Egoïsme de l'homo economicus
Dans les sites ou les revues se voulant "orthodoxes" ou "alternatives", je tombe souvent sur l'idée qu'une faiblesse fondamentale de la théorie économique orthodoxe réside dans l'hypothèse d'"égoïsme" de l'homo economicus néoclassique. Cette hypothèse, lis-je, condamne a priori des modes d'organisation économique reposant sur la collaboration et la bonne volonté, et qui seraient un solution possibles aux problèmes actuels. Avant de critiquer cette hypothèse, il conviendrait pourtant de se demander pourquoi ell a été faite.
Pour la comprendre, on peut essayer de remonter à Adam Smith, qui se pose le problème suivant : Machiavel a montré comment l'absolutisme, par une centralisation extrême des pouvoirs de décision, pouvait permettre le bon gouvernement d'un pays. Peut-on obtenir le même résultat sans passer par un décideur unique et absolu, en laissant les agents faire eux-mêmes leurs choix ? Pour qu'une réponse à l'affirmative à cette question soit fiable, il faut qu'elle soit valable dans la situation la plus averse a priori à l'avènement d'échange : le cas où chaque agent ne considère que son intérêt propre. L'image de la main invisible de Smith ou de la Pareto-optimalité des allocations d'équilibre général à la Arrow-Debreu sont ainsi des figures d'un résultat puissant : même en faisant une hypothèse extrême sur la capacité des agents à agir en fonction du bien commun, on peut montrer que l'allocation découlant de leurs décisions égoïstes respecte certains critère d'efficacité. En d'autres termes, même des agents purement égoïstes vont s'engager dans des actions qui améliorent la situation d'ensemble, alors qu'ils ne prennent pas en compte cet aspect.
Remettre en cause cette hypothèse en supposant ex ante que les agents vont spontanément être altruistes revient à dire que l'hypothèse de départ est trop faible. D'une part, il est épistémologiquement étrange de reprocher à une hypothèse d'être trop faible si on ne parvient pas à prouver en la reforçant des résultats considérablement plus forts que ceux obtenus sous l'hypothèse faible. En l'espèce, ce n'est pas le cas : on sait construire des modèles où les formes d'entraide et de coopération reposent sur des comportements égoïstes. Ces modèles sont courants dans le cadre de l'économie du développement pour l'étude des mécanismes d'assurance et d'épargne lorsqu'il n'existe pas de marché financier accessible, et l'hypothèse d'égoïsme est testée sur les phénomène d'exclusion de ces arrangements des familles touchées par le sida.
D'autre part, on peut s'interroger sur la vraisemblance de l'hypothèse d'altruisme. En ce qui concerne la seule Europe, force est de constater que deux mille ans de christianisme, qui a le partage altruiste des biens matériels comme précepte essentiel, n'ont pas réussi à induire massivement des comportements si manifestement altruistes qu'ils ne puissent être expliqués par l'intérêt bien compris. Le partage reste l'exception, plus que la règle. De manière plus brutale, les régimes d'inspiration communiste, à commencer par l'URSS, ont tenté la même entreprise de formation d'un "homme nouveau", débarrassé de l'égoïsme petit-bourgeois. L'échec est patent. Est-ce à dire qu'on ne peut pas compter sur son prochain ? À un niveau individuel, on le peut souvent. Dans une perspective d'économie normative en revanche, on ne le peut pas.
On peut en revanche adresser la critique inverse à l'hypothèse d'égoïsme : celle d'être bien trop forte. En effet, les résultats évoqués précédemment supposent que les agents sont capables d'évaluer les conséquences à long terme de leurs actions, et surtout qu'ils prennent en compte le fait que certaines actions immédiatement profitables entraînent des effets néfastes à long terme. En d'autres termes, les agents ont un taux d'actualisation suffisamment faible pour penser au lendemain. Or; nombre de comportements économiques suggèrent que leur rationnalité est bien plus limitée que cela.
Publié le mardi, avril 18 2006, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
jeudi, avril 20 2006
10:28
A mon avis, le problème ne vient pas tant du fait que l'homoeconomicus est égoïste, naïf, omniscient ou je sais pas quoi. Du reste, il est très facile d'introduire l'altruisme dans les fonctions d'utilité des agents (cf. Becker). Un type de ma fac a même fait sa thèse la dessus...
