrit, reprenant un terme de ses parents, comme « bouché ». Cependant, et c'est l'ouverture de l'article : « J’étais convaincue qu’à mon échelle je serai capable de contredire les statistiques ». Il me semble assez normal qu'une jeune étudiante puisse tenir ce type de raisonnement<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. Il me semble cependant que le déroulé de ses études aurait dû éroder considérablement ce biais de surconfiance : si on veut faire partie des trajectoires minoritaires (job stable et bien payé dans le journalisme), il me semble clair que cela passe par un parcours déjà exceptionnellement brillant pendant la formation. En d'autres termes, j'ai un peu de mal à comprendre par quel mécanisme la réalisation qu'elle présente comme contemporaine à l'entrée de son compagnon dans l'emploi ne s'est pas faite progressivement.</p>
<p>Et c'est là sans doute un reproche que j'adresserais à l'article. Tel qu'il est écrit, il est facile de jeter la pierre à Inès, en lui reprochant le décalage évident depuis le début entre ses aspirations à l'égalité salariale et le choix d'un secteur où tant la concurrence que la dynamique fondamentale du marché (<em><a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Winner-take-all_market" hreflang="en">Winner takes all</a></em>) allaient la mettre dans une position désavantageuse sur ce point<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Deux choses à mon sens importantes sont ainsi laissées de côté. D'une part, il y a le côté manifestement genré des aspirations : c'est la jeune femme qui a fait des études de journalisme, et le jeune homme des études d'ingénieur. Contrainte de format peut-être, mais on ne peut pas évacuer comme relevant de la volonté individuelle les déterminations sociales de ces choix : qu'est-ce qui a conduit Inès a vouloir faire du journalisme, et son conjoint à être ingénieur ? Les réponses sont connues, mais cet aspect est absent de l'article. De même, on ne sait pas dans quelle mesure la résistance de cette idée qu'elle pourrait « faire mentir les statistiques » a été entretenue ou combattue lors de son cursus. En termes de politique publique, c'est une question importante : les étudiants en général sont-ils correctement informés de leurs perspectives et de leurs chances ? Il ne s'agit pas seulement là de leur fournir une information objective. On sait (et le cas d'Inès l'illustre sans doute) qu'il s'agit d'un domaine ou le biais de surconfiance joue à plein<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>, et où il convient de déployer des approches comportementales adaptées.</p>
<p>Au final, cet article me semble porter en lui le risque de renvoyer sur Inès la pleine responsabilité de choix qui sont fortement socialement déterminés, et pour lesquels on ne sait pas si sa formation l'a convenablement accompagnée vers une appréhension réaliste de ses débouchés.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] « <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2006_num_398_1_7119#estat_0336-1454_2006_num_398_1_T6_0116_0000" hreflang="fr" title="L'écart des salaires entre les femmes et les hommes peut-il encore baisser ?">L'écart des salaires entre les femmes et les hommes peut-il encore baisser ?</a> », par Dominique Meurs et Sophie Ponthieux, In: <em>Economie et statistique</em>, n°398-399, 2006. pp. 99-129. DOI : https://doi.org/10.3406/estat.2006.7119.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Gadrey Jean, Gadrey Nicole, « <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2017-3-page-3.htm" hreflang="fr" title="Les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes selon leur niveau de diplôme">Les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes selon leur niveau de diplôme</a> », <em>La Revue de l'Ires</em>, 2017/3 (n° 93), p. 3-24. DOI : 10.3917/rdli.093.0003.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Je suis plus gêné qu'une <em>journaliste</em> tienne maintenant ce langage. Cette jeune professionnelle va avoir à couvrir des sujets d'environnement, de science et de société où une bonne compréhension des statistiques est indispensable, et où il devient problématique pour moi de pouvoir dire que « cela me fait drôle » d'être dans le cas le plus fréquent.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] On pourrait aussi commenter que ce désavantage existe aussi dans la mesure où le couple reproduit le schéma dominant d'endogamie, où les plus hauts diplômes se mettent en couple entre eux. C'est le cas, mais il me semble que la dimension de choix conscient et délibéré est plus faible dans cette dimension.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2019/10/01/Portrait-d-un-%C3%A9cart-salarial#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Comme chez les 75 % de conducteurs qui estiment mieux conduire que la moyenne.</p></div>
De l'inconvénient cognitif des pédagogies actives
urn:md5:4bbaf7996d0e5197763568803b2acbac
2019-09-10T14:24:00+02:00
2019-09-10T13:32:14+02:00
Mathieu P.
Enseignement
Pédagogie
<p><strong>J'ai vu passer aujourd'hui sur Twitter <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1821936116" hreflang="en" title="Measuring actual learning versus feeling of learning in response to being actively engaged in the classroom">un article</a> montrant un résultat apparemment contradictoire : dans une expérience randomisée, les étudiants apprennent mieux avec des pédagogies actives (où ils construisent eux-mêmes une partie du contenu), mais estiment apprendre moins que dans des cours magistraux.</strong></p>
<p><strong>On savait déjà que les évaluation des enseignants et des enseignements par les étudiants ne sont pas d'une grande utilité pour évaluer la qualité des cours (en particulier, elles ont une corrélation nulle, voire négative, avec les performances mesurées des étudiants). Cet article en donne une illustration remarquable sur le front des méthodes pédagogiques. </strong></p> <p>En bref, un échantillon de classes et d'enseignants dans un cursus de physique sont assignés aléatoirement à une des deux méthodes. Dans l'une, l'enseignant déroule un cours magistral, ponctué de problèmes qu'il résout devant les étudiants. Ceux-ci disposent de supports de cours, avec des espaces blancs pour noter les réponses. Dans l'autre méthode, les étudiants disposent des mêmes supports de cours, mais l'intégralité de la séance est dédié à la résolution en groupes des problèmes, l'enseignant passant dans la salle pour aider. Les étudiants doivent donc trouver dans le support de cours les éléments nécessaires à la résolution. En fin de séance, l'enseignant déroule le même corrigé que celui effectué dans les cours magistraux.</p>
<p>Aux tests finaux (QCM), les étudiants ayant suivi les cours magistraux obtiennent des scores significativement inférieurs aux autres. Pourtant, les étudiants ayant suivi les cours magistraux évaluent plus positivement leur connaissance du sujet ainsi que la satisfaction vis-à-vis du cours et de l'enseignant.</p>
<p>Pour les auteurs, ce paradoxe apparent est lié au fait que l'approche active :</p>
<ul>
<li>Oblige les étudiants à fournir un niveau d'effort plus élevé</li>
<li>Oblige les étudiants à se confronter à leur ignorance, à faire des erreurs et les corriger.</li>
</ul>
<p>Par ailleurs, les auteurs rappellent que les étudiants, comme tout public novice, ont de piètres performances en métacognition (évaluer l'étendue de sa propre maîtrise d'un sujet), ce qui est de nature à amplifier ces deux effets.</p>
<p>Ce résultat indique que le passage aux pédagogies actives peut susciter des résistances malgré une meilleure efficacité. En l'état, le moyen de les lever semble d'être de rappeler le fait qu'apprendre demande un effort (tiens, <em>no free lunch</em>), et qu'on est souvent bien mauvais juge de ce qu'on a appris ou non.</p>
<p>Référence : "Measuring actual learning versus feeling of learning in response to being actively engaged in the classroom", Louis Deslauriers, Logan S. McCarty, Kelly Miller, Kristina Callaghan, and Greg Kestin, <em>PNAS</em> first published September 4, 2019 <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1821936116" hreflang="en">https://doi.org/10.1073/pnas.1821936116</a></p>
<p><a href="http://www.leconomiste-notes.fr/images/F1.large.jpg" title="Deslauries et al. 2019, Figure 1, sept. 2019"><img src="http://www.leconomiste-notes.fr/images/.F1.large_m.jpg" alt="Deslauries et al. 2019, Figure 1, sept. 2019" style="display:table; margin:0 auto;" title="Deslauries et al. 2019, Figure 1" /></a></p>
Une dictature du bien-être ?
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2018-10-25T09:59:00+02:00
2018-10-25T09:59:00+02:00
Mathieu P.
Réactions
Bien-être
<p>Je suis en train de lire l'ouvrage à charge <em><a href="http://www.premierparallele.fr/livre/happycratie" hreflang="fr" title="Page de présentation sur le site de l'éditeur">Happycratie</a></em> contre, pêle-mêle, la psychologie positive, l'économie du bien-être et le secteur économique du développement personnel (<em>Mindfulness</em>, coachs de vie, etc.). Je ne vais pas faire ici une critique en règle de l'ouvrage (<em>spoiler</em> : la lourdeur du parti-pris idéologique annule ce qu'une analyse proprement sociologique de ce mouvement a d'intéressant), mais l'utiliser comme prétexte pour raconter ce que j'en ai vu lors de mes années dans le secteur privé - témoignage hautement subjectif donc, sans aucune prétention à une quelconque représentativité.</p> <p>Plantons le décor : en arrière-fond, un grand groupe financier français, qui essaye de se transformer après des années difficiles qui avaient été précédées d'une expansion des activités menée tambour battant. L'arrêt de l'expansion fait que les mobilités internes sont difficiles, et les niveaux de rémunération variables ne sont plus ceux qu'ils étaient avant la crise, priorité étant donnée au respect des ratios réglementaires et aux dividendes face à des actionnaires qui estiment qu'ils ont suffisamment toléré des ROI faibles.
