Note sur le prix unique du livre
Une des personnes avec qui je travaille (et que je remercie ici) m'ayant suggéré de faire une petite note de synthèse sur le prix unique du livre, j'ai décidé de tenter l'exercice. Le résultat (à l'état de document de travail) est ici : PrixUnique.pdf.
Tous les commentaires sont les bienvenus.
Publié le lundi, novembre 3 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mardi, novembre 4 2008
21:42
Euh... dans la série "Moggio commente un billet de Mathieu P. dans la catégorie "Économie de la culture"", encore un p'tit commentaire ! ;-)
— MoggioD'abord, merci pour cette synthèse remarquable et pratique.
Une première interrogation (qui signale peut-être ma faible compétence en économie industrielle...) : si les arguments économiques de promotion (diffusion informationnelle) sous-optimale et de stocks (disponibilité des ouvrages) sous-optimaux peuvent venir motiver économiquement la mise en place du prix unique du livre (face à deux défaillances de marché reposant sur une information imparfaite sur la qualité du bien et sur la demande à venir de ce bien), caractérisent-ils seulement, et pris ensemble, le seul secteur du livre ? Par exemple, je pourrais faire parler le vendeur hi-fi de mon centre-ville, qui a un certain stock de produits disponibles dans sa boutique, pour l'achat d'un lecteur de CD, pour ensuite, informé, aller chez Carrefour, qui a un stock moindre en termes de variété de produits disponibles, pour acheter à moindre prix. Si le secteur du livre n'est pas le seul à avoir les deux caractéristiques en question, comment font alors les autres secteurs concernés sans prix unique ? S'ils n'en ont pas, produisent-ils et distribuent-ils avec, du coup, une réduction du bien-être collectif, s'il y a sous-optimalité en laissant précisément faire le marché ? Ou alors, économiquement, le secteur du livre aurait une caractéristique spécifique (un "argument spécial") que n'ont pas les autres secteurs concernés par les deux caractéristiques et qui viendrait justifier le prix unique pour le secteur du livre, à l'inverse des autres secteurs en question ? Est-ce cela ? Ou bien le secteur du livre n'a pas cette caractéristique spécifique, n'a pas cet "argument spécial", et la réglementation "prix unique du livre" est finalement justifiée sur la base d'un motif non économique ? Je pose, à nouveau, ces questions car j'ai l'impression qu'il arrive assez souvent que les arguments économiques avancés pour justifier tel ou tel dispositif de réglementation à une industrie culturelle ne sont pas exclusifs à celle-ci dès qu'on creuse un peu et que, à un moment ou à un autre, un jugement de valeur intervient pour dire que, même si d'autres industries - non culturelles, précisément - ont aussi les mêmes caractéristiques, il convient de favoriser la première industrie plutôt que les secondes. Je me trompe ? J'ai manqué une étape ? Quels seraient vos éléments de réponse, sil vous plaît ?
Une autre interrogation, au sujet de votre page 8, où vous parlez d'innovation et de concurrence : est-il abusif de considérer que la protection vis-à-vis de la concurrence qu'apporte le "prix unique du livre" n'a pas vraiment incité, dans le temps, la partie "distribution" de la filière du livre à innover (beaucoup), d'où, notamment, les doléances récentes de certains libraires réclamant un peu plus de protection au réglementeur à l'heure du "numérique" caractérisée par l'arrivée récente de nouveaux acteurs (innovants précisément) ? Je crois savoir qu'il n'a pas été "démontré" théoriquement ou empiriquement que la concurrence favorise toujours l'innovation (conférence de François Lévèque) mais n'y a-t-il pas ici une part de vérité ?
Enfin, à la page 10, section 4.2, vous écrivez : "Si [l'élasticité-prix de la demande de livres] est faible, le renchérissement aura au contraire peu d'impact sur les comportements de lecture, mais signifie un coût réel de la mesure plus élevé." Si je comprends la première partie de votre phrase, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la seconde. Que voulez-vous dire ici, plus précisément ?