— LCNon, le vrai problème vient plutôt de la méthode même (hypothético-déductive) à partir de laquelle on va postuler que l'agent est plus ou moins égoiste/altruiste. Comme le montre Friedman dans son fameux article, le réalisme des hypothèses importe peu, ce qui compte c'est leur pertinence au regard de l'objectif que l'on fixe à la théorie. Si c'est de faire des prédictions falsifiables, peu importe le contenu de l'homoeconomicus. Si c'est de comprendre concrétement les phénomènes économiques, et partant de là les logiques d'action des agents, alors toute considération a priori sur l'égoisme/altruisme des agents est infondée car c'est alors précisément le rôle de l'enquête scientifique que de déterminer dans quel cas l'agent est égoiste/altruiste, pourquoi il est comme ça et quelles conséquences cela a sur un plan macro.
Bref, la question est bien plus large que celle du prétendu "irréalisme" de l'homoeconomicus : c'est de l'objet de la science économique et de la façon de construire une théorie qu'il s'agit.
vendredi, avril 21 2006
10:01
"Adam Smith, qui se pose le problème suivant : Machiavel a montré comment l'absolutisme, par une centralisation extrême des pouvoirs de décision, pouvait permettre le bon gouvernement d'un pays."
— vulgosC'est juste un détail, je ne pense pas que Machiavel, républicain convaincu, aie montré cela. Il ne s'agirait pas plutôt de Hobbes?
dimanche, avril 23 2006
18:19
L'homo economicus pose un problème normatif plus que descriptif. C'est le problème de Friedman complété : selon lui, peu importe que les gens soient effectivement des agents rationnels et égocentriques; dès lors qu'ils vont être amenés à interagir avec d'autres, ils seront obligés de le devenir parce que ceux qui le sont l'emportent sur ceux qui ne le sont pas. Paradoxalement, il rejoint là toute la pensée critique, qui reproche exactement cela à la modernité et au capitalisme : obliger les individus à devenir des homo economicus. Heureusement, les deux ont tort.
— econoclaste-alexandresamedi, avril 29 2006
00:08
"Un membre de la famille bien intentioné m'a mis en main un article sur la décroissance, censément rédigé par un éonomiste"
— Econoclaste-SMMoi j'aurais dit "Un 'ancien' membre de la famille". Si c'était la mienne, je crois qu'on se verrait plus. ;o)
A part ça, vous avez raison de rappeler aussi souvent que possible que l'individualisme méthodologique n'est pas une parodie d'égoïsme. Il faut aussi le rappeler à certains de ses adeptes déclarés.
lundi, mai 1 2006
22:14
"l'individualisme méthodologique n'est pas une parodie d'égoïsme."
— FlaffDiantre ! Mais que faites-vous de toutes les publications assimilées à la micro-économie traitant de théorie des jeux, qui ne me semblent être, de prime abord, que des manuels de l'art de rêver à comment tondre son voisin, du moins, si la réalité avait le bon goût d'être une approximation satisfaisante du modèle ?
mardi, mai 2 2006
09:44
@ Flaff : ce que vous dites là montre bien que vous n'avez simplement pas lu mon billet, qui donne la réponse à votre question : la théorie des jeux montre précisément que même avec des joueurs purements égoïstes, on peut atteindre une certaine une certaine classe d'équilibres. L'égoïsme n'est pas un comportement conseillé ni encouragé par la théorie des jeux (qui n'en a d'ailleurs cure), c'est simplement l'hypothèse la plus contraignante, donc la plus robuste, sous laquelle on peut obtenir des résultats intéressants.
Ceci dit, je commence à en avoir ma claque de vos commentaires de ce type, qui ressemblent à un réflexe pavlovien anti-économie orthodoxe. Les prochains de ce tonneau seront blastés à vue.
— leconomistemardi, mai 2 2006
13:28
Il me semblait qu'au contraire la theorie des jeux montrait que la cooperation c'etait souvent profitable . Tsss , il y a un tres bon petit livre dessus( la therie des jeux ) par un mathematicien et/ou economiste, avec un espece de Rubicube sur la couverture, desole pas de reference sous la main. Mais ca ressemble a un Que sais-je.
— NadeLecture relativement facile, pas trop de math ( un peu quand meme ) et ca demistifie le truc.
Flaff , tu sais quoi faire au lieu de poster des betises.
mardi, mai 2 2006
14:10
Flaff : une autre lecture élémentaire en matière d'individualisme méthodologique est Smith, Adam, auteur écossais du XVIIIème siècle. Faites une recherche Google et vous trouverez des infos à son sujet.