En fond plus rapproché, un service mixte de quants<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2018/10/25/Une-dictature-du-bien-%C3%AAtre#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> et de non-quants, les seconds sortant le plus souvent d'écoles de commerce. Essentiellement, des équipes où les choses se passent bien humainement, mais où la satisfaction au travail n'est pas vraiment au rendez-vous, pour des raisons structurelles (charge de travail, systèmes informatiques périmés ou mal conçus, ou les deux) et organisationnelle (lourdeur d'une organisation très pyramidale, micromanagement). Ajoutez à cela des difficultés de recrutement, en particulier sur les profils quantitatifs, aspirés par les entreprises du numérique qui payent autant pour des fonctions <em>a priori</em> plus intéressantes et des structures moins lourdes, et une insatisfaction latente liée à des niveaux de rémunération qui, s'ils sont élevés dans l'absolu, sont inférieurs à ceux d'autres services sans que cela soit semble-t-il lié à la charge ou la complexité du travail, liée aussi à un défaut de reconnaissance de fonctions perçues comme des centres de coût.</p>
<p>Arrivent dans ce contexte le type d'actions RH décrites par les auteurs du livre : ateliers <em>Mindfulness</em> (pleine conscience, réservés aux managers, hein, on ne va pas pousser non plus), actions sur la qualité de vie au travail, inclusions dans les formations et supports RH d'éléments issus de la pensée positive, programmes de mentorat. La qualité de ces éléments était hétérogène pour ce que j'en ai vu. Dans le bon, l'introduction à la pleine conscience était une initiation pas trop mal conçue à la médiation. Dans le moins bon, des éléments dispensés en formation managers de proximité manifestement issus de lecture de troisième main, assis sur des théories ou des travaux déjà réfutées ou dépassées, assénées par un formateur très sûr de lui et qui prend mal qu'on lui fasse remarquer qu'il n'a pas la moindre idée des sources scientifiques qu'il allègue, ni qu'elles ont été réfutées.</p>
<p>Loin de l'enthousiasme béat postulé par les auteurs du livre, la réaction autour de moi a essentiellement été celle du scepticisme : tout le monde y a vu une tentative, à vrai dire fort mal déguisée, de compenser à moindre coût la dégradation des conditions de travail et le faible dynamisme des rémunérations. Certaine personnes, à qui ces approches pouvaient effectivement faire du bien (par exemple en les obligeant à un temps d'arrêt qu'elles ne parvenaient pas à s'imposer d'elles-même) y ont dans une certaine mesure trouvé leur compte. Pour les autres, je n'ai pas l'impression que cela ait changé grand-chose, voire a été contre-productif.</p>
<p>Un exemple : d'un résultat scientifique douteux est entré dans la vulgate du management qu'il fallait faire trois commentaire positif pour chaque commentaire négatif pour que la personne soit en mesure d'entendre le commentaire négatif. Dans une culture de management général où la norme était de ne faire que des commentaires négatifs, cette soudaine irruption de commentaires positifs est immédiatement apparue comme suspecte, et à juste titre : tout commentaire positif était pris comme le signal avant-coureur d'une critique. Seuls s'en sortaient les managers qui avaient établi une crédibilité en n'hésitant pas à féliciter leurs équipes et à louer sans arrière-pensée le travail de leur collaborateurs - lesquels managers n'avaient du coup pas besoin de ce type de recettes pour que leurs collaborateurs soient réceptifs à la critique.</p>
<p>Si j'en parle ici, c'est que ce type de réaction affaiblit en fait considérablement le propos de <em>Happycratie</em>. Si je rejoins dans mon exemple les auteurs dans l'idée que l'entreprise dans la quelle je travaillais utilisait ces méthodes pour essayer d'amortir la dégradation des conditions de travail sans embauches ou contreparties salariales, il ne s'en est pas suivi l'instauration d'une dictature consumériste du bien-être ou du bonheur. Au contraire, cela a augmenté la défiance envers l'entreprise dans certains cas. L'appel à être soi-même, authentique et courageux et à se réaliser dans le travail a probablement servi de <em>nudge</em> pour les meilleurs profils, qui sont allés voir s'ils ne pourraient pas mieux se réaliser ailleurs (cette autosélection est le cauchemar des RH, évidemment, qui voient s'évaporer les collaborateurs les plus intéressants). Inversement, les actions qui ont je pense le plus contribué au bien-être sont celles qui ont le plus remis en cause la structure des relations, comme le télétravail, qui oblige structurellement à la confiance.</p>
<p>J'ai en fait été tout particulièrement exposé à cet effet, ayant participé au séminaire du <a href="https://programmeoctave.com/" hreflang="fr" title="Site du programme Octave"></a>, initialement orienté vers le management intergénérationnel et en fait assez bon représentant de toute l'industrie dont parle <em>Happycratie</em>. Ce que j'en ai retiré, c'est que, dans ce grand bazar dont les fondements scientifiques, lorsqu'ils existent, sont rapidement oubliés ou déformés, il y a en fait un certain nombre de choses intéressantes à tirer. Oui, l'analyse en termes de générations est une immense caricature. Mais elle peut être pertinente pour analyser pourquoi un échange aussi simple se retrouve être toxique :</p>
<p>- Manager (cinquantaine) : « Fais ça. »
- Jeune collaborateur : « Pourquoi ? »</p>
<p>En quelques mots, le jeune collaborateur estime que son manager lui doit, lorsqu'il lui confie une tâche, lui en donner un minimum les tenants et les aboutissants afin qu'il puisse la réaliser correctement : à quoi cela va-t-il servir le service ou l'entreprise ? Le manager, de son côté, a été formé à interpréter une question de ce type comme une remise en cause de son statut hiérarchique : s'il est là, c'est qu'il est plus compétent, et vit la question de son subordonné comme une attaque de cette compétence. Effectivement, c'est caricatural. Oui, j'ai assisté à cette scène plusieurs fois par semaine.</p>
<p>De même, rappeler aux managers qu'il doivent <em>aussi</em> féliciter leurs équipes pour leur bon travail est utile dans une culture d'entreprise où la norme est de ne faire de commentaires que négatifs<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2018/10/25/Une-dictature-du-bien-%C3%AAtre#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> . Dire aux employés qu'ils doivent être acteurs de leur propre carrière a du sens quand on fait face à une obsolescence très rapide des compétences techniques, et que les plus concernés renâclent à demander les formations qui pourraient les remettre à niveau (il est dans ces circonstance évidemment inutile de les y inscrire de force : au mieux ils n'apprendront rien, au pire ils perturberont les formations).</p>
<p>Bref, tout cela pour dire que ce que j'ai vu, c'est une énorme bulle gonflée de beaucoup de brassage d'air autour de quelques idées pas particulièrement neuves, et avec en fait une capacité d'entraînement sur les employés assez limitée. Donc assez loin de la dictature individualiste du bonheur consumériste décrite dans l'ouvrage.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2018/10/25/Une-dictature-du-bien-%C3%AAtre#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] On désigne par ce terme les personnes plus spécifiquement formées aux méthodes quantitatives. Dans la pratique, essentiellement des ingénieurs en mathématiques financières ou en statistiques.</p>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2018/10/25/Une-dictature-du-bien-%C3%AAtre#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Longtemps, l'argument a été que tout compliment sur le travail servirait d'argument pour demander une augmentation.</p></div>
Quelles incitations pour la réplication ?
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2018-08-24T14:29:00+02:00
2018-08-24T15:29:27+02:00
Mathieu P.
Economistes
Modèles
Risque de modèle
Réplication
<p>Je suis en train de suivre le MOOC <em><a href="https://www.futurelearn.com/courses/open-social-science-research" hreflang="en">Transparent and Open Social Science Reearch</a></em> de la <em><a href="https://www.bitss.org/blog/" hreflang="en">Berkeley Initiative for Transparency in the Social Sciences</a></em>. La question de la réplication des études scientifiques est au cœur des enjeux de ce MOOC. Celui-ci présente quelques suggestions sur comment faire évoluer le système de publication scientifique vers une meilleure valorisation de la réplication. Cela me renvoi à mon expérience avec les modèles bancaires : comment, dans un environnement où les incitations privées sont élevées, est traitée cette question ?</p> <p>Ce qui suit repose sur mon expérience dans une banque particulière, dans un domaine particulier celui du risque de crédit. Sa validité externe s'arrête donc à ces bornes, mêmes si je pense que la dimension réglementaire que je souligne à la fin suggère que ce que j'ai observé est assez général.</p>
<p>À de nombreuses fins, les modèles de risque de crédit, qu'il s'agisse des modèles de score ou des modèles de stress-test, constituent une sous-catégorie particulière des modèles économiques (et parfois économétriques). Dans le premier cas, il s'agit d'estimer, sur la base de ses caractéristiques observables, la probabilité qu'un client donné fasse défaut à un horizon temporel donné. Conceptuellement, ils sont donc identiques à des modèles estimant l'impact d'une intervention de politique publique, la propension à avoir un comportement à risques, etc. Dans le second cas, il s'agit d'estimer de manière plus ou moins directe la dépendance de cette probabilité à l'environnement macroéconomique, ce qui ramène les modèles de stress-tests à la famille des modèles de prévision macro couramment utilisés.</p>
<p>Quelles sont les incitations d'une banque que ces modèles soient justes ? De fait, cela dépend du modèle, et de la manière dont il est utilisé. Pour illustrer, on a à un extrême le modèle utilisé uniquement pour calculer la quantité de capital que la banque doit détenir pour faire face au risque d'un prêt donné. Dans ce cas, l'incitation (privée et à court terme) de la banque est de biaiser le modèle de manière à minimiser son besoin de capital (et certains auteurs ne se privent pas de suggérer que cette pratique est répandue - je ne l'ai personnellement jamais observée). L'autre cas extrême est quand le même modèle est directement intégré aux décisions d'octroi et de prix : la note du modèle détermine si vous obtenez le prêt, et à quel taux. Dans ce cas, les erreurs sont coûteuses : un modèle trop sévère vous fait perdre de bons clients et vous coûte en capital, tandis qu'un modèle trop laxiste générera des pertes, du fait d'avoir accepté des clients trop risqués et d'avoir sous-tarifé les autres par rapport à leur niveau de risque.</p>
<p>De fait, les banques qui utilisent de tels modèles disposent d'équipes d'audit de modèle dont la fonction est justement d'auditer ces modèles. Cela peut aller d'un simple examen de la documentation à une réplication complète. Ces services emploient une main-d’œuvre qualifiée et en concurrence en termes de recrutement avec les services de modélisation. Et de fait, leur travail est souvent difficile. Les documentations sont souvent assez minimalistes, les codes peu lisibles, et les données, lorsqu'elles sont convenablement archivées, sont rarement traçables jusqu'à leur extraction des systèmes source (et je laisse de côté la très vaste question de la fiabilité des données source, même si tout le secteur est réputé conforme à BCBS-239, les amateurs apprécieront).</p>
<p>L'ampleur de ces équipes a considérablement augmenté avec la montée en puissance des exigences réglementaires des dix dernières années. Ces exigences ont en particulier souligné le besoin d'une documentation exhaustive, de la traçabilité des données et des contrôles de robustesse. Concrètement, dans le cas des États-Unis, le volume de documentation pour un modèle a explosé de cinq à 200 pages. Il faut remarquer que le régulateur est dans la même position que le chercheur qui lit un article : il ne peut se référer qu'à ce qui est dans l'article / la documentation, il n'a que difficilement (voire pas) accès au code et aux données, et de toutes manières ni le temps ni les ressources pour tout refaire (ou, je sais, la BCE conduit des exercices de revue ciblée, TRIM pour les intimes - bizarrement, ça fait pas mal flipper dans les banques : économistes, imaginez que Reviewer n°2 vous écrive pour vous dire qu'il débarque demain dans votre bureau pour faire tourner le code de votre papier depuis le départ).</p>
<p>De cette observation, je tire une conclusion : les régulateurs ont estimé que les incitations privées des banques à avoir de bons modèles étaient très insuffisantes, et ont ajouté une grosse couche (pas la couche de sucre glace sur votre gaufre, une couche taille calotte antarctique) d'incitations réglementaires pour avoir des modèles qui tiennent un minimum la route. On peut donc penser que dans le domaine académique, il faudra aussi qu'un acteur un petit peu extérieur (par exemple les financeurs) intervienne assez lourdement pour faire changer les pratiques. Pour l'instant, le fait est qu'il vaut mieux en termes de carrière passer deux fois six mois à faire deux articles avec du code inintelligible que passer un an à faire un article prêt pour la réplication.</p>
<p>Autre conclusion : demander aux chercheurs de mieux documenter leur démarche dans des articles ou des appendices ne servira pas à grand-chose : je n'ai pas l'impression que l'inflation documentaire ait vraiment amélioré la situation : les points délicats de la modélisation se trouvent noyés dans un océan d'informations.</p>
<p>On peut noter que <a href="https://www.openriskmanagement.com" hreflang="en">certaines initiatives</a> promeuvent l'utilisation de modèles de risque ouverts - ce qui permet de mutualiser les développements et de réduire les risques, la concurrence se jouant sur la qualité des données (là, j'en vois au fond qui rigolent) et sur l'intégration effective des modèles dans les process d'octroi, de pricing et de suivi du risque. Il va être intéressant de comparer l'évolution de ce type d'initiative d'une part, et des initiatives pour une science plus reproductible d'autre part.</p>
Des gains de productivité
urn:md5:946814775d5f46ed4400f32c66d85c20
2018-06-14T10:39:00+02:00
2018-06-14T10:33:44+02:00
Mathieu P.
