Crise : pour en finir avec les donneurs de leçons
Depuis le début de la crise financière, une chose m'énerve prodigieusement : les « intellectuels » qui viennent sur les plateaux dire qu'ils l'avaient prévu depuis deux ans, et qui présentent ça comme une extraordinaire marque de lucidité. Non seulement c'est malhonnête de leur part, mais en plus cela ne révèle que l'ignorance de leurs interlocuteurs quand ils gobent cette posture. En fait, une lecture superficielle de The Economist chaque semaine suffit à se rendre compte que non seulement la crise était prévisible, mais que la seule question était de savoir quand elle allait se produire.
Pour s'en convaincre, il suffit de faire cette recherche. Quelques résultats choisis (malheureusement plus disponibles en version intégrale) :
- Édition du 24/08/2006 (il y a plus de deux ans, donc), deux articles qui décrivaient ce qui allaient se passer
- Et un avertissement avancé dans l'édition du 6/11/2003, concernant l'instabilité des bases de la croissance américaine.
L'anticipation de cette crise, donc, loin d'être une position marginale, était connue et acceptée comme une connaissance commune, au moins parmi le lectorat de cet hebdomadaire... qui manifestement a encore trop peu de lecteurs en France pour qu'on y sache ce qu'est une presse économique de qualité.
Publié le mardi, octobre 28 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : General - Lien permanent
Commentaires
mardi, octobre 28 2008
11:34
Ben on a le Monde diplomatique comme presse économique de qualité o_0
— Popo le ChienPar contre tu devrais en finir avec les donneurs de leçons, plutôt qu'en "finri".
mardi, octobre 28 2008
14:00
Ah si seulement les dirigeants des grandes banques ou des hedge funds étaient abonnés à the economist !
— Pierremardi, octobre 28 2008
16:41
Emmanuel Todd aussi en parlait déjà il y a plusieurs années...
— DCCela dit tu écris : "L'anticipation de cette crise, donc, loin d'être une position marginale, était connue et acceptée comme une connaissance commune, au moins parmi le lectorat de cet hebdomadaire" : euh... Petit problème de vocabulaire il me semble. L'anticipation est-elle une "position" ? Dit-on qu'on "connaît" et "accepte" une anticipation ?
Mais surtout que signifie exactement "anticiper" dans le cas présent ? Ceux qui anticipent ne sont pas les mêmes que ceux qui agissent ? Ou bien alors il n'y pas de pilote dans l'avion ?
mardi, octobre 28 2008
17:10
Je veux dire que ce que j'entends souvent, et pas plus tard que ce matin dans la bouche de Michel Rocard, c'est que certains (entendre les « gentils », qui sont contre la méchante finance et pour la Vraie Production Réelle qu'on peut toucher, c'est-à-dire les marxistes mal reconvertis qui n'ont jamais rien compris aux services) ont eu la grande sagesse de vous venir la crise, alors que les Grands Méchants Ultralibéraux ont été aveugles. Du coup, c'est assez amusant de voir que ce qui se fait comme plus libéral comme journal, lu par les Grands Méchants en question, avait annoncé la crise alors que les post-mater-marxistes en étaient encore à comprendre ce qui s'était passé en 2001.
Une anticipation est la croyance que quelque chose va se passer : elle est donc sujette (individuellement) à une connaissance (il faut savoir que la chose peut se passer) et (collectivement) à une acceptation, quand elle devient croyance majoritaire. En l'occurrence, la plupart des acteurs savaient que la crise allaient arriver, mais chacun pensait qu'il parviendrait à tirer son épingle du jeu en étant parmi les premiers à vendre. Pour répondre à la dernière remarque, non, il n'y a pas de pilote dans l'avion. Et c'est tant mieux, parce que si cet avion-là souffre de trous d'air, les différentes expériences de planification ont montré que quand il y avait un pilote, l'avion ne quittait jamais le sol.