— Econoclaste-SMEnsuite, on distingue théorie des jeux coopératifs et théorie des jeux non coopératifs. Inutile de préciser que la première est bien loin de correspondre à ce que vous dites. Quant à la seconde, une lecture d'égoïsme est d'un grand simplisme. Si l'égoïsme est l'attitude consistant à maximiser sa satisfaction sans se soucier des conséquences sur les autres, alors elle est tout l'inverse, puisqu'il s'agit au départ de prendre ses décisions en tenant compte du comportement des autres. Et si on peut aller dans votre sens, c'est d'une façon bien décalée, puisque là où vous comprenez une tentative de plumer son voisin, l'équilibre de Nash nous enseigne la peur de se faire mettre par son voisin. Ce qui est différent. Il se trouve par ailleurs que l'équilibre de Nash n'est qu'une étape du raisonnement de la théorie des jeux, qui depuis bien longtemps déjà essaie de comprendre comment et pourquoi émergent des équilibres de Nash optimaux (ceux où la peur n'est pas de mise), ou comment les sélectionner. Bref, vous êtes à côté de la plaque. Et d'une telle force cette fois-ci que même votre hôte, habituellement placide, n'a pas pu s'empêcher de vous le faire remarquer. Ce en quoi il a absolument raison. Le paradoxe, c'est qu'habituellement, je comprends rien à ce que vous racontez. Là , c'est limpide.
Confondre égoïsme et individualisme, c'est la vulgarité par excellence.
mardi, mai 2 2006
18:54
"ce que vous dites là montre bien que vous n'avez simplement pas lu mon billet, qui donne la réponse à votre question : la théorie des jeux montre précisément que même avec des joueurs purements égoïstes, on peut atteindre une certaine une certaine classe d'équilibres."
— FlaffRassurez-vous : contrairement aux apparences, je n'ignore pas qu'il existe un certain nombre de conditions énoncées dès le début de la réflexion économique expliquant à quelles conditions "atteindre une certaine classe d'équilibres" est envisageable. Pour autant, imaginez-vous servir l'intérêt de la science économique en laissant simplement sous-entendre que le libre cours de la réflexion individuelle "peut mener" à tel ou tel optimum (ce qui permet à tout un chacun de considérer que le libre usage de sa raison suffit à garantir qu'il ne nuit pas suffisamment à tel idéal social pour se dispenser de toute culpabilité ?)
mardi, mai 2 2006
20:24
Pour autant, imaginez-vous servir l'intérêt de la science économique en laissant simplement sous-entendre que le libre cours de la réflexion individuelle "peut mener" à tel ou tel optimum (ce qui permet à tout un chacun de considérer que le libre usage de sa raison suffit à garantir qu'il ne nuit pas suffisamment à tel idéal social pour se dispenser de toute culpabilité ?)
— TaiPSIl le veut son blast, ma parole !
Huissier, procédez à l'exécution ? Sans "culpabilité"
mardi, mai 2 2006
21:27
En fait, je me suis laissé emporter, pour des raisons exogènes (qui feront l'objet d'un prochain billet). Le cœur du problème est encore une fois que Flaff en demande trop à l'économie. Une personne qui se sert de raisonnement économiques pour lutter contre un sentiment de culpabilité est à côté de la plaque, un point c'est tout. L'économie dit les choix et leurs conséquences matérielles. Il n'est pas de son ressort de décider en matière de morale, ni de désirabilité politique (qu'on peut ici considérer comme une forme de morale collective).
— leconomistemardi, mai 2 2006
21:40
Pour me risquer à émettre une opinion personnelle, et tant qu'à faire, audacieuse histoire de bien laisser un flanc ouvert à la critique, je dirais que l'ambition d'Adam Smith me semblait être de vouloir démontrer qu'une société libérale ne succomberait pas nécessairement sous la puissance découlant du niveau d'organisation que pouvait atteindre une société centralisée ("sauce machiavel").
— FlaffIl a été observé que le problème est que le modèle de société que décrit Adam Smith pour décrire celui dans lequel sa théorie pourrait se révéler vrai ressemble terriblement à .... l'âge de bronze (ou, éventuellement, le règne d'Hadrien) ! On peut alors se demander pourquoi les soldats, les prêtres, le code d'Hammourabi ont existé. Quelles sont les réponses proposée par l'école classique à ces remarques ?
mardi, mai 2 2006
21:49
leconomiste : "En fait, je me suis laissé emporter, pour des raisons exogènes"
— Econoclaste-SMOuai, ouai... Et c'est souvent dans ces moments là qu'on dit ce qu'on pense... Le statut de tenancier de blog a un côté politiquement correct détestable. On accepterait pas le quart de certaines choses dans la réalité qu'on laisse passer ici. Enfin, c'est mon cas...
