Brève : prix unique du livre numérique
Récemment, je disais en substance que le prix unique du livre numérique risquait d'être un handicap pour l'édition. Je ne croyais pas si bien dire.
En effet, la loi votée hier soir ne prévoit pas la clause d'extraterritorialité. Le prix unique ne s'applique donc pas aux vendeurs non situés en France. Autant dire qu'elle donne un pouvoir de marché considérable à Apple, Google ou Amazon pour négocier des conditions très favorables en échange d'un alignement sur la politique tarifaire des éditeurs (de manière similaire à ce que la grande distribution a pu tirer comme rentes de la loi Lang). Cela signifie aussi que les éditeurs français se lient les mains concernant la vente de livres numériques dans le reste de l'espace francophone, sans parler du reste du monde.
La loi sur le prix unique du livre numérique va donc avoir comme double effet de renforcer la position des gros acteurs (qui a dit que cette loi était à l'avantage des libraires ?) et d'isoler un peu plus la production de livres français du reste du monde.
Publié le mercredi, février 16 2011, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
lundi, février 21 2011
15:39
Certes mais celà ne signifie pas QUE ça, et je pense qu'il faut éviter le futur prédictif qui ne peut être que du conditionnel plus ou moins argumenté, surtout dans le domaine du numérique.
Pour ne pas être partial, il faut y aller voir plus loin : quel serait l'effet de pas de loi du tout ? Quelle serait la régulation idéale à votre avis? Quelle serait la régulation réaliste? J'aimerais beaucoup vous lire sur ces sujets : vous publiez beaucoup d'analyses intéressantes sur l'effet néfaste que pourrait avoir un cadre légal (quelqu'il soit, avec ou sans territorialité), mais pas d'analyse aussi argumentée sur l'effet que pourrait avoir l'absence de cadre légal ou la mise en place d'une autre régulation. Suffit-il de n'avoir aucune régulation pour garantir une transformation réussie de la chaine du livre vers le livre numérique? Suffit-il qu'une régulation ne soit pas un "coup de baguette magique" (Gaymard) pour qu'elle soit plus néfaste que pas de régulation du tout ? Quels sont les fameux outils dont vous parlez : "Les outils existent cependant et c'est aux auteurs, aux éditeurs et au libraire de s'en saisir, pour adapter leurs activités aux possibilités du livre numérique plutôt que de vouloir enfermer ce dernier dans un cadre hérité du papier" Dans quelles conditions sont-ils accessibles aux professionnels dont vous parlez, adpatables à leurs marchés, leur économie ? Ce n'est pas parceque les outils existent qu'ils peuvent être utilisés, il faut y regarder de plus près.... j'arrête là car comme vous le savez, ça peut durer longtemps comme ça ;-)
— sophielundi, février 21 2011
20:50
Comme nous l'indiquons dans l'Opuscule, Jérôme Pouyet et moi-même sommes convaincus par l'analyse de la Haute Autorité de la Concurrence : le livre numérique est un marché à peine naissant et à ce titre toute régulation est prématurée. Le point de départ de l'économie publique est que pour qu'on commence à envisager une régulation, il faut qu'il y ait un échec de marché clairement identifié, c'est-à-dire avoir une présomption suffisamment forte que la régulation envisagée permettrait de faire strictement mieux que le marché sans régulation.
Concernant le marché du livre physique, la présomption que le prix unique du livre constitue une telle régulation n'est pas des plus évidente. Toutefois, dans la mesure où le secteur s'est construit autour de cette régulation, il paraît peu utile de le déstabiliser en proposant son retrait, dans la mesure où on n'a pas non plus la présomption qu'un marché du livre physique sans prix unique serait plus efficace.
Concernant le marché du livre numérique, il n'y a pas à l'heure actuelle de défaillance de marché clairement identifiée, à mon sens. Il y a une crainte, légitime, qui est celle de l'abus de position dominante. Toutefois, l'abus de position dominante constitue un élément établi du droit de la concurrence et les outils réglementaires pour le limiter sont déjà en place. Pourquoi vouloir une régulation spécifique quand on dispose déjà d'instruments communs à tous les secteurs ?
Dans votre commentaire, vous glisser je pense sans tout-à-fait vous en rendre compte d'une question à une autre. La première est « Quelle régulation pour le marché du livre numérique ? » et la seconde est « Quelle régulation pour faciliter la ''transition'' vers le livre numérique ? ». Les deux questions ne sont pas équivalentes, loin s'en faut. La seconde ajoute la contrainte, lourde, que les acteurs du livre numérique soient les mêmes que les acteurs du livre physique et même, si je vous comprends bien, que la chaîne du livre numérique fonctionne de la même manière que celle du livre physique. Pour moi, ni l'un ni l'autre ne sont évidents.
Il peut arriver en effet qu'une structure industrielle face obstacle au développement, y compris artistique, d'un marché. Comme je l'ai expliqué dans un autre billet, la fin du ''studio system'' aux États-Unis (qu'on pourrait comparer à un effondrement de l'oligopole de l'édition en France) a eu pour conséquence une explosion de créativité du cinéma américain. Force est de constater aujourd'hui que de grands éditeurs ne font pas montre d'une volonté manifeste de s'adapter au numérique, préférant essayer d'adapter le numérique à leurs pratiques, à coups de DRM et de prix unique. Dans ce cadre, est-il raisonnable de penser dans le seul cadre d'une transition, quand les acteurs majeurs ne veulent pas de transition ?
Il en va de même pour les autres professionnels de la chaîne. Du point de vue de l'économiste, ce qui est important est qu'une entreprise assure la mise à disposition des titres, qu'une personne permette d'avoir accès à de l'information fiable, argumentée et personnalisée sur l'offre de livres. L'un s'appellera diffuseur, l'autre libraire, qu'ils aient été auparavant diffuseur ou libraire de livres physique n'est que secondaire du point de vue du fonctionnement d'ensemble du marché.
Si, pour des raisons de contrainte économique (trop faible capacité d'investissement) ou sociologique (difficulté à faire face à une dépréciation du capital social allant avec les activités de libraire ou d'éditeur - dépréciation familière par ailleurs aux enseignants dans leur ensemble) les acteurs actuels ne parviennent pas à occuper dans le monde du numérique la place qui est aujourd'hui la leur dans le monde physique, d'autres sont d'ores et déjà sur les rangs pour prendre leur place et occuper les mêmes fonctions. Comme nous l'avons dit dans l'opuscule, il existe déjà des marchés qui rémunèrent les producteurs d'information sur un bien trouvable ailleurs. Les agences de voyage en sont un exemple : marché avec de fortes asymétries d'information, où le client paye un service de tri et d'intermédiation. Opodo ou Expedia semblent montrer que le modèle est viable dans le domaine de la vente en ligne.
On rejoint là un problème général de la demande de régulation face à un changement technologique. Par construction, ces demandent émanent de ceux qui ont du mal à faire face à ce changement, tandis que ceux qui comptent sur lui pour se lancer ou arriveront dans l'avenir ne sont pas représentés et n'ont pas voix au chapitre. On l'a bien du dans le débat sur le prix unique du livre numérique, où les éditeurs numériques et les bibliothèques ont été mis purement et simplement de côté. Face aux voix des acteurs existants, il faut donc aussi entendre celles des acteurs à venir.
— Mathieu P.lundi, février 21 2011
23:53
@Mathieu P. : Merci pour ces éléments de réponse à sophie (je partage votre opinion).
— Moggio