Finance
Management
Productivité
Systèmes d information
<p><strong>Ce billet a commencé comme un commentaire de <a href="http://econoclaste.org.free.fr/econoclaste/?p=13481" hreflang="fr" title="Éducation, travail, progrès technique, inégalités et croissance : et si on était vraiment très mal ?">celui de Stéphane Ménia</a>. Voyant les proportions que prenait ce commentaire, j'ai décidé d'en faire un billet, comme à la grande époque des blogs économiques. Si vous n'avez pas déjà lu le billet de Stéphane, commencez par le faire.</strong></p> <p><em>Disclaimer :</em> Je vais parler d'une observation personnelle, et pas d'un fait stylisé. Tout ce que je vais dire ici relève donc probablement de la généralisation abusive. Ce que j'ai observé, en quelques mots, est qu'il existe dans certaines très grandes entreprises françaises des gains de productivité et d'emploi significatifs. J'ai donc travaillé pendant quelques années dans une grande banque française. J'en retiens, pour cette discussion, deux éléments :</p>
<ol>
<li>les systèmes d'information auquel j'ai été confronté ne permettent que marginalement de bénéficier de l'évolution technologique des dix dernières années</li>
<li>l'organisation de ces entreprises pèse sur leur efficacité.</li>
</ol>
<h3>La malédiction des systèmes d'information</h3>
<p>Le premier constat est que les systèmes d'information y étaient dans un état calamiteux, tant en termes d'interconnexion que de qualité de données - et les collaborateurs venus d'autres banques nous disaient que ce n'était général dans le secteur. L'empilement de systèmes vieux de plusieurs générations, construits pour répondre exclusivement à des besoins comptables ou réglementaire, limitait énormément ce qui pouvait être envisagé en termes d'utilisation un peu avancée des données.</p>
<p>Une conséquence est que les fonctions support (Risques, Finances en premier lieu) emploient des effectifs considérables à résoudre des problèmes de cohérence des données entre systèmes, et à produire des reportings et tableaux de bord qui pourraient être générés automatiquement si les systèmes étaient meilleurs. Il ne faut pas y voir un avantage en termes d'emploi : sur le papier, les collaborateurs affectés à ces tâches sont censés accomplir des tâches à plus fort contenu cognitif : analyser ces éléments pour repérer risques et opportunités, donner le contexte au management en vie d'informer la prise de décision. De fait, ils n'ont pas le temps de le faire, et accomplissent des volumes horaires très importants sur des tâches à faible contenu.</p>
<p>Il faut être conscient à ce niveau que même si un <em>big bang</em> des systèmes d'information intervenait demain, ses effets ne s'en feraient pas sentir avant une dizaine d'années. Les données existantes sont pour la plupart peu réutilisables, car correspondant étroitement à des catégories réglementaires en forme de lit de Procuste, et sans possibilité d'appariement, par exemple pour évaluer un couple risque (systèmes Risques) / rendement (systèmes Finance). Avec des cycles de crédit d'une dizaine d'années, il faudrait compter à cet horizon avant d'obtenir des modèles tant soit peu robustes.</p>
<h3>Le système de management</h3>
<p>C'est une chose de dire que les grandes entreprises françaises sont très pyramidales, avec une structure managériale très lourde. C'est, je pense, autre chose de le vivre. Quelques éléments stylisés :</p>
<ul>
<li>En réunion, la configuration la plus fréquente est que ceux qui ont l'information pertinente ne sont pas là, mais représentés par des managers briefés à la hâte (le manque de temps pour acquérir et transmettre l'information est chronique), ce qui fait que ceux qui ont le pouvoir de décider ne sont pas convenablement informés.</li>
<li>Globalement, une part significative des cadres intermédiaires voit les méthodes quantitatives comme une menace à leur capital humain, fondé sur les relations interpersonnelles et l'expérience. Ils entretiennent donc une relation conflictuelle avec la technologie, oscillant entre le rejet et la baguette magique.</li>
<li>La nature du <em>feedback</em> entre deux équipes de services différents est déterminée essentiellement par le poids politique interne des responsables des services concernés. Il est très difficile de critiquer, fût-ce constructivement, un service dirigé par un responsable qui a l'oreille du niveau supérieur.</li>
</ul>
<p>Tout cela pour dire que nous sommes probablement fort loin de la frontière d'efficience en ce qui concerne ces entreprises, et qu'il y a de la place pour du progrès - que personnellement, je verrais par le remplacement progressif de ces entreprises par de nouveaux acteurs gérés différemment.</p>
Nouveau changement de cap
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2018-03-21T23:23:00+01:00
2018-03-22T09:10:13+01:00
Mathieu P.
General
Banques
Parcours Pro
<p>Annonce bien tardive, puisque je suis depuis juillet 2017 Directeur exécutif de l'Observatoire du Bien-être. Si je parle plus formellement de mon nouveau poste sur <a href="http://www.mathieuperona.fr/?p=250" hreflang="fr">mon autre blog</a>, je reviens ici sur l'enchaînement de choses qui a conduit à ce tournant ma foi assez inattendu.</p> <h3>Société Générale : des occasions manquées</h3>
<p>Un aphorisme fréquent en entreprise dit qu'on entre dans une entreprise pour son projet, et qu'on la quitte à cause de son manager. Ceux qui ont <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/post/2011/07/12/Changement-de-cap" hreflang="fr">suivi mon parcours</a> savent que la première partie est fausse en ce qui me concerne. La deuxième est en partie vraie, toutefois. Non que j'ai à me plaindre de mon management direct, j'ai eu beaucoup de chance à ce niveau-là, mais très clairement une ambiance générale de management a fortement contribué à mon départ.</p>
<p>Pour rappel, j'avais pris en 2014 la responsabilité de l'équipe Méthodes de Pilotage, département du Suivi transversal des risques (aujourd'hui <em>Enterprise Risk Management</em>), direction des Risques de la Société Générale. Petite équipe, formée de quatre personnes, elle était dédiée à la conception des modèles et méthodes de stress-test et de pilotage des risques. À vrai dire, les choses auraient pu mieux commencer pour cette équipe : d'orientation résolument quantitative, elle a été dès sa création transférée du service de modélisation vers le service de pilotage, pour des raisons qui n'ont jamais été très claires (et que je soupçonne d'être des raisons d'équilibre en nombre de personnes dans les sous-services). Nous nous sommes donc retrouvés coupés de la communauté des modélisateurs centraux auxquels nous appartenions par nos fonctions.</p>
<p>Les problèmes n'ont cependant vraiment commencé qu'en 2016, avec le stress-test EBA. Il est en effet apparu à ce moment que nous n'étions pas outillés pour répondre avec le degré de granularité demandé par l'EBA. Ce n'était pas faute d'avoir averti du problème, mais la mise en place de solutions est arrivée beaucoup trop tardivement, et avec un budget inadéquat. Faute de volonté managériale d'assumer cette situation, nous nous sommes retrouvés avec mon équipe (ainsi que l'équipe voisine et les développeurs chargés en urgence de nous construire une solution) à faire des horaires indécents pour des tâches qui ne relevaient ni vraiment de nos mission, ni de celles où nous apportions une vraie valeur ajoutée. Le fait que personne dans aucune des trois équipes ne soit parti en burn-out, malgré des impacts très réels sur la vie personnelle des uns et des autres, témoigne de la haute qualité des personnes et de l'ampleur de leur engagement.</p>
<p>Cette crise a révélé pour moi une disposition du management de l'époque à sacrifier une équipe plutôt que d'assumer une incapacité à faire dans des conditions et un niveau d'exigence raisonnables et, à un plus haut niveau de management, une volonté déclarée de limiter les investissements en outils informatique tant que l'humain restait une ressource abondante.</p>
<p>Deuxième déconvenue, un ancien manager m'a à un moment fortement démarché pour me proposer un poste à l'étranger. Il se trouvait que cela m'aurait à l'époque beaucoup tenté et que ma situation de famille me le permettait. Tout devait se faire vite, les RH étaient censément OK, puis plus de nouvelles. Silence face à mes relances par mail, tentatives de m'éviter lors d'un événement corporate, jusqu'à ce que je coince la personne. Pour m'entendre dire, sans un mot d'excuse, que c'est tombé à l'eau pour une question de coût, qui était pourtant la première question que j'avais posée aux uns et aux autres trois mois plus tôt.</p>
<p>Troisième déconvenue, liée à la première, le non-traitement de certaines de mes alertes. Le contexte est celui du développement d'une nouvelle norme comptable, IFRS-9, qui implique de calculer les provisions pour le risque de crédit selon des méthodes proches de celles utilisées pour les stress-tests. Pendant deux ans, j'ai averti qu'il ne serait possible de réaliser des stress-tests dans cet environnement que si cette fonction était incluse dès le départ comme un prérequis dans le développement des modèles et des infrastructures informatiques. Deux ans de <em>on verra plus tard</em> et de <em>non prioritaire dans le budget</em>. Je voyais donc arriver avec une certaine appréhension l'exercice EBA 2018, premier à se dérouler en utilisant cette norme.</p>
<p>Enfin, j'avais préparé une mobilité interne (preuve que je n'avais pas perdu confiance dans l'entreprise), vers la direction de l'innovation. Tout était prêt en février, mais mon management ne voulait pas me voir partir avant novembre, comptant probablement sur moi pour limiter la casse sur le stress EBA.</p>
<h3>Prise du virage</h3>
<p>C'est dans ce contexte que je tombe par hasard (et sur LinkedIn) sur une annonce de poste correspondant à peu près à ce que j'avais profondément envie de faire : du support et de la diffusion de la recherche en économie. L'Observatoire du Bien-être du CEPREMAP cherchait un nouveau coordinateur, poste qui au vu de mon profil et de ce que je proposais a été amélioré en directeur exécutif. Les entretiens se passent bien, et j'y trouve la confirmation qu'il s'agit de ce dont j'ai besoin à ce moment de ma trajectoire : des sujets à impact social clair, un contact étroit avec de la recherche, beaucoup d'autonomie et une orientation vers la diffusion large, ainsi qu'un meilleur équilibre des temps de vie. Je présente donc ma démission.</p>
<p>Et là, la SG me surprend. En bien. Alors que j'attendais un accueil quelque peu froid de la nouvelle, les personnes les plus directement concernées (mon équipe, évidemment, mais aussi ma manger directe ainsi que ma responsable RH) m'ont félicité et se sont sincèrement réjouies de me voir trouver un poste qui me correspond de manière aussi évidente, et cela même quand cela les mettait dans des positions quelque peu difficiles pour l'année à venir.</p>
<p>Il y a probablement de nombreuses leçons à tirer de cette trajectoire. Je vous passe les plus banales, voulant qu'il faut toujours être en veille pour les opportunités, ou celles qui apparaissent évidentes après coup, comme le fait que je n'aurais pas dû me laisser faire lors du stress EBA et poser les conditions pour un travail bien fait. Ce que je retiens plutôt, c'est la grande décorrélation qui peut exister entre les qualités professionnelles et humaines des collaborateurs d'une structure, et le manque d'efficacité et d'humanité de cette même structure qui, par un jeu d'incitations qu'il n'est pas très difficile d'identifier, conduit à un usage clairement sous-optimal de ses ressources internes. Et je sais, pour en avoir pas mal discuté, que le problème n'est propre ni à la SG, ni même au secteur bancaire en général.</p>
<p>Avec le recul, j'aurai probablement encore pas mal de choses à dire sur ce que j'ai vécu dans le monde bancaire. Si j'ai un peu de temps, il y aura donc quelques billets à ce sujet sur ce blog, avant que ce que j'ai pu apprendre ne soit complètement périmé. En attendant, je vous invite à suivre mes nouvelles activités sur <a href="https://twitter.com/MathieuPerona" hreflang="fr" title="Mon compte twitter">Twitter</a>, le <a href="http://www.cepremap.fr/bien-etre-travail-et-politiques-publiques/observatoire-bien-etre/" hreflang="fr" title="Site de l'Observatoire du Bien-être du CEPREMAP">site de l'Observatoire</a> et son <a href="https://obe.hypotheses.org/" hreflang="fr" title="Carnet de l'OBE">blog</a>.</p>
Apprentissage papier et apprentissage digital
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2015-04-22T11:48:00+02:00
2015-04-22T11:48:00+02:00
Mathieu P.