Merci pour vos réponses.
mardi, novembre 4 2008
22:33
Il me semble qu'il existe une véritable différence entre les livres et la musique enregistrée, au sens où l'information sur cette dernière, voire son écoute intégrale, est beaucoup plus aisément accessible. La diffusion radiophonique, l'écoute à la carte chez les vendeurs de disques eux-mêmes, permettent de se faire une bonne idée de la teneur d'un album, et dans le cas de la radio, parfois d'en connaître l'essentiel du contenu. Rien de tel n'existe pour les livres, où l'exercice de sampling demande une attention beaucoup plus soutenue, et surtout beaucoup, beaucoup plus de temps : un album dure une grosse heure, temps au cours duquel un lecteur moyen lit une centaine de pages de livre de poche, ce qui fait un très court roman. J'imagine qu'on pourrait assez facilement tester cette impression, par exemple en faisant deviner à des publics avertis l'auteur d'une uvre sur la base d'un extrait de quelques minutes (les livres étant lus à haute voix).
Concernant la page 8, je pense effectivement que la faible concurrence au sein de l'oligopole éditorial ainsi qu'entre librairie a contribué à la grande impréparation du secteur face à la numérisation des contenus.
Pour la page 10, si l'élasticité-prix de la demande est faible, une hausse du prix induit une diminution de faible ampleur de la demande. Du coup, un renchérissement des livres lié au prix unique aura peu d'impact sur la demande (ce que je voulais dire par « comportements de lecture ») mais la hausse de la part du budget ainsi consacré aux livres se fait au détriment d'autres postes budgétaires (et au prix d'une diminution des revenus assignables à d'autres dépenses), qui se trouvent ainsi supporter ce que j'appelle le « coût réel » de la mesure.
— Mathieu P.mardi, novembre 4 2008
23:19
Merci !
— MoggioJ'avoue être un peu frustré par la première partie de votre commentaire consécutif au mien mais j'ai peut-être donné l'impression que je parlais de CD musicaux alors que je voulais parler de lecteurs de CD (l'équipement pour lire ces CD) et d'industries non culturelles plutôt que culturelles, comme point de comparaison pour formuler mes premières questions.
Je partage plutôt votre avis sur la contribution à l'impréparation dont vous parlez (page 8). Le parallèle est peut-être à faire ici pour un autre oligopole culturel, celui de la musique enregistrée...
Merci pour votre éclaircissement concernant la page 10 : j'ai compris !
Bon, je vais me coucher.
Bonne nuit !
mercredi, novembre 5 2008
11:16
J'avais mal compris votre remarque initiale. Les lecteurs de CD sont un bon exemple, à mon sens, de la différence avec les biens culturels. D'abord, un lecteur présente un certain nombre de caractéristiques techniques assez directement vérifiables (ou mieux, contractualisables par le fabricant) qui donnent une bonne idée de sa qualité : tiroir ou clapet, proportion de pièces mécaniques, présence ou absence de fonctionnalités particulières, puissance du système d'amplification, etc. qui couvrent l'essentiel de ce qu'on attend d'un lecteur de CD. En comparaison, les éléments matériels d'un livre (nombre de pages, reliure, papier) sont peu informatifs (considérer une étagère de livres de poche d'une même collection). Pour fournir cette information, il n'y a pas, sauf pour le très haut de gamme, d'avantage informationnel fort pour le vendeur connaissant le métériel qu'il vend : les caractéristiques techniques sont les mêmes, le plus souvent fournies par le fabricant et éventuellement certifiées par un organisme tiers. Un gros vendeur peut d'ailleurs réaliser des économies d'échelle considérables en testant une large gamme de produits (politique de la FNAC en ce domaine). L'important n'est en effet pas de savoir découvrir les goûts de l'acheteur, mais de mettre en évidence les points forts et faibles de chaque produit, qui sont des caractéristiques objectives, même s'il y a une hétérogénéité concernant l'importance à leur donner.
En outre, dans le cas d'un lecteur de CD, je peux demander à un tiers son opinion avec l'idée qu'elle va concorder avec la mienne sur des points de dépendant pas de goûts personnels. En la matière, « j'ai aimé » peut se traduire par « ce lecteur a un bon rendu des aigus, ce que j'apprécie quand j'écoute les vocalises de la Reine de la nuit. ». En revanche, l'opinion sur un bien culturel est fondamentalement dépendante des goûts du tiers, et faute de les connaître, il m'est difficile de trouver dans son avis beaucoup d'information.
