Trois questions sur le régime des intermittents
Via Étienne Wasmer, j’ai regardé hier cette vidéo des Echos concernant le déficit des régimes spéciaux de l’assurance-chômage (celui des intermittents du spectacle et celui des intérimaires). Si la vidéo donne les grandes masses, je pense qu’il faut rappeler qu’il y a trois questions fondamentales sur le régime des intermittents, et qu’il faut bien les distinguer.
La première est celle de l’existence même du régime : au regard des objectifs de politique culturelle, faut-il doter les intermittents d’un régime spécifique d’assurance-chômage ? En réponse à cette question, les intermittents mettent souvent en avant le caractère très fragmenté de leur travail. Ce qui est vrai, mais n’épuise pas le sujet, puisqu’il existe d’autres modèles d’organisation, tant dans le même secteur (système de troupes en Allemagne) que dans les autres secteurs (les consultants sont largement soumis au même genre de problème).
Si on estime que ce régime doit exister, la question est celle de son fonctionnement. On connaît les questions posées par l’utilisation de ce régime pour des contrats de fait permanents. On connaît moins le problème, à mon avis central, de la mesure du temps de travail. Question problématique à en croire les défenseurs du régime, dans la mesure où un intermittent qui travaille se forme aussi. Sauf que cela est vrai de tout salarié, et surtout que dans d’autres pays la question apparaît claire : soit on est payé à la tâche (et on ne compte pas ses heures), soit toute heure de travail est payée, ce qui inclut l’ensemble des répétitions, réunions de préparation, présence sur le plateau, etc. S’il veut faire cesser les attaques récurrentes contre ce régime, le secteur doit à mon sens faire preuve de beaucoup plus de transparence sur ce qui constitue une heure travaillée, ce qui passe par une définition à la fois plus stricte est extensive des heures de travail (avec évidemment des pénalités dissuasives).
La troisième question est celle de l’assiette du financement, et elle est indépendante de la seconde. En l’état, le régime de l’intermittence est financé exclusivement par les salariés du privé. C’est à la fois injuste (à revenu donné, chacun ne contribue pas à hauteur de ses capacités) et inefficace (plus l’assiette est réduite, plus une taxe est distorsive). Il s’agit probablement d’un point de consensus, mais les évolutions sont bloqués par une question politique : modifier le financement reviendrait à mettre en évidence une dépense de l’ordre du milliard par an, ce qui ne peut se faire qu’avec un soutien politique large. Soutien qui ne pourra sans doute venir que si le secteur fait le ménage dans ses pratiques.
Publié le lundi, janvier 20 2014, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
mercredi, janvier 22 2014
20:31
Merci. Vous dites qu'en "l’état, le régime de l’intermittence est financé exclusivement par les salariés du privé." Je n'en suis pas sûr, si vous entendez par "salariés du privé" ceux qui relèvent du régime général (voire, en plus, les intérimaires). En fait, les "intermittents du spectacle" cotisent aussi et les chiffres (comme ceux de la Cour des comptes) disent plutôt que leurs propres cotisations ne financent, selon les années, qu'entre 15 à 30 % des allocations chômage qu'ils touchent, le reste relevant de la solidarité interprofessionnelle. Mais je me trompe peut-être...
— Moggiojeudi, janvier 23 2014
11:05
le chiffre d'un milliard de cout a été démenti à plusieurs reprises, par la ministre de la culture, par le directeur de pole emploi, et Michel Sapin...
— Euulvendredi, janvier 24 2014
10:14
Trois réactions à trois questions:
- tout d'abord, on avait jusqu'à présent osé comparer le statut de l'intermittence à celui des intérimaires..mais jamais encore à celui des consultants... concernant les intérimaires, dans la majorité des cas, la précarité est conjoncturelle et l'emploi exercé peut espérer l'être un jour de manière indéterminée... ce n'est pas le cas des professions relevant de l'intermittence du spectacle: leur professions est structurellement précaires et chaque activité débute avc "la création d'une oeuvre" et s'arrête avec la fin de la la création et/ou représentation de cette oeuvre.