Enseignement
C2i
Informatique
Innovation
Liseuse
Livre numérique
Université
<p><strong>j'ai vu passer au cours des derniers mois plusieurs études prétendant établir que le papier et l'écriture manuscrite favorisent plus l'apprentissage que les supports numériques. Je n'ai pas d'avis sur le sujet mais il me semble que les fondements méthodologiques de ces études sont très discutables.</strong></p> <p>Prenons comme exemple l'<a href="http://pss.sagepub.com/content/early/2014/05/21/0956797614524581" hreflang="en" title="The Pen Is Mightier Than the Keyboard">étude</a> relayée par <a href="http://marginalrevolution.com/marginalrevolution/2015/04/why-you-should-take-notes-by-hand-not-on-a-laptop.html" hreflang="en" title="Why you should take notes by hand — not on a laptop">Alex Tabarrok</a> et <a href="http://www.vox.com/2014/6/4/5776804/note-taking-by-hand-versus-laptop" hreflang="en" title="Why you should take notes by hand — not on a laptop">Vox</a> (je donne les trois lien parce que la manière dont l'étude est interprêtée est importante). Cette étude montre que des étudiants prenants des notes à la main répondaient mieux à des questions conceptuelles que des étudiants prenant des notes sur un ordinateur portable. Le mécanisme serait que les étudiants écrivant à la main reformulent, et donc intègrent, ce qui est dit tandis que ceux qui ont un ordinateur font plutôt du <em>verbatim</em>.</p>
<p>Implicitement, on fait l'hypothèse ici qu'un des deux groupes est le groupe de traitement (mettons ceux qui utilisent des ordinateurs), tandis que l'autre est un groupe de contrôle. Sauf que ce n'est pas un bon groupe de contrôle. L'ensemble des étudiants, quelle que soit la technologie qu'ils utilisent actuellement, ont appris à lire et à écrire sur papier, et n'ont probablement commencé à utiliser un ordinateur que beaucoup plus tard (en particulier pour la prise de notes en cours). Et il est douteux que baucoup d'entre eux aient pris des cours formels de sténographie ou de typographie.</p>
<p>On compare donc des étudiants qui utilisent la technologie commune de référence pour l'apprentissage, et qui ont investi essentiellement dans celle-ci, à des étudiants qui ont investi dans une deuxième technologie en complément de la première. Il ne doit donc pas être étonnant que les seconds soient marginalement moins efficaces que les premiers sur un certain nombre de dimensions.</p>
<p>Maintenant, si on voulauit faire une expérience contrôlée propre, il faudrait que celle-ci porte sur des étudiants qui ont appris a écrire au clavier en même temps et avec le même volume horaire que pour l'écriture manuscrite, et qui ont appris à lire autant sur écran que sur papier. Et encore ne surmontera-t-on pas le fait qu'on n'a pas encore conçu de livre numérique susceptible de résister longtemps à ce que supportent les livres cartonnés destinés à la petite enfance.</p>
<p>En l'état, ce qu'on mesure, c'est avant tout que les étudiants ne sont pas correctements formés à l'utilisation des outils numériques dans un cadre éducatif. Ce qui, franchement, est tout sauf une surprise.</p>
Note de lecture: Petite Poucette, par Michel Serres
urn:md5:416b2df475aa5945bb85adbd6617641d
2015-03-31T17:17:00+02:00
2015-03-31T17:17:00+02:00
Mathieu P.
Notes de lecture
Innovation
Internet
Livre
<p>Je viens de lire, avec beaucoup de retard,<em> Petite Poucette </em> de Michel Serrres.</p>
<p>Il est difficile de ne pas sympathiser avec le regard affectueux, admiratif et encourageant que le vieil homme jette sur une jeune génération, regard qui contraste si agréablement avecl'aigreur d'autres hommes de son âge (Alain Finkelkraut en est un exemple). Ce d'autant plus que je rejoins à titre personnel beaucoup des idées exprimées dans ce livre sur les transformations individuelles et sociales amenées par la diffusion des technologies de communication en réseau.
Comme l'a relevé le collègue qui m'a prêté ce livre (merci Thomas), si l'ouvrage est concis et se lit rapidement, il n'en est pas moins dense en idées, que Serres esquisse plus qu'il ne décrit, sans doute pour que les étapes ne puissent pas faire perdre de vue l’ensemble du parcours.</p>
<p>Pour autant, je ne suis pas complètement convaincu par ce livre. Michel Serres me semble en effet souvent verser dans la généralisation abusive, généralisant à toute une génération la Petite Poucette qu'il observe dans le cercle privilégié d'établissements d'enseignement sélectifs et de quartiers privilégiés. Si une nouvelle relation à la connaissance explique effectivement le chahut de classes des beaux quartiers, Michel Serres ne semble pas avoir mesuré l'ampleur que peut prendre la contestation systématique appuyée non pas sur une information universelle et distribuée, mais sur une restriction de l'information à une poignée de sources partisanes. Même dans un monde idéal où l'information serait librement accessible, l'attention reste une ressource rare, et le choix des sources d'information pertinentes n'est ni inné, ni aisé.</p>
<p>Il y a de plus loin du monde de la communication fluide et instantanée décrit par Serres à l'ensemble de bulles très inégalement poreuses qui constituent les internets actuels. Sur ce point, les constats énoncés par Frédéric Martel dans <em>Smart</em> (note de lecture) écrasent la version idéale de Serres comme le parpaing de la réalité écrase la tartelette aux fraises de nos illusions<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2015/03/31/Note-de-lecture%3A-Petite-Poucette%2C-par-Michel-Serres#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Je suis peut-être trop sombre dans ma vision de ce livre. L'effort fait par Serres de comprendre les générations nées à partir des années 1980 mérite qu'on s'y arrête, d'autant plus que ce livre se veut un antidote aux clichés du vau-l'eau et des neiges d'antan. Il s'agit indéniablement d'un livre riche et très agréable à lire. Mais sa musique optimiste ne doit pas faire oublier que l'éducation aux outils du numérique, dont la Petite Poucette de Serres serait un produit presque idéal, ne va pas de soi.</p>
<p>P.S : ce post a été écrit sur tablette dans le train, donc je vois prie d'excuser les nombreuses coquilles.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2015/03/31/Note-de-lecture%3A-Petite-Poucette%2C-par-Michel-Serres#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] © @<a href="https://twitter.com/Bouletcorp" hreflang="fr" title="Profil Twitter">Bouletcorp</a></p></div>
L'éducation nationale et les chercheurs
urn:md5:72a4c86c1a371cec7a8754c4011192c2
2014-10-25T20:34:00+02:00
2016-01-11T10:16:38+01:00
Mathieu P.