Gus : magnifique verbiage. Hors sujet. le problème est celui de la comparaison entre la richesse des nations et la théorie des sentiments moraux, qui donne clairement une vision de l'individualisme à des lustres de la parodie habituelle. mais bon, connerie d'économistes sûrement, pas vrai ? Pour ceux que ce genre de réflexions intéressent, je recommande ce bouquin de Dupuy :
econo.free.fr/scripts/not...
mardi, mai 2 2006
21:54
J'ajoute que les divers Folk Theorems montrent qu'une issue "coopérative" avec émergence de norme sociale peuvent parfaitement émerger même si tous les agents sont non-coopératifs. D'où le code d'Hammourabi, tout ça
— Antoinemardi, mai 2 2006
22:12
"le problème est celui de la comparaison entre la richesse des nations et la théorie des sentiments moraux, qui donne clairement une vision de l'individualisme à des lustres de la parodie habituelle. mais bon, connerie d'économistes sûrement, pas vrai ? Pour ceux que ce genre de réflexions intéressent, je recommande ce bouquin de Dupuy :
— LCecono.free.fr/scripts/not..."
Le bouquin de Dupuy est vraiment excellent au passage, et le chapitre sur Smith en particulier (celui sur Hayek est encore mieux à mon avis). Le problème dans tous ça, c'est qu'il n'y a strictement rien de commun entre l'individu smithien et l'homoeconomicus néoc. Ricardo, Mill et d'autres sont passés par là ...
mardi, mai 2 2006
23:13
Oula, il y a du délire sur Adam Smith, là . Petit rappel pour Flaff/gus/whatever qui croit observer des choses : Lorsque vous êtes dans un hypermarché, vous cherchez la caisse la moins occupée pour passer le plus vite possible. Ce faisant, vous contribuez à ce que la vitesse de passage de tout le monde aux caisses soit la plus faible possible. C'est ce qu'explique Adam Smith avec la "main invisible" : en poursuivant une fin strictement personnelle, vous contribuez à un bien collectif, sans en avoir conscience. Cela n'a jamais signifié que les hommes ne poursuivent que des fins personnelles et égoistes, ni que seule la poursuite d'un intérêt personnel contribue au bien commun (cette dernière thèse n'étant à ma connaissance présente que chez des intellectuels extrémistes, genre Ayn Rand). Mill, c'est encore autre chose, ie l'utilitarisme.
— econoclaste-alexandreRécemment, le meilleur bouquin sur la coopération dans l'analyse économique, sur la base de fondements biologiques, est celui de Paul Seabright (the company of strangers). Rien de mieux pour dépasser le débat "les économistes sont des méchants qui pensent que les gens sont égoistes".
mardi, mai 2 2006
23:52
A ma connaissance, aucun économiste n'a effectivement jamais prétendu que les individus n'étaient que égoïstes et que la seule poursuite de l'intêret individuel est ce qu'il y a de mieux. Mais par contre, il y a des économistes comme Menger ou Mill (de manière différente) qui ont clairement dit que le but de l'économie c'était d'isoler le comportement économique, i.e. guidé par le motif égoïste de la poursuite de l'intérêt personnel pour comprendre ses implications. C'est évident chez "l'homme économique" de Mill ou dans l'essentialisme aristotélicien de Menger. Ils ne disent pas que les comportements altruistes n'existent pas, seulement qu'il ne faut les prendre en compte que de manière secondaire et pour enrichir l'analyse. Il me semble que l'homoeconomicus vient de là ...
— LCLa question est : est-ce que ce genre d'isolation (qu'il n'y pas chez Smith à partir du moment ou l'on comprend que la TSM et la RN font système) est pertinente ? Pais le problème n'est pas de savoir si c'est réaliste ou pas... Après, pour traiter de la question de la rationalité et de la poursuite de l'intérêt personnel, il y a d'autres approches intéressantes à mon avis (par ex. Weber et toute la socioéconomie qui s'en inspire). Cela dit, rien n'empêche a priori ces approches de cohabiter...
mercredi, mai 3 2006
11:37
econoclaste-alexandre: "Lorsque vous êtes dans un hypermarché, vous cherchez la caisse la moins occupée pour passer le plus vite possible. Ce faisant, vous contribuez à ce que la vitesse de passage de tout le monde aux caisses soit la plus faible possible. C'est ce qu'explique Adam Smith avec la "main invisible" : en poursuivant une fin strictement personnelle, vous contribuez à un bien collectif, sans en avoir conscience."