Quant aux consultants? je ne vois pas bien la comparaison... ils sont effectivement "consultés" à la mission qui a un début et une fin...mais ont le choix de leur statut: indépendant, en cabinet salariés ou en libérale.. ce qui n'est pas le cas des professions relevant de l'intermittence... ensuite les honoraires: il est certains que les honoraires pratiqués par des consultants en entreprises privés... consultants souvent affublés du statut "d'expert"... peuvent sans doute permettre de s'exonérer d'un statut salarié...ce qui n'est pas le cas dans les professions relavants du staut d'intermittent tant dans la musique, le spectacle vivant que l'audiovisuel...
Je passerais sur le deuxième point... ou effectivement l'analyse est relativement pertinente si l'on admet appliquer la "perception dominante" dans les metiers artistiques... il est vrai que dans les sciences économiques, il faut tout "modéliser" aujourd'hui... et le travail en est un parfait exemple..qu'il se contorsionne dans tous les sens pour entrer dans des cases et se théoriser...oui mais voilà.... les métiers artistiques ont jusqu'à présent "échapper" à cette standardisation, cette théorisation du temps de travail etc....car cela pose un problème de fond... comment quantifier en terme de temps le travail de création? car si le comédien répète sur une scène et que cela est sans doute plus facilement quantifiable, le metteur en scène, le réalisateur, le créateur d'une œuvre lui réfléchit, modélise, cree en marchant, en lisant, en ne faisant rien, sur le coin d'un bureau ou dans la forêt ou bien....il y a des choses qui ne sont pas facile à percevoir, modéliser et théoriser....et ce temps de la création est ce qu'il faut pourtant préserver si on ne veut pas transformer le champ culturel en un immense chantiers à vocation uniquement marketing et rentable...
Quant au 3ème point, il s'agit d'un vieux serpent de mer brandit par ceux qui n'ont pas pris le temps de s'informer et alimente les amalgames: si la solidarité inter-professionnelle a encore un sens... elle s'exerce ici ausii d'une part et d'autre part, il est communément admis que la masse salariale globale des secteurs relevant de la culture couvre largement les coûts de ce statut.... et je ne pense pas que lorsque les entreprises agro alimentaires licencient par dizaine de milliers on se préoccupe de savoir si le secteur à suffisamment cotisé pour indemniser sur la durée, la cohorte de chômeurs longue durée, les dépressions, les maladies, les stress etc... que ce genre de mesure provoque... heureusement également que nous n'en sommes pas à nous demander si les "cotisations sociales" des seuls victimes de cancer couvrent les dépenses de ceux qui en ont...
— tykernvendredi, janvier 24 2014
12:11
@Tykern :
Les intermittents ont tout autant le choix de leur statut que les consultants. Rien n'empêche de monter une entreprise ou un coopérative de prestation de services artistiques et techniques. Mon argument est que le régime des intermittents rend peu vraisemblables de telles structures dans la mesure où il externalise sur l'ensemble des salariés du privés les coûts. C'est un point faible, dans la mesure où une structure de ce type est mieux en mesure de sélectionner ses membres et de disposer d'un pouvoir de marché contre les abus des employeurs.
Sur les honoraires, il s'agit uniquement d'une question d'offre et de demande. Les intermittents sont bien souvent beaucoup plus experts dans leur domaines que ne le sont les consultants. Mais ils sont si nombreux que le prix de marché pour cette expertise est basse.
Sur la théorisation du temps de travail, ce que vous décrivez n'est en rien propre aux artistes. Cela s'applique à tous les salariés qui ont des fonctions impliquant un minimum de créativité. Ce qui ne les empêche pas d'exercer leur profession sur la base d'horaires fixes. Les départements de R&D des grandes entreprises sont peuplées de cadres au forfait. Ce n'est pas pour autant qu'ils cessent de réfléchir à leurs sujets dès qu'ils mettent un pied hors du bureau.
Sur l'assiette, il y a deux options : soit demander aux intermittents de s'auto-financer, soit confirmer qu'il y a une subvention du secteur, et dans ce cas en étendre le financement à l'ensemble des salariés, secteurs public et privé confondus. Parce qu'en l'état, le financement est inéquitable entre privé et public.
— Mathieu P.