— Mathieu P.mardi, octobre 28 2008
17:54
"qui décrivaient ce qui allaient se passer " --> "qui décrivait ce qui allait se passer" :-)
— chtit_dracomercredi, octobre 29 2008
01:33
Des intellectuels de ce type, on en trouvera toujours.
— PhilippeC'est surtout un problème de journalistes que nous avons, qui invitent ces "penseurs"-là et les laissent débiter leurs mensonges.
Sinon ; il y a tout de même un pilote, le chairman de la Fed, qui peut (et aurait dû) agir sur la quantité de crédit...
mercredi, octobre 29 2008
22:57
A voir certains commentaires, j'ai peur que tu aies loupé ton billet ;-)
— éconcolaste-stéphaneSi ça peut te consoler, d'après ce critère, on les loupe tous en ce moment.
jeudi, octobre 30 2008
16:04
Mwai, "presse économique de qualité", faut voir... c'est sûr que comparé à nos Capital / Alter écos & cie, c'est Byzance, mais bon... y en a qui émettent des réserves ;) rodrik.typepad.com/dani_r...
— VilCoyotejeudi, octobre 30 2008
19:33
Pour répondre à VilCoyote, Rodrik a aussi écrit ça un peu plus tard, qui corrige un peu son billet du 14 mars 2008. Il est vrai que, au regard de ses concurrents, The Economist est peut-être l'un des meilleurs hebdomadaires, voire le meilleur. Pour information, il a été recommandé par plusieurs économistes américains : P. Samuelson, W. Nordhaus, B. DeLong, N. G. Mankiw et O. Blanchard (qui est français d'origine).
— Moggiolundi, novembre 3 2008
14:20
Exercice amusant : mettre ce billet en parallèle avec les suivants :
mercredi, novembre 19 2008
09:53
Tellement prévisible qu'à aucun moment tu n'en parles dans tes notes de 2006 ou 2007. Peut-être as-tu pensé que c'était trop anecdotique pour en faire un commentaire. Quel dommage ! Tu aurais pu nous éclairer sur la crise à venir avec tes saines lectures.
— Little Cuckcoomercredi, novembre 19 2008
10:43
Bien essayé, mais contrairement aux pseudo-économistes qui peuplent les médias, j'essaye de ne pas donner mon avis sur des domaines où je n'ai pas plus de compétences que n'importe quel étudiant en Master d'économie.
— Mathieu P.mercredi, novembre 19 2008
13:24
Mouais...
— KillingtimeIl y a une différence entre savoir qu'il existe une "bulle" dont on sait qu'elle éclatera un jour ou l'autre et prévoir l'existence d'une "crise" aussi grave, si ce n'est plus que celle de 29 (en fait c'est pire). Peu l'avaient prévu. Et ceux qui l'avaient prévu se sont fait marcher dessus. D'ailleurs on dit encore aujourd hui qu'ils "jouent les Cassandre"... sic
Par ailleurs il y a une différence entre prévoir une crise DANS la finance et SAVOIR qu'il y aura une crise DE la finance (parce qu'on en connait tous les mécanismes de l'intérieur). Parce qu'évidemment ceux qui savaient n'avaient AUCUN intérêt à en parler. Bref ca sent quand même un peu la mauvaise foi.
Ex: Qui sait que les hedge funds ont perdu des sommes colossales qu'ils n'annonceront qu'à la fin de leur exercice comptable, espérant se refaire entre temps en spéculant sur les monnaies des pays de l'Est (en fait ils vont disparaître pour une grande partie d'entre eux)? La crise n'est pas derrière nous. La c'est juste la phase émergée de l'iceberg. Certainement pas ceux qui se contentent de lire la presse économique, même de qualité. Et encore moins les universitaires qui la plupart du temps n'ont qu'un vision idéalisée de ce qui s'y passe... ils en sont encore à penser que le prix est le résultat du jeu de l'offre et de la demande (il suffit d'un semestre en géoéconomie et/ou en RI, ou d'avoir fait de la com d'influence à un certain niveau pour savoir ça).