Réactions
Humanités
Université
<p><strong>Il y a deux jour, <a href="http://uneheuredepeine.blogspot.fr/" hreflang="fr" title="Blog Une heure de peine">Une heure de peine</a> a attiré mon attention sur une pétition, relayée par Libération, Intitulée "<a href="http://www.liberation.fr/societe/2014/10/22/l-education-nationale-meprise-t-elle-ses-chercheurs_1127256" hreflang="fr" title="L’Education nationale méprise-t-elle ses chercheurs ?">L’Éducation nationale méprise-t-elle ses chercheurs ?</a>". Cette pétition se fait l'écho de la détresse des doctorants et jeunes docteurs arrivant dans le secondaire et faisant face à une absence de reconnaissance de leur travail de recherche. Si elle repose sur un mal-être indéniable, cette pétition ne pose à mon sens pas les bonnes questions.</strong></p> <p>Le point sur lequel je rejoins la pétition est l'absence de reconnaissance du doctorat dans les carrières de la fonction publique hors de l'enseignement supérieur. J'en <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/07/12/Changement-de-cap" hreflang="fr" title="L’Education nationale méprise-t-elle ses chercheurs ?">avais moi-même fait l'expérience</a> et cela a été un des facteurs qui m'ont poussé vers un secteur privé reconnaissant mieux l'expérience que représente une thèse.</p>
<p>En revanche, je diverge avec les auteurs dès lors qu'ils réclament un statut dérogatoire des doctorants et docteurs qui enseigneraient dans le secondaire. En effet, le fond de mon argument est que je ne vois pas ce que la recherche aurait de supérieur à d'autres formes de formations continue qui sont très probablement plus utiles à l'exercice de la fonction première d'un enseignant du secondaire : enseigner.</p>
<p>Le premier point qui m'a fait tiquer est l'affirmation "Il est évident que la recherche enrichit l’enseignement.". Quand je faisais ma thèse, on m'a dit que si j'allais écrire <em>il est évident que</em>, je devais reprendre ma phrase : si je dois rappeler quelque chose à mon lecteur, c'est que ce n'est justement pas évident pour lui. De fait, cela n'a pour moi rien d'une évidence, et cette assertion brutale ne fait pas honneur à la rigueur intellectuelle qu'exige une formation à la recherche. L'enseignement secondaire n'est en effet ni un enseignement par ni un enseignement à la recherche. Il a des objectifs, un public et des méthodes différents. Il n'est pas difficile d'ailleurs de pousser l'argument voulant que les années de recherche dégradent les compétences d'enseignement au moins les premières années. Au bout de cinq ans passés à travailler sur un sujet de recherche précis, les souvenirs des cours généralistes sont lointains, ce qui demande un travail supplémentaire par rapport aux collègues qui construisent leurs séquences d'enseignement au sortir de leur M2. L'assertion selon laquelle un docteur est meilleur enseignant d'avoir fait ou de faire la recherche me semble donc sérieusement à étayer : les élèves formés par ces enseignants réussissent-ils mieux que ceux formés par des enseignants au cursus plus classique ? Les suivi de panels de l'Éducation nationale devraient fournir de premiers éléments.</p>
<p>Plus fondamentalement, je suis assez stupéfait du caractère très étroit du point de vue. J'aurais compris, et adhéré, à une pétition demandant une refonde du système profondément dysfonctionnel de la formation continue des enseignants. En revanche, je ne vois absolument pas pourquoi il faudrait faire aux docteurs des aménagements (la pétition réclame des décharges) pour une recherche sans lien évident avec l'enseignement si de même conditions ne sont pas également accordées aux autre formes de formations ou d'initiatives : suivi de cours dans le supérieur (qui permettent plus certainement de nourrir les cours), initiatives pédagogiques en direction de publics spécifiques (dyslexie, dyscalculie), utilisation de supports numériques, modes d'évaluation alternatifs<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/10/25/L-%C3%A9ducation-nationale-et-les-chercheurs#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. Il ne pouvait certainement pas échapper aux auteurs de la pétition que dans un contexte budgétaire tendu, tout aménagement signifie un report sur les collègues, qui sont en droit de se demander le bien-fondé de ce report.</p>
<p>Dans la même veine, la pétition "les enseignants-chercheurs du secondaire (...) assurent une partie substantielle des enseignements et des activités de recherche". Ceci est partiellement vrai dans un certain nombre de disciplines des sciences humaines et sociales (et pas toutes, loin s'en faut), et pour ce que j'en sais assez faux dans les filières scientifiques. De fait, en sciences, l'obligation de disposer d'un financement dédié pour faire une thèse limite le nombre de doctorants exerçant dans le secondaire. Comment expliquer que des sociologues et des philosophes puissent être aussi ignorants de la diversité des situations, et surtout que le problème évoqué est d'abord un problème qui leur est spécifique plutôt qu'une faille générale du système français ?</p>
<p>Il me semble également que la question évoquée ne peut pas être approchée indépendamment de deux questions :</p>
<ul>
<li>Dans un contexte où structurellement plus de docteurs soutiennent que de postes de recherche ne sont créés, le peu d'attention porté par les directeurs de recherche aux débouchés des docteurs hors de l'enseignement supérieur. Je vous renvoie à ce sujet <a href="http://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/post/2014/10/21/Pourquoi%2C-structurellement%2C-il-faut-se-pr%C3%A9occuper-des-d%C3%A9bouch%C3%A9s-des-doctorants" hreflang="fr" title="Pourquoi, structurellement, il faut se préoccuper des débouchés des doctorants">aux réflexions de David Monniaux</a>. Cela inclut une réforme des exigences vis-à-vis des thèses de LSH pour qu'elles soient réalisables dans le temps réglementaire de trois ans.</li>
<li>L'utilisation des concours de l'enseignement comme un parachute pour faire ou finir sa thèse, ou encore comme solution de repli. En termes d'efficacité, il faudrait qu'il n'y ait en fait de docteurs dans le secondaire que des personnes ayant fait un choix délibéré du secondaire, par goût plutôt que par contrainte ou dépit. Sans cela, toute revendication apparaîtra comme la démonstration d'un désintérêt vis-à-vis de la mission essentielle d'un enseignant du secondaire.</li>
</ul>
<p>Au final, cette pétition exprime une absence de remise en cause des dysfonctionnement dont les auteurs sont les premières victimes, et des revendications qui, loin d'y porter remède, seraient de nature à renforcer des aspects pervers du fonctionnement de la recherche en LSH.</p>
<p>Ajout (2014-11-04) : l'équipe d'Aggiornamento Histoire-Géo a également réagi à cette pétition, voir <a href="http://blogs.mediapart.fr/edition/aggiornamento-histoire-geo/article/041114/un-statut-pour-les-chercheurseuses-dans-le-secondaire-oui-mais" hreflang="fr" title="Un statut pour les chercheurs/euses dans le secondaire ? oui mais...">chez médiapart</a>.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/10/25/L-%C3%A9ducation-nationale-et-les-chercheurs#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Sur tous ces sujets, suivre <a href="https://twitter.com/Celia_Guerrieri" hreflang="fr" title="Profil Twitter deCelia Guerrieri">@Celia Guerrieri</a></p></div>
Note de lecture : Smart
urn:md5:1ad762253ca9a80c36ca8a92134af129
2014-08-20T21:56:00+02:00
2014-08-20T20:57:07+02:00
Mathieu P.
Notes de lecture
Informatique
Internet
Livre
Neutralité
Note de lecture
Télévision
Édition
<p><strong>Cette note de lecture étant déjà bien en retard, j'irai à l'essentiel : Smart est l'ouvrage le plus intelligent que j'ai lu au sujet d'Internet à ce jour. Là où missionnaires comme contempteurs du digital regardent Internet au travers des écrans à portée de leurs yeux, Frédéric Martel est allé voir sur le terrain par qui sont faits et utilisés les outils de l'Internet actuel. Il en revient avec une thèse au rebours du village global ou du monde plat. Smart démontre qu'il n'existe pas un Internet mondial, abolissant les barrières culturelles, mais des Internets, dont les frontières recoupent bien souvent des frontières bien physiques.</strong></p> <p>Pour Smart, Frédéric Martel<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/08/20/Note-de-lecture-%3A-Smart#pnote-328-1" id="rev-pnote-328-1">1</a>]</sup> adopte essentiellement la même démarche que pour Mainstream : plutôt que de discourir de ce qui peut se voir depuis une fenêtre du centre de Paris (coucou A. F.), il a parcouru la planète dans une vaste enquête mettant en évidence la pluralité des utilisations et des approches du réseau des réseaux. Certaines étapes de ce voyage sont attendues, comme la Californie, lieu de localisation des noms les mieux connus (Apple, Facebook, Google), ou Washington, pour l'aspect réglementation, mais les autres le sont beaucoup moins : Pékin, Moscou, Mexico, Nairobi, Tel-Aviv ou Gaza. Autant de territoires, autant de conceptions d'Internet, autant d'usages.</p>
<p>Ce périple donne la matière à la première partie du livre et alimente la thèse centrale : même les plus technophiles d'entre nous ne connaissent qu'une toute petite partie d'Internet, le reste nous étant souvent techniquement accessible, mais inintelligible en pratique. Cette segmentation passe de manière évidente par la barrière de la langue, mais aussi par des plates- formes différentes: Okrut au Brésil, VKontakte en Russie, etc. Parfois, l’inaccessibilité passe par des barrières plus visibles, qu’il s’agisse de la maladroite censure Russe ou du Grand Firewall chinois, sur lequel veillent nombre de censeurs.
Ainsi, Frédéric Martel nous fait faire un tour ce ces Internets, profondément nationaux, qui ne communiquent entre eux qu’à la marge, par des franges, loin d’un modèle de transparence globale.</p>
<p>La deuxième partie du livre approfondit cette perspective en décrivant les utilisations locales faites des technologies de l’information, de la constitution de smart cities, de manière endogène dans un écosystème ou, pour des résultats douteux, ex nihilo dans le cadre de grands plans d’aménagement urbains. À la fin de cette partie s’intercale un chapitre particulièrement intéressant, sur l’acculturation des pays musulmans au net, allant de l’utilisation de ces outils pour la pratique religieuse quotidienne à l’analyse de la stratégie média de l’islam politique. Si les autres chapitres m’ont donné l’impression de compléter une connaissance que j’avais déjà de manière diffuse, j’ai retrouvé dans ce chapitre intitulé My Isl@m la même impression que dans Mainstream, de décentrement et de découverte d’un pan inédit pour moi du paysage mondial.</p>
<p>La troisième partie de Smart revient sur la manière dont ces Internets modifient l’approche des industries de contenu, et comment se déroulent les relations entre les grands acteurs du net et les régulateurs, d’un côté à l’autre de l’Atlantique. Sur ce dernier sujet, on retrouve un des sujets de prédilections de Martel, la manière dont les États-Unis, sous leur apparence de non-intervention, investissent des sommes importantes dans la promotion et le développement de leurs acteurs, tandis que l’Union Européenne parle beaucoup mais n’agit qu’en ordre dispersé et de manière in fine peu efficace.</p>
<p>N’allez cependant pas croire à lire cette recension que Martel nie la puissance et la pertinence de plates-formes, de marques et de contenus qu’on retrouve d’un bout à l’autre de la planète. Loin de là, ces éléments sont également analysés dans Smart. Mais l’apport du livre et de montrer qu’à cette identité globale se conjuguent des identités profondément locales, territorialisées, voire créant de nouvelles communautés et de nouveaux territoires culturels qui rendent aussi pertinents que jamais les outils de l’anthropologie et de la géographie pour comprendre les dynamiques du net.</p>
<p>Si j’avais une réserve, ce serait que dans son souci de montrer à quel point les différences d’usage d’outils similaires peuvent construire à des Internets différents, Martel passe très rapidement sur les enjeux des limites implicites ou explicites intégrées dans la technologie elle-même. Mises en évidence sous le terme code is law, cette approche met en évidence comment le code lui-même ainsi que la capacité (ou non) de modifier ce code conditionne les usages possibles des technologies. Les formats fermés, l’absence de support des formats ouverts (le Kindle est un exemple emblématique) ou les DRM constituent les exemples les plus flagrants de ce phénomène, dont d’autres manifestations ne sont pas moins gênants d’être plus insidieuse, à l’image de la manière dont Facebook filtre les publications arrivant sur votre fil d’actualité d’une manière opaque et surtout peu configurable.</p>
<p>En tout état de cause, Smart me semble une lecture essentielle pour quiconque veut comprendre le fonctionnement actuel du Net, ou plutôt des Internets, au-delà ce la petite lucarne de sa langue et de ses communautés, géographiques comme virtuelles.</p>
<p>Frédéric Martel, <em>Smart, enquête sur les Internets</em>, Stock, 2014.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Note</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/08/20/Note-de-lecture-%3A-Smart#rev-pnote-328-1" id="pnote-328-1">1</a>] @Martelf sur Twitter</p></div>
Les secrets des gens efficaces
urn:md5:4ba1822771c0cd63289ba5f3498ac1e9
2014-05-07T09:00:00+02:00
2014-05-07T09:00:00+02:00
Mathieu P.