Enfin, et surtout, pour les lecteurs CD, le signal-prix est informatif. Faire un appareil de bonne qualité coûte tout simplement plus cher qu'un appareil de mauvaise qualité. Soit la concurrence pousse le prix au coût marginal (et le prix est parfaitement informatif), soit le fabricant a envie de signaler qu'il propose un produit de bonne qualité, et va le faire par le prix (qui est alors partiellement informatif). Rien de semblable pour les livres : non seulement il n'y a pas de différence flagrante de coûts (marginaux) de production, mais en plus, le fabricant lui-même ignore la « qualité » de son produit. Il n'y a donc pas de rôle pour un signal-prix dans ces conditions.
— Mathieu P.mercredi, novembre 5 2008
17:35
Merci beaucoup pour votre commentaire complémentaire.
— MoggioN'ayant pas lu les articles de Telser (1960) et de Deneckere et alii (1996, 1997), la question générale que je me posais hier soir était celle du champ d'applicabilité des deux "arguments" de sous-optimalité portant sur la promotion et les stocks. Ces auteurs les utilisent-ils uniquement dans le cas d'industrie(s) culturelle(s) produisant des biens d'expérience ? Ou bien sont-ils bien plus "généraux", en pouvant concerner de nombreuses industries non culturelles ? En outre, s'ils peuvent concerner aussi de nombreuses industries non culturelles, est-ce toujours le cas lorsque les deux "arguments" sont "valides" simultanément, comme c'est le cas pour l'industrie du livre, d'après la section 3 de votre note ? Enfin, si, d'un point de vue économique, ce couple d'"arguments" n'est pas exclusif à l'industrie du livre, comment alors les invoquer "solidement" ou "légitimement" pour celle-ci alors que d'autres industries non culturelles tout autant "concernées" potentiellement ou concrètement ne bénéficient pas, elles, d'un dispositif de type de "prix unique" ? (Je ne sais pas si je suis très clair, à défaut d'être pertinent...)
Désolé de vous poser autant de questions. D'avance, merci si vous trouvez encore un peu de temps pour m'éclairer un peu plus.
mercredi, novembre 5 2008
22:34
Les articles de Telser de Deneckere se placent dans un cadre beaucoup plus large, et concernent de fait de nombreuses industries. Ils prennent place dans une littérature qui s'interroge sur le bien fondé de l'interdiction per se de l'imposition de prix aux États-Unis. La plupart des auteurs recommandent la règle de raison, en fonction des caractéristiques du marché, à commencer par l'ampleur et la valeur du service apporté par le détaillant. La ligne argumentative que je suis est donc de dire que dans le contexte des années 1980, le service rendu par les libraire était particulièrement important dans le secteur du livre, du fait de propriétés d'incertitude tant côté production que côté demande, et que cela justifie l'autorisation d'une imposition du prix. On peut, ce que je n'ai pas fait, s'interroger sur la nécessité d'obliger la fixation du prix, plutôt que d'en donner simplement la possibilité.
Potentiellement, il existe donc effectivement d'autres industries concernées, qui ne se font pas faute d'essayer d'obtenir la même possibilité, voire de la faire en toute illégalité (Disney a été plusieurs fois condamné pour ce genre de pratiques sur ses cassettes vidéo et DVD). Pour l'instant, aucune ne semble être parvenue à convaincre de l'existence d'une externalité informationnelle comparable à celle présente à l'époque dans le secteur du livre.
Il faut sans doute ajouter que le livre est un des rares secteurs où on peut estimer que la diversité de l'offre a une valeur en soi, et que la différenciation des biens est essentiellement horizontale plutôt que verticale, ce qui est à mettre au crédit de toute mesure réputée favoriser la diversité de la production.
— Mathieu P.jeudi, novembre 13 2008
22:54
Simplement pour signaler une faute d'orthographe qui m'a sauté aux yeux en passant (pas lu dans cet esprit), p. 12, pert pour perd dans la phrase «le prix unique du livre pert une de ses principales justifications». À part ça, l'article est clair et intéressant pour un béotien, totalement incapable de juger ce qu'il apporte à un pro.
— didiervendredi, novembre 14 2008
09:57
Merci, c'est corrigé.
— Mathieu P.vendredi, octobre 19 2012
15:46
Bonjour,
Je suis très intéressé par votre vision d'économiste sur le prix unique du livre, mais le lien est mort.
— charpealpouvez vous le réparer?
D'avance, merci
cdlt
A.Charpentier
vendredi, octobre 19 2012
18:00
Bonjour,
Plutôt que cette vieille note, je vous conseille de lire l'ouvrage présenté ici, ou mieux la version augmentée du même texte que constitue le premier chapitre de ma thèse (même lien).
— Mathieu P.