— vulgosJe ne sais pas si ce que je vais dire à un quelconque intérêt, c'est juste une réflexion, donc pas d'insultes siouplait. :)
Dans l'exemple des caisses, est-ce uniquement le fait de poursuivre son intérêt personnel qui diminue la vitesse de passage de tous? Si par exemple je ne cherche que mon intérêt personnel, je peux vouloir resquiller et gagner des places au détriment de ceux qui font correctement la file. Cela peut finir (très probablement) en chamailleries et en disputes pour savoir qui doit passer en premier et qui feront perdre du temps à tous. Donc je ne vois pas en quoi on peut dire que l'intérêt personnel, du moins à lui seul, a fait gagner du temps à tous (au contraire, dans cet exemple, à lui seul il en fera perdre beaucoup à tous).
Si donc l'intérêt personnel fait habituellement gagner du temps aux caisses, c'est parce qu'il est canalisé par des règles "altruistes" (respect de l'ordre de la file). On est loin de la "main invisible" et même du manichéisme égoïsme/altruisme.
Ma question est donc celle-ci: la théorie néoclassique se soucie-t-elle des conditions dans lesquelles l'hypothèse d'égoïsme peut conduire à l'efficience ou, au contraire, fait-elle comme si l'hypothèse d'égoïsme soit seule suffisante pour conduire à l'efficience?
mercredi, mai 3 2006
12:47
Vulgos : là encore, vous faites fausser route. Puisque j'anticipe les disputes et chamailleries que vont entraîner mon attitude de resquilleur, je les compare au temps gagné en resquillant. Si ma perte à me faire engueuler est supérieure à mon gain de temps, alors rationnellement et suivant mon seul intérêt personnel, je vais respecter la file. Là encore, inutile de faire intervenir des préoccupations altruistes.
Pour répondre à votre question, j'ai déjà dit dans mon billet que l'apport de la théorie nécolassique était précisément de prouver que la maximisation rationnelle de l'intérêt individuelle était condition suffisante (mais non nécessaire) pour conduire à ces situations efficaces.
— leconomistemercredi, mai 3 2006
19:56
Oui enfin la théorie des jeux montre aussi que de mauvaises conventions peuvent émerger et être suivies durablement non?
— LCVoir par exemple cet article :
LARQUIER de Guillemette, BATIFOULIER Philippe - "Peut-on suivre de mauvaises conventions? Coordination et Pareto-optimalité", Economie appliquée, n° 1, 2005 pp. 5 - 32.
De manière plus générale, les théories des jeux a quand même pas mal de difficultés à rendre compte d'un certain nombre de situations. Et l'hypothèse de rationalité pose des problèmes de cohèrence... Cf. un article de JP Dupuy dans un numéro spécial de la Revue économique (1989) consacré à l'économie des conventions.
mercredi, mai 3 2006
21:31
@Vulgos : vous venez d'illustrer pourquoi les mathématiques sont préférables aux métaphores pour décrire un phénomène. Quand on utilise une métaphore, il y a toujours des gens pour discuter la métaphore plutôt que le phénomène. Le phénomène, ici, c'est l'émergence d'un comportement systémique non poursuivi par les élements du système. C'est cela, la "main invisible" - et rien d'autre.
— econoclaste-alexandreJ'ajouterais que le fait de considérer la coopération comme étant "à expliquer" n'est pas une spécificité des économistes : c'est un problème présent dans toute la biologie par exemple. La coopération est un phénomène qui doit être expliqué au même titre que le vol d'objets lourds nécessite une explication particulière vis à vis de la théorie de la gravitation. Les oiseaux et les avions ne sont pas des démentis aux lois de la mécanique et de la gravitation : il n'empêche qu'il faut une explication spécifique pour comprendre pourquoi ils ne tombent pas.
La coopération, dans les espèces animales comme dans l'espèce humaine, c'est la même chose : elle n'est pas un démenti à l'existence de conflits entre individus et entre espèces, mais elle nécessite une explication, pas forcément toujours facile à trouver.
mercredi, mai 3 2006
21:57
"l'apport de la théorie nécolassique était précisément de prouver que la maximisation rationnelle de l'intérêt individuelle était condition suffisante (mais non nécessaire) pour conduire à ces situations efficaces."
— FlaffComment concilier cet apport de la théorie néo-classique avec l'affirmation selon laquelle :
"According to the system of natural liberty, the sovereign has only three duties to attend to ... first, the duty of protecting the society from the violence and invasion of other independent societies; secondly, the duty of protecting, so far as possible, every member of the society from the injustice or oppression of every other member of it, or the duty of establishing an exact administration of justice, and thirdly, the duty of erecting and maintaining certain public works and certain public institutions, which it can never be for the interest of any individual, or small number of individuals, to erect and maintain...