Réactions
<p><strong>Depuis que j'ai changé de voie, je jette de temps en temps un regard sur LinkedIn. Je suis toujours frappé par l'omniprésence des articles du type "Les 7 habitudes des innovateurs" et autres articles à contenu similaire, générale interchangeable et tenant parfois de l'enfonçage de portes ouvertes.</strong></p> <p>J'en étais plus ou moins là quand Tyler Cowen, sur le blog Marginal Revolution, a relevé qu'un des ouvrages fondateurs du genre, <em><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sept_Habitudes_des_gens_efficaces" hreflang="fr" title="Les Sept Habitudes des gens efficaces (Wikipédia)">Les sept Habitudes des gens efficaces</a></em>, avait été mis au programme d'un premier cycle universitaire, suscitant l'ire des enseignants.</p>
<p>En l'état, il me paraît effectivement un peu ridicule de vouloir fonder un cours de présentation du contenu de l'ouvrage, que je vous laisse découvrir si vous ne le connaissez pas déjà. En revanche, un cours analysant dans une perspective historique cette banche de la production éditoriale me semble des plus intéressante.</p>
<p>En effet, en discutant avec ma femme de son travail, nous avons plusieurs fois parlé des traités d'éducation (à commencer par <em>L'Éducation d'un prince</em> d'Érasme) et des réflexions sur le "comment vivre" (question u centre des <em>Essais</em> de Montaigne), je me suis rendu compte que cette production avait une longue et honorable ascendance. Elle a aussi, une toute aussi longue et beaucoup moins honorable ascendance dans la multitude d'ouvrages populaires dont seules les bibliothèques ont gardé la mémoire, mais qui révèlent à quel point certaines questions alimentent les presse depuis au moins quatre siècles (voir par exemple ce ''<a href="http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/H/bo3622985.html" hreflang="en">How to do it</a>").</p>
<p>Quelle importance ? Les positions des hommes de la Renaissance sur comment bien vivre sont fondés sur une connaissance approfondie des classiques et de la philosophie chrétienne, ce qui leur permet de mesurer, dans leurs choix, la manière dont chaque conseil engage une conception profondes de ce que sont l'humain et la société. Cela entraîne une conscience des contradictions que peuvent cacher des principes apparemment séduisants ainsi qu'un effort pour vivre malgré ces contradictions. Montaigne en est là encore un exemple, qui se plaît à mettre en regard des exemples où l'obéissance à un même principe a tantôt sauvé la vie d'un homme, tantôt la condamné. Mis à l'épreuve par une époque violente, Montaigne s'attache également à faire la part de ce qu'il doit à la philosophie de ce qu'il doit à la pure chance.</p>
<p>À l'opposé, je vois souvent dans les articles contemporains au mieux une généralisation hâtive d'une expérience individuelle relatée avec assez peu de recul, au pire un conglomérat contradictoire de lieux communs. Au fond, il est donc sans doute dommage de se contenter dans la formations des cadres de ce type de contenu quand on peut existe déjà un fonds plus riche et plus profond</p>
<p>En retombant sur mes pattes d'économiste, j'ai l'impression que les humanités, en se cantonnant à une position d'étude académique des textes, des époques et des pensées, ont laissé un vide correspondant à leur fonction historique d'aide à la vie, à l'expression, à la décision. Ce vide, c'est une demande potentielle, qui a vite trouvé son offre, la communication venant offrir ce que l'ancienne rhétorique avait cessé de proposé, les manuels de management se substituant au <em>Prince</em> d'un Machiavel.</p>
<p>Du coup, j'irais sans doute plus loin que je ne faisais auparavant dans mes reproches quant à la manière dont les humanités répondent aux attaques sur leurs financements. Ne pas vouloir répondre à la question de l'utilité des humanités, ce n'est pas seulement une erreur dans l'allocation des ressources, c'est peut-être une faute, les humanités se coupant d'une de leurs fonctions essentielles, celle d'apprendre comment bien vivre.</p>
Note de lecture : The Second Machine Age
urn:md5:ee6fd623e5160bc461d93f4fba87ca5f
2014-03-20T23:17:00+01:00
2014-03-21T13:48:41+01:00
Mathieu P.
Notes de lecture
Informatique
Innovation
Internet
Note de lecture
<p>À l'invitation d'un agent, <a href="http://www.crunchbase.com/person/andrew-mcafee" hreflang="en" title="Andrew McAfee on Crunchbase">Andrew McAfee</a> et Erik <a href="http://www.crunchbase.com/person/erik-brynjolfsson" hreflang="en" title="Erik Brynjolfsson on Crunchbase">Brynjolfsson</a> ont repris leur volume auto-publié <em>Race Against the Machine</em> (notes de lecture <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/12/01/Note-de-lecture-%3A-Race-Against-The-Machine%3A">partie 1</a> et <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/12/08/Note-de-lecture-%3A-Race-Against-The-Machine-2/2">partie 2</a>) pour en faire un ouvrage plus conventionnel, intitulé <em>The Second Machine Age - Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies</em>.</p> <h3>Un ouvrage dans la continuité du précédent</h3>
<p>Dans son ensemble, l'ouvrage reprend les thèmes et la construction de <em>Race Against the Machine</em>.</p>
<p>Du fait de la loi de Moore et plus généralement de la croissance exponentielle des capacités des technologies de l'information et de la communication, les progrès de ces dernières vont aller à un rythme de plus en plus rapide. Ainsi, des tâches jugées il y a une dizaine d'années durablement hors de portée des ordinateurs (reconnaître des requêtes en langages naturel, conduire une voiture en conditions de trafic réelles) sont aujourd'hui une réalité (Siri et les Google cars en attestent).</p>
<p>Ces progrès ont une double conséquence. D'un côté, ils permettent de multiplier l'accès aux outils de la connaissance, de l'innovation et de la diffusion, permettant de créer et d'accéder à moindre coût aux marchés, qu'il s'agisse d'un marché global ou de marchés de niche (longue traîne). D'un autre côté, ils permettent de remplacer des travailleurs effectuant des tâches intellectuelles répétitives (recherche bibliographique, diagnostic médical) par des ordinateurs effectuant au minimum un pré-tri beaucoup plus rapide et efficace que ceux réalisés jusqu'ici par un grand nombre de cols blancs.</p>
<p>Face à cette situation, les auteurs relèvent qu'il faut se garder d'opposer humains et machines. En effet, les applications les plus efficaces de ces technologies combinent les deux plutôt que de proposer une situation en coin. Leur exemple fétiche est le jeu d'échec, où des équipes combinant humains et ordinateurs battent très régulièrement tant les plus grands maîtres que les plus puissants ordinateurs. Cette idée fournit la recommandation centrale de l'ouvrage : la clef pour faire bénéficier le plus grand nombre des gains de productivité induits par ces technologies est un apprentissage massif des manières de travailler avec les machines.</p>
<h3>Une différence d'approche</h3>
<p>Par rapport au précédent ouvrage toutefois, on sens une différence d'approche certaine. Alors que <em>Race Against the Machine</em> suivait un parcours intellectuel dont le contrepoint implicite est fourni par le point du vue luddite, <em>The Second Machine Age</em> écarte ce point de vue au profit d'une orientation générale plus positive. Le nouvel ouvrage consacre nettement moins de pages à la discussion des arguments luddites, au profit d'un exposé plus constructif sur la manière dont les technologies en question conduisent à la fois à une augmentation de la production (<em>bounty</em>) et à une augmentation des inégalités (<em>spread</em>). Selon la puissance de chacun de ces effets, on peut aller d'une situation où le progrès technique fait augmenter le niveau de vie de chacun, par effet de croissance, à une situation de déclassement de la classe moyenne, remplacée par des machines, tandis qu'une élite étroite engrange l'ensemble des gains de productivité.</p>
<p>Cette évolution dans la présentation reflète l'évolution générale du débat. Alors que <em>Race Against the Machine</em> voulait également répondre à l'argument de la stagnation (<em>The Great Stagnation</em> de Tyler Cowen, notes de lecture <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/02/15/Note-de-lecture-%3A-The-Great-Stagnation-%281%29">partie 1</a> et <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/02/15/Note-de-lecture-%3A-The-Great-Stagnation-%282%29">partie 2</a>), <em>The Second Machine Age</em> s'inscrit plutôt en regard de <em>Average is Over</em>, du même Tyler Cowen, qui met en avant l'effet de <em>spread</em> pour décrire un avenir sans classe moyenne<sup>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/03/20/Note-de-lecture-%3A-The-Second-Machine-Age#pnote-325-1" id="rev-pnote-325-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Ce changement d'orientation est particulièrement sensible dans la sélection que les auteurs font parmi les propositions de politiques publiques. Le traitement des politiques destinées à contrer l'effet de <em>spread</em> et à permettre au plus grand nombre de bénéficier des gains de productivité sont présentées avec plus de détails que dans leur précédent ouvrage. Les auteurs discutent ainsi plus longuement des mérites du revenu universel (inférieur à leur yeux à un impôt négatif, qui préserve mieux les incitation à travailler).</p>
<h3>Technologie et culture</h3>
<p>Si les auteurs ont fait un travail approfondi d'enquête auprès des innovateurs pour comprendre comment les innovations sont produites, on peut regretter qu'un travail similaire n'ait pas été effectué pour appréhender la manière dont elles sont reçues. Le côté ambivalent de ces technologies, qui permettent tout autant la surveillance que la communication, n'est évoqué qu'à la toute fin de l'ouvrage - ce qui semble léger au regard des révélations d'un Edward Snowden.</p>
<p>Face au potentiel d'utilisation néfaste de la technologie, les auteurs affirment l'importance des valeurs de ceux qui les utilisent. C'est à mon sens aller un peu vite, l'évolution des valeurs n'étant pas indépendante de celle de la technologie elle-même. Pour prendre un exemple du premier âge des machines, la combinaison en France du service militaire et du chemin de fer a eu une influence déterminante dans le passage d'une indentité locale au profit d'une adhésion fondamentale à la communauté nationale.</p>
<p>Plus fondamentalement, il me semble que les interactions entre culture et technologie jouent un rôle plus fondamental que ne l'envisagent les auteurs. Ceux-ci mettent en avant la manière dont Internet permet la diffusion plus rapide des idées, permettant d'augmenter le niveau d'information et les relations entre innovateurs. Cela est vrai si on dispose d'un langage commun et de représentations communes. Or, une tendance du réseau actuel est à la balkanisation des communautés et la concentration sur les personnes et sources d'information en accord avec les préjugés de l'utilisateur, ce qui va à l'encontre de la diffusion des idées percues comme venant du dehors. La prévention de ce risque de repli ne peut selon moi être que culturelle, dans l'éducation au dialogue et à la compréhension, programme qui dépasse très largement celui des auteurs, concentré sur la maîtrise des outils.</p>
<h3>Impression d'ensemble</h3>
<p>Je crois que <em>The Second Machine Age</em> est un ouvrage important pour comprendre la manière dont l'évolution de la technologie va très probablement produire des résultats de plus en plus surprenants au cours des décennies à venir. Les auteurs parlent d'un changement majeur, et ils ont des arguments qui me portent à les croire. La grande force de cet ouvrage est de mettre ces perspective en regard de leurs conséquences sur la distribution des revenus et des niveaux de vie. Je crois toutefois que ce livre en appelle un autre, qui mettrait ces évolutions également en regard des représentations sociales et culturelles.</p>
<p>Au crédit des auteurs, on peut remarquer qu'ils mettent en pratique ce qu'ils décrivent et recommandent. Ils ont tous deux un compte Twitter, qui leur sert vraiment à échanger, et le livre est assorti d'un site <a href="http://www.secondmachineage.com/" hreflang="en">http://www.secondmachineage.com/</a> comportant une partie discussion.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Note</h4>
<p>[<a href="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2014/03/20/Note-de-lecture-%3A-The-Second-Machine-Age#rev-pnote-325-1" id="pnote-325-1">1</a>] De la discussion avec <em>The Great Stagnation</em>, il reste essentiellement le chapitre "Beyond GDP" sur l'insuffisance croissance du PIB pour mesurer les gains de niveau de vie liés aux nouvelles technologies.</p></div>
La spécialisation, avenir des librairies ?
urn:md5:9e2faf0c931a03fa5e3a80a1108f589b
2014-03-20T17:08:00+01:00
2014-03-20T17:08:00+01:00
Mathieu P.
