Le C2i, exemple du mal-fonctionnement de l'enseignement universitaire
Depuis trois ans maintenant, je m'occupe de tout ou partie de l'organisation du Certificat informatique et internet (C2i) niveau 1 à Paris 1. Il me semble que ce que j'observe est un exemple de dysfonctionnements multiples, chacun de faible importance, qui ensemble représentent un vaste gâchis.
Sur le C2i lui-même
Principe
Au départ, le C2i part d'un constat sain : les étudiants qui arrivent à l'université ne savent en général pas se servir d'un ordinateur. Même dans le meilleur des cas, rares sont ceux capables de rendre un document respectant une feuille de style minimale (on ne parle pas ici d'orthographe ou de grammaire, c'est une autre question dont je parlerai une autre fois). Réponse : il faut apprendre aux étudiants à se servir de l'outil informatique.
C'est naturellement là que les ennuis commencent. Cela n'étonnera certes pas un David Monniaux, mais les concepteurs du programme (pardon, le Référentiel) du C2i ne semblent pas maîtriser clairement la différence entre informatique et bureautique. Du coup, ce référentiel constitue un cas d'école des ornières dans lesquelles peut s'embourber la pédagogie par objectifs. Il mélange en effet des « compétences » totalement vagues (exemple : « Prendre conscience des nécessaires actualisations du référentiel du C2i® niveau 1 », dans la partie A1) et d'autres absurdement pointues et détaillées (« Créer des schémas (formes géométriques avec texte, traits, flèches et connecteurs, disposition en profondeur, groupes d’objets, export sous forme d’image). », dans la partie B4), sans guère de hiérarchie entre elles.
Naturellement, il est nettement plus facile d'évaluer la première compétence que la seconde, et plus facile d'en expliquer l'utilité immédiate aux étudiants. Du projet d'avoir des étudiants computer-litterate, on tombe donc assez rapidement dans la fabrication en série de signes pousse-bouton. L'implémentation qui en a été faite n'arrange naturellement rien, mais il me semble que le passage de la déclaration d'intention au référentiel porte en germe l'essentiel des problèmes qui vont suivre.
Validation
Le C2i se valide en deux étapes, une épreuve théorique, qui consiste en un QCM, et une épreuve pratique, sur machine. Pour le premier, il existe une base de questions... à laquelle on n'a pas accès, parce qu'il y a trop peu de questions dedans pour qu'une stratégie consistant à en apprendre les réponses par cœur ne sont pas intéressante. Charge donc aux préparateurs d'entraîner en aveugle les étudiants à ces QCM. Du côté de l'épreuve pratique, il me semble que dans les cursus d'informatique, les épreuves sur machine sont rares, et ont de bonnes raisons de l'être. On va voir pourquoi par la suite dans le cas cu C2i.
Sur son implémentation au niveau national
Assez logiquement, la formation au C2i peut se faire en ligne. Le Ministère a même eu la bonne idée de commanditer un ensemble de cours couvrant tout le référentiel, accessible sur c2imes.org. Il faut rendre justice aux rédacteurs de ces cours : ils se sont fort bien tirés d'un exercice impossible, à savoir produire un cours utile (c'est-à-dire apprenant réellement à se servir d'un ordinateur, et pas d'une poignée de programme donnés) tout en l'appuyant sur des illustrations et des savoir-faire précis (et donc nécessairement limités à un petit nombre d'environnement et de logiciels).
L'ennui c'est que, faute de crédits j'imagine, ils se sont arrêtés là. Seuls quelques modules sont dotés de QCM, et les exercices donnés sont trop ponctuels pour bien préparer à l'épreuve pratique. Cela reporte donc mécaniquement la charge de l'essentiel de la préparation aux épreuves sur les enseignants qui en sont chargés.
Sur son implémentation au niveau local
Le C2i n'a pas de contenu disciplinaire propre. C'est heureux, puisqu'il a vocation à être passé par tous les étudiants, quelle que soit leur discipline. C'est aussi malheureux, parce qu'à moins de vouloir faire de l'informatique pour elle-même, on n'apprend pas à se servir d'un logiciel pour le seul plaisir de savoir s'en servir : il faut avoir un contenu à traiter. Du coup, dans chaque UFR, un « coordinateur » doit essayer de trouver des exercices ayant un contenu appartenant à se discipline. Et là, on a deux problèmes.
Le premier problème est que les compétences nécessaires pour être un bon formateur au C2i (par exemple, maîtriser les fonctions avancées à la fois de Microsoft Office et de OpenOffice) n'ont aucune raison d'être maîtrisées par les chargés de TD connaissant les contenus disciplinaires. Dans mon UFR, c'est sur cet écueil que s'est échouée la tentative d'intégrer la formation au C2i dans un cours de méthodologie à fort contenu économique. Naturellement, le problème se redouble souvent du fait que peu d'enseignant n'ont les compétences requises ou l'envie de les acquérir, ce qui fait que le rôle retombe souvent sur un moniteur ou un ATER, plus à l'aise avec l'informatique. Non pas que ce soit forcément une mauvaise affaire (quoique dans mon cas, j'y ai déjà passé beaucoup plus de temps que si j'avais fait autre chose), mais n'aide ni à la coordination au sein de l'équipe enseignante ou entre UFR, ni à la continuité de ce qui est enseigné.