Bref rien n'a été prévu parce que les rares qui savaient se sont tu, et parce que ceux qui pouvaient parler dans les revues spécialisées ne savaient pas. Quand à la minorité des autres, ben personne ne les a écouté à l'époque (Roubini). Et les articles que tu cites sont loin du compte.
mercredi, novembre 19 2008
14:58
@vulgos : les commentaires de ce niveau-là, je les supprime. Question de simple hygiène intellectuelle.
@Killingtime : d'une part, je ne vois pas d'où vous sortez que la crise actuelle est pire que celle de 1929. Pour l'instant, on n'en sait essentiellement rien, et les indicateurs immédiats (taux de chômage, par exemple) sont encore très loin de ces niveaux (pour autant qu'ils constituent une référence pertinente). Je pense que vous avez un peu trop lu d'éditoriaux catastrophistes rédigés par autant de rédacteurs aux compétences et à l'intégrité intellectuelle assez douteuses.
D'autre part, ce que mon billet démontre, c'est que ceux qui avaient prévu cette crise, loin de s'être fait marcher dessus, avaient voix au chapitre dans une publication des plus autorisées. Ceux qui se sont fait marcher dessus, ou du moins ignorer, ce sont ceux qui nous annoncent depuis trente ans, avec une belle régularité d'ailleurs, une crise finale du capitalisme qui n'arrive jamais (et qui a de bonnes raisons de ne jamais arriver). Ils ne sont pas ignorés parce qu'ils ont annoncé cette crise. Ils sont ignorés parce qu'ils annoncent une crise en continu. Quand une crise arrive, ils ont raison... comme une montre arrêtée indique l'heure exacte deux fois par jour.
Pour les Hedge fund, pour l'instant, ils semblent avoir en fait mieux résisté. Les mauvaise langues diront sans doute que c'était parce que, moins régulés, ils étaient plus au fait des risques qu'ils prenaient que ne l'étaient des banques qui savaient pouvoir compter sur la puissance publique pour les sauver. Pour le reste, entre les sommes que vous supposez avoir été perdues et les gains réalisables sur la spéculation sur les monnaies d'Europe de l'Est, il y a autant de différence d'échelle que d'un petit pois à la Terre. Suggérer que l'un puisse compenser d'une manière non-infime l'autre est donc une preuve que vous ne comprenez pas de quoi il est question.
— Mathieu P.mercredi, novembre 19 2008
15:58
@ Mathieu P.
— Chrisvous dites : "contrairement aux pseudo-économistes qui peuplent les médias, j'essaye de ne pas donner mon avis sur des domaines où je n'ai pas plus de compétences que n'importe quel étudiant en Master d'économie"
étant donné le titre de votre article j'en déduit que vous êtes un expert en "donneurs de leçons", je suis d'ailleurs tout à fait d'accord avec vous, vous êtes un très bon donneur de leçons et il serait temps d'en finir.
mercredi, novembre 19 2008
17:08
Houlà, il y a a qui prennent mal qu'on s'en prenne à leurs idoles et autre prophètes d'apocalypse. En même temps, ce n'est pas spécialement une surprise, on avait déjà remarqué cela ailleurs.
— Mathieu P.mercredi, novembre 19 2008
17:53
pour ma part il ne s'agit pas d'idoles et encore moins de prophètes mais de sources d'informations et d'explications, comme vous l'avez si bien dit dans votre article je suis un interlocuteur ignorant tout de l'économie et de la finance et le fait que certaine alertes aient été diffusées par des "prophètes d'apocalypse" m'a en tout cas permis de préserver mes économies.
— ChrisEtant donné qu'il ne faut pas compter sur les banquiers pour avoir de bon conseils (il encourageaient d'ouvrir des PEA en 1999) et encore moins sur les politiques, les analyses et "prédictions" des "donneurs de leçons" que vous critiquez me sont très utile.