Adam Smith : The Wealth of Nations, Book IV, Chapter IX"
(j'ignore si quelque apport plus récent à la théorie est allé au dela de cette thèse)
Notamment : quelle stratégie pourrait poursuivre l'homo economicus lorsque le souverain ne fait notoirement pas face à l'un ou l'autre des trois devoirs énoncés ?
mercredi, mai 3 2006
22:41
@LC : Oui, rien ne dit dans les Folk Theormes que la convention qui émergera sera "bonne", juste qu'elle peut être soutenue dans le temps, même si non-Nash. D'ailleurs les conventions du monde réel ne sont pas forcément toutes bonnes.
— Antoinejeudi, mai 4 2006
19:22
leconomiste: "Si ma perte à me faire engueuler est supérieure à mon gain de temps, alors rationnellement et suivant mon seul intérêt personnel, je vais respecter la file."
— vulgosLes pertes et gains de temps sont ici une question de probabilités. Comment détermine-t-on une action rationnelle sur base d'un risque? Est-il plus rationnel de préférer un gain de 10 avec une probabilité de 90% ou un gain de 1 million avec une probabilité de 1%?
Ce sont des questions sans doute traitées dans la théorie des jeux, que je connais peu, je demande donc de l'indulgence pour mon ignorance. Toujours est-il que je ne comprends pas comment on peut déterminer un comportement rationnel dans ces conditions, tout au plus peut-on assurer de garder une certaine cohérence (si je préfére A dans telle situation, je dois encore préférer A dans une situation semblable). Cette même cohérence faisant que si j'essaye de resquiller une fois, il sera rationnel d'essayer de resquiller toujours dans les mêmes conditions (les probabilités ne changeant pas même si j'ai perdu du temps en resquillant la fois précédente, sauf à introduire ce qui me semble être de l'irrationalité dans le choix de comportement*).
J'ai l'impression que l'intérêt personnel introduit une certaine indétermination qui peut se traduire en groupe en un résultat inefficient.
*Autre exemple: je vends un bien à un prix 100 que je sais supérieur au prix du marché mais je ne trouve pas d'acheteur au bout d'un mois. Pourquoi irais-je baisser mon prix suite à ce résultat défavorable si l'on ne s'en tient qu'à la rationnalité? Est-ce que mon calcul premier n'était pas déjà rationnel donc correct? Si oui, comme c'est postulé, pourquoi en changer? Pourquoi irais-je préférer augmenter les probabilités de vendre mon bien au détriment du prix escompté alors que ces probabilités avaient déjà été correctement calculées et que j'avais fait un choix en faveur du risque?
econoclaste-alexandre : "Le phénomène, ici, c'est l'émergence d'un comportement systémique non poursuivi par les élements du système. C'est cela, la "main invisible" - et rien d'autre."
Bien d'accord mais ce que mon intervention voulait dire c'est qu'il y a un cadre dont il faut tenir compte (le respect de l'ordre de la file, le respect de la propriété privée, etc), autrement dit quelles sont les conditions d'émergence de ce comportement systémique non poursuivi intentionnellement par les éléments du système? A moins que vous ne croyiez vous aussi que la poursuite de l'intérêt personnel est une condition suffisante de l'émergence de ce comportement systémique? Autant que je comprenne l'affaire, j'ai l'impression que la théorie néoclassique met constamment ces conditions d'émergence (civilité, police, commissaire-priseur, etc) dans son chapeau... Et hop, la main devient invisible... Et les enfants s'écrient "fortiche l'intérêt personnel!"... :)
"La coopération, dans les espèces animales comme dans l'espèce humaine, c'est la même chose : elle n'est pas un démenti à l'existence de conflits entre individus et entre espèces, mais elle nécessite une explication, pas forcément toujours facile à trouver."
Pourquoi pensez-vous qu'il faudrait plus expliquer la coopération que les conflits? En quoi le conflit serait-il plus "normal"? (je n'ai pas moi-même de réponse assurée dans un sens ou l'autre)
jeudi, mai 4 2006
20:48
@ vulgos : réponse habituelle : plutôt que de spammer les blogs économiques, ouvrez un manuel élémentaire d'économie, celui de Hal Varian par exemple. Vous supposez ici que vous n'êtes pas rationnel : le prix du marché vous dit ''ex ante'' que vous ne trouverez pas d'acheteur. En demander un prix supérieur est donc irrationnel si vous voulez vendre votre bien.