Économie de la culture
Libraires
Livre
<p>Le blog "Babbage" de <em>The Economist</em> se <a href="http://www.economist.com/blogs/babbage/2014/03/bits-and-mortar" hreflang="en" title="Bits and mortar ">fait l'écho</a> du succès d'une librairie spécialisée outre-Atlantique. Je ne peux m'empêcher de relever l'écart immense entre ce qui fait le succès de cette librairie et l'image que celles-ci continuent de vouloir projeter en France.</p> <p>En quelques mots, le succès de la librairie Ada réside dans :</p>
<ul>
<li>Une spécialisation poussée : les ouvrages techniques, en particulier ceux sur les langages de programmation</li>
<li>Un personnel hautement qualifié dans le domaine en question</li>
<li>Un inventaire important mais très soigneusement sélectionné</li>
<li>Des heures d'ouvertures larges (08h00 - 22h00, 7/7)</li>
<li>Un espace café à l'intérieur de la librairie.</li>
</ul>
<p>Ces points me frappent comme à l'opposé tant de l'existant que des représentations des librairies en France.</p>
<p>Dans les débats en effet, il me semble que la représentation de l'apport des libraires se focalise quasi-exclusivement sur leur rôle de conseil dans la littérature. Or, n'est-ce pas là que les jugements sont les plus subjectifs, et donc le conseil le moins fiable ? C'est aussi oublier que la littérature ne représente <a href="http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/89408/669581/version/1/file/Chiffres-cles_Livre_SLL_2012-2013.pdf" hreflang="fr" title="Chiffres clés du secteur du livre : l’édition 2014 (données 2012-2013) ">qu'un quart</a> de la production éditoriale, ce qui signifie que très concrètement, la librairie fait les trois quart de son activité sur les autres types de livres. Corrolaire du point précédent, je n'ai pas l'impression d'un grand investissement des librairies dans la spécialisation de la qualification du personnel.</p>
<p>En France, la question de la sélection de l'inventaire est en pratique largement obérée par la pratique de l'office, envoi automatique par les éditeurs et diffuseurs de titres aux libraires, ce qui diminue très significativement le pouvoir de sélection du libraire. Celui-ci est également limité par la faiblesse des surfaces, qui ne permettent pas de proposer un inventaire important, qui guarantirait au client la disponibilité du livre souhaité. Sur ce point, l'argument du prix des baux commerciaux tient assez mal, puisque les mêmes contraintes s'appliquent à la librairie Ada, qui a choisi de s'implanter dans une zone déshéritée.Il faut noter d'ailleurs que la disponibilité des livres s'étend à leur format, Ada proposant les outils nécessaires à l'achat des versions électroniques.</p>
<p>Chacun de ces points m'incite à penser que la librairie en France doit, pout survivre, repenser son modèle d'affaires, tant en termes de spécialisation que de gamme de services offerts.</p>
Trois questions sur le régime des intermittents
urn:md5:766375667f12f5d9681b6c92b7bb8621
2014-01-20T20:00:00+01:00
2014-01-20T21:16:07+01:00
Mathieu P.
Réactions
Régime des intermittents
<p>Via Étienne Wasmer, j’ai regardé hier <a href="http://videos.lesechos.fr/news/graphiques-vittori/chomage-les-privilegies-du-systeme-les-graphiques-de-vittori-32-3062966894001.html" hreflang="fr" title="Chômage : les privilégiés du système. Les graphiques de Vittori #32">cette vidéo des Echos</a> concernant le déficit des régimes spéciaux de l’assurance-chômage (celui des intermittents du spectacle et celui des intérimaires). Si la vidéo donne les grandes masses, je pense qu’il faut rappeler qu’il y a trois questions fondamentales sur le régime des intermittents, et qu’il faut bien les distinguer.</p> <p>La première est celle de l’existence même du régime : au regard des objectifs de politique culturelle, faut-il doter les intermittents d’un régime spécifique d’assurance-chômage ? En réponse à cette question, les intermittents mettent souvent en avant le caractère très fragmenté de leur travail. Ce qui est vrai, mais n’épuise pas le sujet, puisqu’il existe d’autres modèles d’organisation, tant dans le même secteur (système de troupes en Allemagne) que dans les autres secteurs (les consultants sont largement soumis au même genre de problème).</p>
<p>Si on estime que ce régime doit exister, la question est celle de son fonctionnement. On connaît les questions posées par l’utilisation de ce régime pour des contrats de fait permanents. On connaît moins le problème, à mon avis central, de la mesure du temps de travail. Question problématique à en croire les défenseurs du régime, dans la mesure où un intermittent qui travaille se forme aussi. Sauf que cela est vrai de tout salarié, et surtout que dans d’autres pays la question apparaît claire : soit on est payé à la tâche (et on ne compte pas ses heures), soit toute heure de travail est payée, ce qui inclut l’ensemble des répétitions, réunions de préparation, présence sur le plateau, etc. S’il veut faire cesser les attaques récurrentes contre ce régime, le secteur doit à mon sens faire preuve de beaucoup plus de transparence sur ce qui constitue une heure travaillée, ce qui passe par une définition à la fois plus stricte est extensive des heures de travail (avec évidemment des pénalités dissuasives).</p>
<p>La troisième question est celle de l’assiette du financement, et elle est indépendante de la seconde. En l’état, le régime de l’intermittence est financé exclusivement par les salariés du privé. C’est à la fois injuste (à revenu donné, chacun ne contribue pas à hauteur de ses capacités) et inefficace (plus l’assiette est réduite, plus une taxe est distorsive). Il s’agit probablement d’un point de consensus, mais les évolutions sont bloqués par une question politique : modifier le financement reviendrait à mettre en évidence une dépense de l’ordre du milliard par an, ce qui ne peut se faire qu’avec un soutien politique large. Soutien qui ne pourra sans doute venir que si le secteur fait le ménage dans ses pratiques.</p>
Reading notes: The Bankers' New Clothes
urn:md5:b8d2dc9ad5b664f04d78a15f8054fc03
2013-05-14T11:06:00+02:00
2013-09-23T13:02:34+02:00
Mathieu P.
Notes de lecture
Banques
Crise financière
Finance
Note de lecture
Régulation
Répression financière
<p><strong>Sur un conseil d'Alexandre Delaigue, j'ai lu <em>The Bankers' New Clothes</em>.</strong></p> <p><strong>Bankers' New Clothes is a useful book in that it makes clearly the case for higher equity requirements for banks. This does seem a much sensible path than separating ill-defined activities. The book does however fail to account for the difference between US and EU financial systems. As a consequence, significant costs of higher equity requirements are overlooked. The criticism of risk-weighted assets is unconvincing.</strong></p>
<p><em>Disclaimer: Author works for a major European bank. All opinions expressed here are purely its own.</em></p>
<p>Anat Admati and Martin Hellwig’s core point in Bankers' New Clothes is a simple one. There is one and only one way to reform the banking system and reduce the risk of devastating crises such as the one we have just experienced: to require banks to have more equity. This position is well-researched, backed by reliable experts (Paul Volker, Erkki Liikanen, Sir John Vickers to name only a few) . Influential research papers have been pointing this way of late.</p>
<p>BNC, however, attempts to be more than a well-documented and accessible statement of this position. The aim of the authors is to dismantle the arguments bankers use to resist the push for financial reform in general and higher equity requirements in particular. This attempt is partly successful, and partly a failure. Their demonstration is accurate when they draw sharp distinctions between the interest of banks and those of society in general, showing that even reforms that are costly to banks may be beneficial to society. They are less convincing when their narrowly US-centric point of view gets them to defend positions that are identical to those of US banks against the Basel framework.</p>
<p>Let us start by what is good in this book. It provides an easily understandable introduction to how the banking system functions. It demystifies many technical terms such as leverage, options, bank capital and so on. BNC puts forward, in a consistent and convincing manner, why one can think that banks must be held to much higher equity requirements. They successfully dismiss talks of structural reforms (return to a Glass-Steagall, Liikanen, Vickers and so on) as ineffectual. Financial crises are not an effect of bank structure, but of a fragility of the banking system itself, and the only buffer is bank capital (or equity), which was at an all-time low (in the 3% of total assets) in the run-up of the 2007 crisis. We will not discuss this point here: the optimal level of capital is the object of much debate, but it does seem that the socially optimal level would be higher than what is required by current regulation . For the authors, the proper level of equity to total assets would be in the 25% - 50% range (and possibly higher) where Basel III sets that ratio à 3% (and mainly as a backstop to the equity to risk-weighted assets ratio.</p>
<p>Things start to go awry when the authors claim that a rapid move towards high equity levels would be almost costless to society. We are always suspicious of free lunches. And we do believe that this is indeed no free lunch for society. To understand how BNC misses the trade-off, one must go into some unspoken assumptions and biases in the book. We will focus on two points:</p>
<ul>
<li>Bankers say that equity is more expensive than debt, and thus higher equity requirement would decrease lending, thus adversely impacting economic activity. BNC says this claim is false, since higher equity means safer banks, which turns into a lower risk premium on equity (a.k.a. The Modigliani-Miller theorem).</li>
<li>European banks say they are at least as well-capitalized as US banks. BNC says this is false, EU banks using unreliable risk-weighted capital ratios instead of ratios to total assets.</li>
</ul>
<p>Our objections to both points have a common root: BNC fails to account for the deep differences between the US and the EU. That failure makes it blind to why their proposed solutions would not work.</p>
<h3>Increasing equity is indeed expensive</h3>
<p>Let us take the claim that equity is more expensive than debt. BNC does recognize (but downplays) the importance of the tax wedge: debt repayments are not taxed, but dividends are (and sometimes twice), thereby providing a powerful incentive to debt funding. Absent that tax wedge, Modigliani-Miller should apply: a bank with more equity would be safer, and shareholders would require lower dividends as a result. So, why are banks resisting so vehemently higher capital requirements?</p>
<p>A recent (and much cited) article (David Miles, Jing Yang, Gilberto Marcheggiano: “Optimal Bank Capital") shows that the M-M theorem does work, but imperfectly. Using historical data, they show that one-third to one half of the expected lower returns requirements on equity do not materialize. This effect may be even bigger in a context where people are wary of banks and of investing in stocks as a whole. This is just the case in general, and in Europe in particular.</p>
<p>BNC seem to completely ignore that the investor landscape in Europe is not the same as in the US. Because of large public pension systems and reasonable healthcare cost and coverage, pension funds and insurers are much smaller than in the US, by several orders of magnitude. This means that there is simply less capital around (pay-as-you-go pension systems do not accumulate capital) and that it would be difficult (costly) for a bank to make large equity issuances. The problem is magnified by a composition effect (which BNC completely overlooks): even if one bank could raise more equity quickly, it is safe to think that all banks trying to do so at the same time would well exceed demand, leading to lower prices (ie expensive equity).</p>
<p>BNC makes a point that return on equity requirements should fall if the level of risk of banks decrease. In a perfect world, they should. In the current circumstances, we rather doubt it. Pension funds are significant investors in US banks. Those funds are currently in a quandary: they promised high returns (around 8%) when yields were high, and must now face that promise as yields on bonds are at an all-time low and they have little room to go to high-yield, high-risk assets. This means that even with a lower risk level, they may want to keep their ROE requirements: they need 10% – 15% of ROE just to keep their financial equilibrium.</p>
