Signal et capital humain
Il va falloir que je me calme : l'abondance de notes signifie sans doute que je stresse pas mal en ce moment. Bref, un billet court pour vous faire part d'une remarque dans le débat entre signal et capital humain dans l'éducation.
Depuis un petit moment, on voit chez Econoclaste une discussion concernant les deux théories du système scolaire : celle de signal (le système scolaire n'apprend rien, il ne fait que sélectionner les plus productifs) et celle du capital humain (le système scolaire bâtit des acquis de méthodes et de connaissances qui augmentent la productivité).
Dans mes TD, j'ai été frappé par le désintérêt à peu près total que les étudiants avaient pour les contenus que je (et d'autres chargés de TD) voulais leur transmettre. Une seule chose les intéressait : que faut-il faire pour valider cette matière ou cette UV. Ils sont donc dans une perspective de pur signal. Le système autour d'eux, au contraire, structuré par le tabou de la sélection, ne jure que par une perspective de capital humain : quels outils peut-on leur donner pour comprendre le monde, devenir de bons citoyens, et accessoirement les rendre un petit peu employables ?
Par contraste, les élèves de classes préparatoires sont dans une pure logique de signal : peu importe d'en apprendre peu ou beaucoup, il faut en savoir plus, et montrer qu'on en sait plus, que les 1500 autres qui vont passer le concours cette année-là. Pourtant, non seulement les classes préparatoires donnent un acquis de méthodes assez clair, mais en plus les préparationnaires sont en général intéressés par les contenus des enseignements qui leur sont faits, et réagissent vivement face à un enseignement trop vide. Après coup d'ailleurs, de nombreux préparationnaires sont profondément convaincus de la théorie du capital humain.
Peut-être un biais de sélection, ou des déterminations sociales (les préparationnaires sont productifs parce qu'ils ont été éduqués dans l'idée qu'il fallait l'être, ce qui a fait qu'ils ont eu de bonnes notes, ce qui a fait qu'ils étaient pris en prépa), mais je reste assez perplexe devant cette bataille à fronts renversés.
Publié le jeudi, novembre 8 2007, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
vendredi, novembre 9 2007
10:56
"en plus les préparationnaires sont en général intéressés par les contenus des enseignements qui leur sont faits, et réagissent vivement face à un enseignement trop vide"
— SololHeu, là je crois que vous tirez une généralité d'un cas particulier (ceux qui passent de la Rue Saint-Jacques à la rue d'Ulm à la fin des concours par exemple :p). D'après ce que j'ai pu observer hors des prépas parisiennes, les élèves ne comprennent pas la moitié de ce que l'on y enseigne (c'est fait pour après tout), et ne travaillent les matières enseignées que "pour le concours".
vendredi, novembre 9 2007
11:13
Mon échantillon, qui n'est certes pas représentatif, est quand même plus large que ça, puisqu'il comprend des préparationnaires de Lyon en assez grand nombre, quelques-uns de Strasbourg, de Marseille et de Toulon. La différence se joue sans doute entre les prépas qui jouent vraiment le jeu du concours et celles qui servent de super-premier cycle. S'il y avait une nuance à faire, ce serait certainement plus dans la séparation entre littéraire, où ce que je dis me semble fonctionner à plein, et les scientifiques.
— Mathieu P.vendredi, novembre 9 2007
11:45
Bizarrement j'ai une expérience assez différente :
— Skav- des élèves de prépa assez peu intéressés par le contenu, qui réagissent vivement (=sèchent) aux enseignements qui n'ont pas d'impact sur les concours. Effectivement a posteriori ils reconnaissent les vertus en termes de capital humain, mais surtout a propos des méthodes plutôt que le contenu.
- les mêmes élèves en école d'ingénieur généraliste peu intéressés, peu présents, à part dans quelques matières précises auxquelles ils se destinent. Pour les autres matières l'important est de "valider" (signal), mais c'est facile donc une pression faible, notamment quand il n'y a pas de classement de sortie
- des élèves de fac (en master 2, donc non représentatifs), à la fois intéressés par les cours, très présents, et poussés par des considérations de signal (classement de sortie ~ bourse de thèse)
De là à conclure à une corrélation signal - capital humain ...
vendredi, novembre 9 2007
18:34
"Le système autour d'eux, au contraire, structuré par le tabou de la sélection, ne jure que par une perspective de capital humain"
— Effefix--
Dans la pratique, je pense que c'est aussi le mode de validation des acquis, qui necessite de reproduire fidelement ce que l'enseignant en charge du cours magistral inculque et/ou de savoir refaire les exercices vus en TD (il n'est pas rare que les sujets d'examen en soient un copier/coller...) qui leur donne des incitations dans ce sens-la. Et poussent donc a un comportement ultra-scolaire assez exasperant pour le charge de cours persuade que les idees qu'il cherche a faire passer sont importantes sur le fond, et pas seulement comme objet de selection en fin de semestre.
Lorsque les cours sont valides par un compte-rendu d'article de recherche, ou par un mini-memoire a rendre en de semestre, a l'image de ce qui se fait par exemple beaucoup plus souvent en Allemagne, il me semble que les comportements en classe sont differents.
samedi, novembre 10 2007
21:48
J'encadre justement un TD de méthodologie, qui prend la forme d'exposés, dont l'ensemble est ensuite repris dans un mémoire de groupe (donc une validation peu scolaire, d'autant moins qu'il n'y a pas de cours : ce sont leurs exposés qui leur servent de base pour réviser le partiel). La plupart sont perdus, au sens où ils ne savent pas quelle quantité de travail fournir (et donc fournissent une quantité minimale). Effectivement, le mode de validation doit jouer, mais à des niveaux plus élevés qu'en L1.
— Mathieu P.jeudi, novembre 15 2007
11:28
"Mon échantillon, qui n'est certes pas représentatif, est quand même plus large que ça, puisqu'il comprend des préparationnaires de Lyon en assez grand nombre, quelques-uns de Strasbourg, de Marseille et de Toulon." Hmm... Lyon, Strasbourg, Marseille (Toulon ?) : ne serait-ce pas là une liste s'approchant assez de celle des villes abritant des prépas B/L ?
— EmmelineContente de vous voir de retour, je vais pouvoir recommencer à défendre ma paroisse bec et ongles ! =)