— leconomistevendredi, mai 5 2006
00:08
Et quand vous aurez terminé Varian, vous pourrez envisager la lecture d'un ouvrage consacré à la théorie de l'évolution en biologie. Cela vous permettra de voir d'autres gens que ces méchants économistes néoclassiques qui considèrent le conflit comme naturel, et la coopération comme un phénomène à expliquer.
— econoclaste-alexandrevendredi, mai 5 2006
17:57
leconomiste: "le prix du marché vous dit ''ex ante'' que vous ne trouverez pas d'acheteur."
— vulgosJe ne pense pas. Si je vends ma maison à 100, sachant que le prix du marché dans mon quartier et pour ce type de maison est 80, en quoi suis-je sûr que je ne trouverai pas d'acheteur? (on suppose que l'acheteur éventuel est rationnel et connaît le prix du marché). Est-il impossible que quelqu'un décide rationnellement d'acheter à 100 une maison qui vaut 80? Par exemple, parce que c'est la seule maison en vente dans le quartier à ce moment et que l'acheteur préfère acheter plus cher plutôt que d'attendre que d'autres biens soient mis en vente et parce que c'est ce quartier qu'il préfère habiter... A moins que quelque chose ne m'échappe?
Par ailleurs, vous ne répondez pas à la question de l'indétermination liée aux probabilités. En fait, je me trompe ou vous semblez supposer que le résultat, la situation finale des choix individuels est connue d'avance?
econoclaste-alexandre: Je vais demander de l'aide à google... :)
Mises (puisque c'est ma tasse de thé actuellement):
"On commet un erreur quand on prend l'expression "lutte pour l'existence" à la lettre et non dans son sens métaphorique. L'erreur est plus considérable encore quand on assimile la lutte pour l'existence à la lutte destructrice entre les hommes et qu'on entreprend de construire une théorie de la société fondée sur la fatalité de la lutte."
www.catallaxia.org/sectio...
Henri Laborit: "Si l’évolution s’était réellement effectuée avec la compétition, il y a longtemps que nous devrions être une population de surdoués! Mais les chercheurs, dont je suis, sont de plus en plus nombreux à apporter des preuves du contraire : c’est l’entraide qui a permis l’évolution. Actuellement, la compétition est presque un dieu que l’on honore. C’est traîner bien bas l’esprit humain."
www.radio-canada.ca/par4/...
Etc.
vendredi, mai 5 2006
18:42
@Vulgos : L'exemple immobillier est assez mal choisi car il ne s'agit pas de biens homogènes, il n'y a donc pas de prix de marché unique, mais plutôt une zone où se trouvent les prix. D'autre part, il peut être parfaitement rationnel de changer son prix si l'information obtenue (je n'ai pas vendu ma maison en 6 mois) entraîne une révision des croyances quant à distribution des disponibilités à payer des acheteurs potentiels (cf modèles de search en envoronnement non-stationnaire).
— AntoineSi le vendeur possède la seule maison à vendre du quartier, alors il est en monopole, donc le prix de marché ne voudra pas dire grand chose.
vendredi, mai 5 2006
19:43
Antoine: Merci pour cette réponse polie, ça me change... :)
— vulgosJe vais réfléchir à la question du bien homogène (pas le temps là ).
Néanmoins, deux réflexions immédiates (donc risque de bourdes):
- "entraîne une révision des croyances quant à distribution des disponibilités à payer des acheteurs potentiels". Vous introduisez là encore plus d'incertitude, ce qui me semble appuyer encore plus mes interrogations de départ. Moi j'avais supposé que cette distribution était déjà correctement calculée au départ, mais que malgré cela un choix risqué doit être fait par le vendeur (sur base de probabilités correctement calculées donc). Le calcul du vendeur est rationnel mais ne lui permet pas de connaître précisément le résultat final. Si ce résultat ne correspond pas au pari fait, il ne peut ensuite rationnellement pas réviser son choix si les probabilités calculées restent identiques (sinon il sera incohérent).
- "Si le vendeur possède la seule maison à vendre du quartier, alors il est en monopole"
Je ne vois pas en quoi. L'acheteur peut se rabattre sur un autre quartier ou attendre que d'autres maisons du quartier soient mises en vente. C'est comme si vous me disiez que Cartier détient un monopole parce que c'est le seul à vendre des montres Cartier...
samedi, mai 6 2006
20:45
Merci pour ces fines considérations. Un plaisir de vous lire.
