Ma première expérience de correction de copies m'a surpris à plusieurs égards. J'ai certes eu quelques perles, comme la « Guerre du Golf », ou l'inévitable opposition entre gentils Keynésiens et méchants libéraux (sic, les uns avaient droit à la majuscule, mais pas les autres), mais relativement peu de bêtises en fin de compte. En revanche, la plupart de mes élèves ont versé dans le hors-sujet : devant produire une synthèse sur l'évolution des grandes variables conjoncturelle en France depuis 1945, la plupart se sont cantonnés à retracer l'histoire des politiques économiques des différents gouvernements. Pour troublante que soit cette réduction, je pense qu'elle est révélatrice de la manière dont on envisage l'économie en France.

Pour commencer, force est de constater que la perspective macroéconomique conserve une place privilégiée dans l'enseignement. Apparemment plus en phase avec les « vrais problèmes » (chômage en particulier), elle parvient manifestement mieux à se « vendre » que la microéconomie, avec son coût d'entrée mathématique, sa vision parcellaire et son individualisme méthodologique. De là découle sans doute une vision formatée par une vision d'IS-LM « hydraulique » (pour reprendre l'excellente expression trouvée sur Econoclaste, où les fondamentaux de l'économie sont fixés, et où le modèle prend en entrée une politique économique, et donne le chômage, la production et le taux d'intérêt en sortie. Du coup, j'ai fort à faire pour leur expliquer que l'économie est d'abord une question de fondamentaux et de décisions individuelle avant d'être une boîte plus ou moins noire (coucou Lucas) sur laquelle agissent des hommes politique en fonction de leurs préjugés (la différence entre un Keynes et un François Mitterrand dans la détermination d'une politique économique semble déjà ardue).

Ensuite, force est effectivement de constater qu'en France, l'idée que la santé de l'économie résulte de décisions individuelles a du mal à passer. On en voudra pour preuve le petit jeu qui consiste à de décharger collectivement de sa responsabilité sur le dos des hommes politiques qui ne prennent pas les bonnes décisions, hommes politiques qui rejettent la responsabilité sur l'Europe/l'OMC/la mondialisation/le conservatisme/les crypto-communistes/quidlibet. Du coup, expliquer qu'à long terme, la croissance est déterminée par l'investissement des entreprises, lui-même lié au taux de marge, à la répartition des profits et au taux d'intérêt a du mal à passer.

Enfin, la notion fondamentale du fonctionnement de l'économie comme résultante du jeu des incitations des agents ne semble pas du tout être comprise. En effet, le primat donné dans mes copies à la politique économique ne se résume pas à l'idée que de telles politiques peuvent fournir les bonnes incitations aux agents. Dans de nombreuses copies, l'idée dominante est qu'une politique économique fixe mécaniquement la variable considérée à la valeur voulue, et que si les politiques de relace n'ont pas eu les effets escomptés en France, la faute incombe à la contrainte extérieure (expression elle-même mal comprise).

PS : une deuxième vague de copies plus tard, je m'aperçois que le mal est encore un peu plus profond. Face à un sujet appelant à faire le lien entre histoire des faits économiques et histoire de la pensée économique, seuls quelques rares élèves ont fait le lien entre l'évolution des théories et celle des politiques économiques. Aucun d'entre eux n'a simplement suggéré que les nouvelles théories économiques venaient expliquer les nouvelles conditions économiques observées. Politiques comme théories sont ainsi vues comme découlant uniquement d'une perspective idéologique (politiques libérales contre politiques keynésiennes) sans que les effleure l'idée que les théories économiques puissent viser le monde réel. Je me rends ainsi compte que mes élèves envisagent un mode économique où l'idéologie, dans le cadre d'un immense complot, impose sa loi au réel. Heureusement pour moi, les faits sont plus têtus que ce genre d'illusions.