Etant donné votre formation tout ce qu'il se passe en ce moment est sans doute une évidence, mais essayer d'informer le plus grand nombre ne signifie pas forcément vouloir donner des leçons.
mercredi, novembre 19 2008
17:56
Merci Mathieu, je n'en attendais pas moins.
— vulgosPour le reste, ce n'est pas une question d'idoles, mais d'idéologies, et chacun a les siennes. On est pas tous du même bord, c'est tout. Ce qui a un peu changé ces derniers temps, c'est que vous ne pouvez plus vous cacher derrière votre pseudo-scientificité. Fini le matérialisme historique, finie aussi la main invisible. Vous mettrez un peu de temps à l'accepter, c'est tout à fait normal; pas facile de se défaire de ses croyances les plus solides. Et puis la réalité prendra le dessus, comme toujours.
Sachant que mon avis s'apparente fort à du trollage, je ne répondrais plus. Promis.
mercredi, novembre 19 2008
18:25
Chris, je crois que vous n'avez pas compris ce que je disais. Mon propos était justement de dire que toute personne anglophon et et faisant un effort minimal (suivre vaguement les articles de Une de The Economist chaque semaine) était informé. Informé, au sens averti qu'une crise financière ayant un impact sur la valorisation boursière arrivait à plus ou moins brève échéance. Après, à mois que l'essentiel de votre patrimoine n'ait été investi en actions, la seule utilité de l'avertissement pour un particulier était de prendre un crédit le plus tôt possible si on envisageait un investissement à crédit.
@vulgos: au revoir.
— Mathieu P.jeudi, novembre 20 2008
04:11
"4- USA 2010 : le scénario catastrophe
— hungry bearEurope 2020/LEAP a élaboré un scénario danticipation à moyen terme concernant les Etats-Unis. A partir des mêmes outils intellectuels qui avaient donné naissance à son scénario, désormais fameux, 2009 - Quand les petits-fils de Pétain, Hitler, Mussolini, Franco et Staline prendront le contrôle de lUE ; il sintitule 2010 : quand le Mur de Washington tombera. "
www.leap2020.eu/GEAB-N-1-...
3 octobre 2006
Voir aussi cette interview (passage sur les abonnements des institutions financières):
www.laspirale.org/texte.p...
Pour Roubini faudrait comparer les dates de publication et ce qu'il a dit exactement. Il est évident qu'il doit y avoir d'autres gens qui ont plus ou moins dit que ce genre de choses allaient arriver. J'avais suivi un cours sur l'équilibre général en présence de risque et avec anticipations où il était question du fait que "in the long run", l'information finit par arriver à tous les acteurs (désolé c'est très mal dit, je suis très flemmard et j'ai pas envie de chercher la publi). Mais c'est l'ordre dans lequel les acteurs reçoivent l'information qui fait les gains et les pertes (quand ils ont une épargne bien sur, les autres subissent).
Sinon je trouve les commentaires un peu dur avec le Monde Diplomatique... après tout c'est pas leur objet de faire du conseil en placements financiers et ils parlent pas que d'économie, contrairement à the Economist...
Et juste un dernier mot (que j'espère personne ne prendra mal) : si les économistes du public laissaient tomber l'idéal de scientificité (dans le sens affirmer "la science économique" ou même "les sciences économiques") sans pour autant perdre la méthode scientifique et s'assumaient comme super consultants mal payés mais avec la sécurité de l'emploi (enfin pas tous), on ferait sans doute un grand pas en avant ... juste une intuition.
Ex : "Nous nous faisons une concurrence à la Cournot" affirment en coeur les patrons des entreprises des télécoms/énergie etc "et surtout pas à la Bertrand". Bon je sais elle est facile...
L'économie c'est très sérieux et nous avons grand besoin d'économistes sérieux (et aussi de bonne vulgarisation économique).
Désolé si c'est pas très clair..
Amicalement.