Un autre doctorant du bureau m'avait prévenu. Puis sont arrivé les communiqués de la Présidence détaillant l'alternance blocage, occupation, évacuation, remise en état, réouverture, occupation, etc. N'ayant pas de cours ce semestre j'ai demandé à ce doctorant (qui lui en a) quelles étaient les revendications des étudiants. La réponse est claire, et déprimante : ils ne le savent pas vraiment eux-mêmes : loi LRU sur le universités, mais aussi contre les reconduites à la frontière, et aussi contre le paquet fiscal ou la réforme des tribunaux, et un peu aussi par solidarité avec les régimes spéciaux. Bref, des prétextes pour passer le rite initiatique de la grève étudiante en première année. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, mais les étudiants de troisième année du doctorant sus-mentionné (ceux qui ont fait les grèves du CPE, et se sont rendus compte que cette victoire leur avait coûté énormément en termes de lacunes à rattraper).

Je passe sur l'hostilité à la politique générale du gouvernement Sarkozy. Pour légitime qu'elle puisse être, ce n'est pas une raison suffisante pour faire une grève, surtout une année où l'équipe pédagogique a essayé de tout faire pour que les étudiants soient le plus suivis possibles, et sortent de leur première année avec de vrais acquis. Parlons donc de la réforme.

J'ai eu la chance qu'un ami travaille à l'Inspection générale des finances au moment où celle-ci examinait cette loi. Il a ainsi pu m'en donner les grandes lignes, sa thèse étant qu'il s'agissait d'une bonne réforme de technocrate, sans grand enjeu sauf de faciliter un peu le fonctionnement des universités en mettant en place des structures moins lourdes et en faisant sauter des contraintes légales sur les possibilité de trouver des financements extérieurs.

C'est ce dernier point qui est le plus mis en avant : à en croire les argumentaire entendus, et repris par Le Monde, il y aurait une privatisation programmée de l'université. J'ai du mal à comprendre comment on peut passer de la mesure de la loi (les université peuvent recevoir des fonds privés) à une telle conclusion. Je vois les étapes du raisonnement, et chacune me paraît plus hasardeuse que l'autre.

Étape numéro 1 : qui dit fonds privés dit contrôle par le privé des programmes d'enseignement (et de recherche, mais cela intéresse moins les étudiants). Cela me semble tout sauf évident, d'autant plus que les universités peuvent soumettre les dons importants à des clauses de non-ingérences. De telles clauses sont d'ailleurs inutiles dans les pays où de tels accords sont monnaie courante. États-Unis, naturellement, mais aussi le Japon, où les plus grandes entreprises se battent pour financer des programme dans des universités dont les diplômés les intéressent.

Étape numéro 2 : des programme des chaires financés sur fonds privés, on passe à un contrôle de l'ensemble des programmes. Manifestement, les étudiants qui disent ça n'ont aucune idée des longues tractations qui décident de ce qui constituera leur programme. Quel intérêt auraient les entreprises à entrer dans ce jeu long et complexe ? N'ont-elle pas déjà accès à une main-d'œuvre qualifiée pour ses tâches ? Certes pas dans certains domaines (ingéniérie, par exemple), faute d'étudiants en nombre suffisant dans ces fillières.

Étape numéro 3 : puisque leur apport de fonds (marginal) suffit à donner tout pouvoir aux entreprises, celles-ci se mettent à décider de la fermeture de certaines fillières (recherche fondamentale et sciences sociales). Là encore, l'argument tombe à côté de la plaque. D'une part, les entreprises sont très contentes de profiter des résultats de la recherche fondamentale sans avoir à la payer. Vont-elle tuer la poule aux œufs d'or ? D'autre part, s'il est vrai que certaines filières attireront plus de fonds privés que d'autres, qu'est-ce qui empêche les universités de faire les transferts nécessaires, rendus justement possibles par l'appoint privé ? Ah, oui, j'oubliais, les Présidents d'université sont aussi tous vendus au Grand Capital.

Le seul argument dans ce domaine qui me semble pertinent est celui des inégalités entre universités : certaines seront plus attractives que d'autres. Mais attendez, n'est-ce pas déjà le cas ? Il est de notoriété publique que les diplômes n'ont de nationaux que le nom. Il m'apparaît presque aussi clair qu'il y a en France beaucoup trop d'université, chaque élu de commune de quelque importance voulant son pôle universitaire, quitte à répliquer celui de la commune d'à côté. Dans des discussions précédents avec OBO, je n'ai pas fait mystère qu'à mon sens, fermer un certain nombre d'universités (avec des BU trop petites, et des effectifs trop faibles) pour concentrer les moyens sur quelques grands pôles, avec d'ambitieuses politiques de logement étudiant pour permettre la mobilité, me paraissait une solution possible au manque de moyens.

Autre argument, celui de la gestion démocratique. pour avoir entendu les comptes-rendus des AG du CPE, et ceux des premières AG de cette année, je ris (jaune) : bourrage d'urnes, décisions prises à l'usure, à la minorité la plus virulente, avec une couche de discours légitimant que c'est celui qui crie le plus fort qui a raison. Mais surtout, je ne vois pas en quoi l'université doit être une démocratie. Qu'il existe des conseils qui servent de contre-pouvoir, soit. Encore faut-il que les membres de ces conseils puissent être pris au sérieux. Et quand les délégués étudiants au conseil de discipline bloquent toute sanction par principe, j'ai du mal à les prendre au sérieux.

Bref, c'est à mon sens un très mauvais combat que livrent là des étudiants, d'autant plus mauvais que les lacunes accumulées en cas de grève longue vont leur faire un boulet qu'ils vont traîner pour toute la suite de leurs études. Cela a déjà été le cas, de manière anecdotique certes, pour le CPE. Pour cause de grève, certains étudiants n'ont pu passer les épreuves du Certificat Informatique et Internet (C2i). Faute de moyen, il a été impossible de les faire passer les années suivante. Certains ont ainsi dû renoncer à se présenter au concours d'entrée aux IUFM, pour lequel le C2i est obligatoire.