<p>A simple fact should have raised doubt on the idea that, faced higher requirements, banks would in fact comply by increasing equity: in recent year, we have witnessed a very large deleveraging of the EU banking sector in order to achieve Basel III capital ratios. If raising equity were indeed not that costly, why would have banks sold assets at depressed prices? This points to the fact that the risk of a credit crunch if equity requirements are implemented too quickly is real, not just an article of lobbying. When constrained, banks do cut credit and not just raise more equity.</p>
<p>While costly equity is a problem for banks, lower credit is a social cost. When funding costs increase, marginal projects cannot get funded, which is detrimental to activity. This effect comes over and above other distortions in bank lending underlined by the authors.</p>
<h3>Of accounting and risk-weighted assets</h3>
<p>The second point come whenever BNC compares US and EU banks. For several reasons, this is an apple-to-oranges exercise. The authors are partly aware of that. For example, a figure in the book (6.1) show how the US accounting standards (GAAP) vastly reduces banks' balance sheets compared with the EU's IFRS, by allowing the netting of derivative positions. They use that to show that the capital ratios of US banks would be lower under IFRS. Strangely enough, they forget that point several chapter later, when their target is the Basel framework. They claim there that EU banks have lower capital ratio than US ones. This is doubly a misrepresentation.</p>
<p>Firstly because of the difference of accounting: if computed under GAAP, EU banks would have the same level of leverage as their American counterparts (the case of Deutsche Bank, who publishes accounts under both systems, is a proof, as illustrated in Arroyo et al., 2012).</p>
<p>Secondly, the business models are very different, making leverage comparisons meaningless. In the US, pensions funds and institutional investors as well as the Glass-Steagall legacy generate a high demand for bonds. Banks have an originate-to-distribute model: they originate loans, and resell them in the form of bonds, keeping only a part of the riskier tranches in order to have some skin in the game. In the EU, there is much less appetite for bonds. Banks usually keep the whole loans on their balance sheet, resulting in higher but much less risky assets. Not accounting for that business model difference vitiates any comparison of leverage ratios.</p>
<p>Nowhere is this lack of understanding more evident than in the part devoted to the Basel framework and risk-weighted assets. Whole the book claims to be critical of bankers' arguments, it simply looks like a page off US banks' lobbying manual. The very public and vocal disagreements between US and EU banks should have raised several red flags: the bashing of the Basel framework by US banks is indeed self-serving.</p>
<p>Because of the originate-do-distribute vs originate-and-hold differences, US and EU banks have very different levels of risks in their assets. Accounting for that risk, ie using risk-weighted assets, would be very costly to US banks, who keep the riskier parts of structured transactions, when compared to the portfolio of large corporate and sovereign bonds and loans that are held by EU banks. NBC also misses whey risk-weights were introduced in the first place. With a simple leverage ratio, two banks with $100M assets and $20M equity are equally capitalized, and deemed equally safe. This is obviously misleading if one the banks have lots of speculative investments while the other has mainly US bonds in its portfolio. Using unweighted leverage thus provides a large incentive to concentrate on riskier assets for a given level of capital, and this is the very reason risk weight have been introduced in the first place (and so strongly resisted by US banks).</p>
<p>The RWA system does has its flaws, and the current regulatory portfolio reviews are exposing them. But advocating to simply scrape it in favor of an unweighted leverage ratio is unwise.</p>
<h3>Blame where it is due</h3>
<p>The third bias of the book is that on its intention of heap blame on the banks (and their regulators), it oversees other responsibilities. For example, BNC bashes Basel for risk-weighting all EU sovereign debt at 0% (riskless). This was not however the result of bank lobbying, but that of sovereigns themselves. They used that lever to secure cheap funding, at the expense of banks. Similarly, it is not the banks that rated AAA subprime senior tranches, but rating agencies, strangely absent of the picture in the book. We would not subscribe completely to the regulatory capture. During the crisis, regulators seem to have been more overwhelmed by the sheer dimension of the problems than anything else.</p>
<h3>Conclusion</h3>
<p>Let us be clear: We do believe that higher capital requirements would indeed increase the resilience of the banking system. We do think that now is the time where there is enough political will to push these requirements through. We do however believe that implementing them too quickly would be tremendously costly not only to banks, but to the economy as a whole. It would be far better to commit to a long-term, gradual march towards higher ratios. A condition for that is that US and EU banks manage to harmonize their accounting and regulatory environment.</p>
<h3>References</h3>
<p>Anat Admati and Martin Hellwig, <em>The Bankers' New Clothes: What's Wrong With Banking and What to Do About It</em>, Princeton University Press, 24/02/2013, ISBN-13: 978-0691156842, http://bankersnewclothes.com/</p>
<p>José María Arroyo, Ignacio Colomer, Raúl García-Baena and Luis González-Mosquera, “Comparing Risk-Weighted Assets: The Importance of Supervisory Validation Process”, Estabilidad Financiera, Banco de España, 22, 2012</p>
<p>David Miles, Jing Yang, Gilberto Marcheggiano, "Optimal Bank Capital" 6 juin 2012 DOI: 10.1111/j.1468-0297.2012.02521.x, The Economic Journal Volume 123, Issue 567, pages 1–37, March 2013)</p>
Reading notes: Launching The Innovation Renaissance: A New Path to Bring Smart Ideas to Market Fast
urn:md5:8ebf8e9f317f1dbe504e17b5d61fd7c6
2013-04-27T23:52:00+02:00
2013-04-27T22:54:04+02:00
Mathieu P.
Notes de lecture
Droit d auteur
Informatique
Innovation
Note de lecture
Propriété intellectuelle
<p><strong>A few thoughts and comments on Alex Tabarroks' <em>Launching The Innovation Renaissance: A New Path to Bring Smart Ideas to Market Fast</em>.</strong></p> <h3>Overview</h3>
<p>Upon a recommendation from <a href="https://twitter.com/ECONOMISTHULK">@ECONOMISTHULK</a>, I read Alex Tabarrok's <em>Launching The Innovation Renaissance: A New Path to Bring Smart Ideas to Market Fast</em>. I believe it to be a very good book, which usefully complements <a href="http://marginalrevolution.com/" hreflang="en" title="Marginal Revolution, Cowen's and Tabarrok's blog">Tyler Cowen</a>'s <em>The Great Stagnation</em> (Reading notes <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/02/15/Note-de-lecture-%3A-The-Great-Stagnation-%281%29">here</a> and <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/02/15/Note-de-lecture-%3A-The-Great-Stagnation-%282%29">there</a> in French) and <a href="https://twitter.com/erikbryn" hreflang="en" title="Compte twitter @erikbryn">Erik Brynjolfsson's</a> <em>Race Against the Machine</em> (reading notes <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/12/01/Note-de-lecture-%3A-Race-Against-The-Machine%3A">here</a> and <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear2/index.php/post/2011/12/08/Note-de-lecture-%3A-Race-Against-The-Machine-2/2">there</a>, in French also).</p>
<p>The book starts with more or less off the same base as Cowen's: productivity, the main measure of how technical progress translates into economic activity, has been stagnating for the last twenty years or so in the US. Tabarrok's point is that the choice between stagnation and innovation revolves mainly around three topics: patent (and intellectual property) law, education, and globalization.</p>
<p>The arguments in the book are familiar. Patent law is so broken that it represents an obstacle for innovation. Overly long patent and IP protection provide little incentive to innovation when new ideas or products can be smashed by incumbents or patent trolls. Tabarrok does not propose to scrape it, but to amend it, using variable-duration patents and research prizes, which would restore better incentives. The US education system is as broken as the patent system is, with too few people completing high school and too many going to college (and dropping out). Better paid and more accountable teachers is the proposed solution for the former, more vocational training the way to cure the latter. Finally, the book shows how the rise of China and India can be a boon to the US, since it increases the world stock of ideas and innovators. The US are not reacting well to that opportunity, erecting barriers to the world's best and brightest.</p>
<h3>Opinion</h3>
<p>I believe that there is little to discuss about the book's core points. They are valid. There are huge gains to reforming IP law, fixing the education system and enabling a better circulation of people and ideas. They are worth repeating and spreading. There is however a small point where I beg to differ. In his chapter "College has been oversold", Tabarrok contrasts the stagnation or decrease of graduates in science with the increase of graduates in the Humanities, arguing that the latter reprensent a lesser potential contribution to innovation than the former. I believe that such thinking is one of the reasons why, despite a steady technological progress, productivity has been stagnating: acceptance of its social consequences has been taken for granted.</p>
<p>Let me take an example: fifteen or twenty years or so, the oldest subway line in Paris was fully revamped. A project was put forward that featured automatic (driverless) trains. It was not implemented, not for cost or technical reasons, but because passengers overwhelmingly said that they would not accept to board such trains. This very same line is now automated, but the delay arguably had a significant cost. I this that this example generalizes. Tabarrok explains how the regulation thicket is hampering innovation in the US. He doesn't question why there is regulation in the first place/ My take is that this regulation is a byproduct of a widespread fear of change. People have by and large seen their works and lives been transformed by technology, not always for the better (a point convincingly made by Brynjolfsson). So they have grown suspicious of innovation. I doubt piling up more innovation is going to alleviate that doubt. This is where psychology and sociology come in: understanding that fear, and providing tools to alleviate it, could be one of the most innovation- and growth-enhancing research agenda.</p>
<p>The role of the humanities is actually wider. Larger labor force participation form women has been a huge boost for growth during the past century. This was not due to any technical innovation, but to social innovation: a new status for women. Are there such opportunities around now? Obviously yes. Tabarrok shows that drugs that would add a few years in life expectancy would generate benefits in the trillions. This is a huge number. I would however be dwarfed by the benefits of just having US people eating less, eating healthier food and working out just a bit more. There is no pill nor clever gizmo for that: you have to understand how and why people make every day small choices that are detrimental to them. The point has been amply made in the case of development studies by Banerjee and Duflo, or by Thaler's and Sunstein's <em>Nudge</em> book.</p>
<p>I also felt that Tabarrok was sometimes restricting his vision of growth to GDP-measurable growth. Cowen showed how much of the contents we now consume are very inadequately (if ever) captured by the GDP metric - this note being an example. However, we consume an increasing quantities of these contents, and this is where the humanities come to fruition.</p>
<p>Again, the main points of the book are valid. We do need more students going into science, and we definitely need more science awareness in the general population. We need a simpler and more reasonable IP regime, and easiers flows of people and ideas. But whereas former technological revolutions were mostly top-down (a capitalist built an electricity-driven factory), this one is bottom-up. Because it is rooted in network effects, you need peoples' full participation. There is no way you will get that without a deep understanding on how they think, make their choices and what their aspirations are. Going from STEM (science, technology, engineering, and mathematics) to STEAM (the same plus arts) may be a condition for the innovation Renaissance. As it was in the historical Renaissance, by the way.</p>