— DavidLeMarrecdimanche, mai 7 2006
01:33
vulgos:
— Elessar- " "Si le vendeur possède la seule maison à vendre du quartier, alors il est en monopole" Je ne vois pas en quoi."
Concurrence monopolistique, tu préfères ? Monopole "local", mais il existe des substitutions inparfaites. Le vendeur a un certain pouvoir de marché, inférieur à celui de pur monopole mais supérieur (forcément ...) à celui d'un price-taker.
- "Le calcul du vendeur est rationnel mais ne lui permet pas de connaître précisément le résultat final. Si ce résultat ne correspond pas au pari fait, il ne peut ensuite rationnellement pas réviser son choix si les probabilités calculées restent identiques (sinon il sera incohérent)."
Bien sûr que si, il peut changer ses probas, puisqu'il dispose d'informations supplémentaires. En termes techniques, il fait du "bayesian updating". Tu as certaines croyances (appellés "prior"), que tu ajustes en fonction des nouvelles informations (après, tu as un "posterior", sans jeu de mot vaseux), en suivant les lois du calcul de probabilités (en gros, la fameuse formule de Bayes du lycée)
LSR
lundi, mai 8 2006
14:19
Elessar: "Bien sûr que si, il peut changer ses probas, puisqu'il dispose d'informations supplémentaires."
— vulgosC'est dans la théorie néoclassique? Je croyais que lorsqu'il était dit "rationnel" on supposait que l'acteur disposait de toutes les informations nécessaires à son choix, qu'il faisait un calcul juste (la seule incertitude naissant de sa préférence pour tel ou tel risque). S'il ne dispose que d'informations incomplètes, le dit-on aussi "rationnel" (alors que son choix est juste affaire de "croyances")?
De toutes façons, admettons qu'il peut réviser ses probabilités, cela va dans le sens de mon raisonnement, non? Qu'est-ce qui va alors assurer, si comme dans la théorie néoclassique on fait comme si seuls les individus existaient (si j'ai bien compris), que les choix individuels égoïstes vont s'harmoniser pour donner un résultat efficient? Comment cela pourrait-il se faire alors que l'individu égoïste ne sait même pas quel est son intérêt véritable puisqu'il ne sait rien de certain de la situation finale et fait un choix sur des probabilités incertaines?
En fait, si on ne connait pas d'avance le résultat final, j'ai l'impression que la théorie néoclassique échoue à garantir que l'intérêt personnel de chacun donnera une solution efficiente. Si on connait le résultat final, ok, c'est impeccable de cohérence. Mais cela ne me semble plus être de l'individualisme méthodologique, c'est le résultat final qui va déterminer les actions individuelles et non plus l'inverse (je crois que c'est là la critique des autrichiens, non? Quelle est la réponse des néoclassiques à cela?).
Ok pour l'exemple de la maison, c'est foireux. :)
lundi, mai 8 2006
15:54
Comme d'habitude, la réponse des néoclassiques est que vous croyez savoir beaucoup de choses sur la théorie néoclassique, et que vous en savez au final très peu.
Dans le cadre de l'économie en général, rationnel signifie que l'individu fait usage de l'intégralité de l'information à sa disposition (sans préjuger de la qualité de cette information). Dans un environnement incertain, l'individu va donc réviser (bayésiennement) son évaluation des probabilités qui le concernent. On peut montrer que si les agents n'ont pas au départ une idée complètement aberrante des distributions, alors leurs évaluations convergent vers un équilibre efficient.
Encore une fois, allez lire le Repères sur l'économie néoclassique de Bernard Guerrien (qu'on ne peut accuser d'être un de leurs thuriféraires). Cela n'est ni très cher, ni très long.
— leconomistejeudi, mai 11 2006
05:00
vulgos:
— ElessarJe ne peux que me joindre au propriétaire de ces lieux. Tu mélanges équilibre général, individualisme méthodologique etc. sans vraiment connaitre ces concepts. Pour exemple, jamais la "théorie néoclassique" a-t-elle garantie que l' "intérêt personnel de chacun donnera une solution efficiente" de façon générale. Le 1er théorème du bien-être (si c'est à ça que tu fais référence) n'est valide que dans des ciconstances bien particulières (totalement irréalistes) et est aujourd'hui plus un outil technique que normatif.
Les blogs, c'est sympa pour discuter de théorie économique entre connaisseurs, ou pour vulgariser des résultats souvent surprenant ou contre-intuitifs. Ce n'est pas l'endroit pout apprendre l'économie à partir de zéro.
LSR