Un exemple pour illustrer mon propos : chargé d'organiser cela pour l'UFR d'économie, j'ai appris en cours de route l'existence d'un certain nombre de régimes spéciaux (bi-licence, régimes aménagés) qu'il me fallait intégrer à mon dispositif de formation, ce à moyens constants (et insuffisants).
Le second problème est que cette situation génère une duplication absurde des investissements. Certes, il existe les modules du C2imes que j'ai mentionné, mais certaines universités, dont la mienne, ont aussi leur propre plate-forme de formation, et leurs propres modules. Ces derniers, achetés à une société spécialiste de la formation continue, sont de mon point de vue pédagogiquement très discutables, et d'autant plus qu'ils privilégient des savoir-faire acquis mécaniquement à une compréhension des principes de fonctionnement. Ajoutez à cela une formation pas-à-pas très chronophage et des conseils d'utilisation peu adaptés au monde académique (non, on ne veut pas tout plein de couleurs sur les présentations, noir sur blanc, c'est très bien), et vos avez un beau gâchis. De même, j'imagine que dans chaque université, des formateurs se grattent la tête pour trouver des sujets (qui pourraient profiter aux autres) et des QCM.Y compris dans mon université, naturellement : deux jeu de 20 questions et une série d'ébauches ont été réalisées, mais ne sont accessible qu'aux étudiants de l'université. J'ai essayé de faire comprendre qu'utiliser une plate-forme commune du type Wikiversité plutôt que de réinventer la roue pourrait être bel et bon, mais je prêche dans le désert.
Au minimum, on aurait pu attendre que le Ministère mette en place un site où les formateurs pourraient se communiquer sujets et QCM. Il n'en est rien, et chaque université garde jalousement son matériel pédagogique et sa préparation.
Ajoutez à tout cela que le C2i va être intégré dans la plupart des diplômes et qu'à l'heure actuelle je prépare péniblement 200 étudiants sur plus de 800 potentiellement concernés. Je sens que vous n'avez pas fini de m'entendre râler sur ce sujet.
Pistes d'amélioration
Pour ne pas faire un billet purement négatif, quelques pistes pour améliorer la situation. Premièrement, mettre d'urgence en place un site complémentaire à C2imes où les formateurs pourraient mettre cours et exercices avec une interface convenable. Deuxièmement, repenser ce qu'on met dans le référentiel qui, actuellement, n'est guère utilisable. Troisièmement, se demander si l'année de L1 est bien le bon moment pour passer cette certification.
Publié le jeudi, novembre 20 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Enseignement - Lien permanent
Commentaires
lundi, novembre 24 2008
17:35
Tiens, et maintenant, le Ministère veut que l'épreuve pratique couvre tous les aspects du référentiel. Déjà qu'une épreuve sur machine en temps limité est des plus discutable, car :
dimanche, novembre 30 2008
12:25
Vous devriez vous pencher sur le C2i2e, le même truc pour les enseignants... qui est censé être validé par 1/ les tuteurs des enseignants stagiaires, qui, le plus souvent, demandent de l'aide à leurs stagiaires pour faire fonctionner word, 2/ des formateurs Iufm qui conseillent des logiciels qui ont entre 5 et dix ans d'ancienneté... Avec des "épreuves" du genre "citer la personne ressource TICE dans votre établissement" ou "combien y a-t-il de postes informatiques dans votre établissement"...
— Une heure de peinemardi, juin 21 2011
13:55
Bien entendu un certain nombre de connaissances générales de bases sont nécessaires pour appréhender le monde informatique en général et l'ordinateur en particulier. Sans oublier le monde du libre, justement vecteur de ... liberté !
Mais l'essentiel devrait pouvoir se faire en pratique.
Tous ces " grands projets " descendant du haut vers le bas de la pyramide sont très coûteux et vitrifient le budget de l'éducation.
Chaque étage ou chaque "spécialiste" y ajoute son besoin pour aboutir à un dispositif inutilisé car trop complexe.
Alors qu'on est souvent en recherche de contenus pédagogiques, on est parfois obligé d'acheter ces modules outre-atlantique parce que nos pédagogues sont détournés de leur travail de création vers des usines à gaz improductives.
Quand aux innombrables chargés de mission qui ne savent quelquefois plus toujours très bien de quelle mission ils sont chargés... Autre débat...
Il est vraiment temps d'encourager les initiatives, de mutualiser les ressources et de rompre avec le sacrosaint tarif de l'heure d'enseignement, base de la rémunération, qui incite à la redondance horaire et à la création de misérables petits "fonds de commerces" exploités jusqu'à la retraite...
Daniel
— Daniel METHOTEnseignant retraité
Formateur à distance