À propos du commerce équitable
Via Marginal Revolution, un article du Guardian sur le commerce équitable, qui a le mérite de recenser un certain nombre d'arguments contre le commerce équitable tel qu'il se pratique actuellement. Court résumé.
Un problème d'incitations : le commerce équitable ne couvre, par nature, que les cultures exportables vers l'Occident. Il incite donc les agriculteurs des pays concernés à faire des cultures qui ne sont pas nécessairement adaptées aux sols locaux, et surtout qui sont précisément les culture qui les ont verrouillés dans la pauvreté. Produire de manière plus adaptée ou des cultures destinées aux marchés locaux revient à perdre une prime importante.
Un maintien dans la pauvreté : les règles pour l'accès au commerce équitable assurent en outre que les producteurs du système eux-mêmes restent à la limite de la pauvreté. Les plantations doivent en effet être de moins de 12 hectares, et sans salariés permanents. Cela signifie que les producteurs ne peuvent se diversifier, et restent à la merci d'une mauvaise récolte. Pire, l'interdiction de salariés permanent pèse sur les destinées scolaires des enfants (seule main-d'œuvre disponible) et conduit à l'emploi de saisonniers précaires, les plus pauvres des pauvres, les excluant par là d'un emploi permanent.
Des problèmes d'équilibre global : en garantissant aux producteurs concernés des prix supérieurs au prix de marché international qui aurait cours en son absence, le commerce équitable entraîne en outre un excès d'offre, qui déprime le prix offert aux producteurs hors de ce système. Ceux-ci sont donc poussés plus avant dans la pauvreté.
D'après l'article, la part de la prime « Commerce équitable » qui arrive aux producteurs est dérisoire, l'essentiel étant absorbée par les frais de certification et de fonctionnement, ainsi que pas les budgets de communication des administrateurs du label « Fairtrade » lui-même.
Tyler Cowen en déduit qu'il s'agit d'un simple gadget commercial. Je ne suis pas de son avis : je pense que dans l'idée de ses concepteurs, il s'agissait d'une mesure d'urgence. Et comme toutes les mesures d'urgences, elle devient contre-productive lorsqu'elle verrouille ses bénéficiaires dans la situation à laquelle il s'agit de remédier, c'est-à-dire la mutation de l'agriculture dans les pays pauvres. L'Occident s'est sorti de la pauvreté en sortant de la petite exploitation agricole individuelle. On voit mal comment le reste du monde pourrait ne pas suivre le même chemin, sauf à prôner le retour à une utopique société agropastorale (un travers commun dans les milieux alterploum, me direz-vous).
Bref, inutile de s'acheter une bonne conscience avec un label « Commerce équitable ». La prochaine fois que j'achèterai du café, je chercherai plutôt à savoir s'il vient d'un pays qui respecte les droits de l'homme.
Publié le dimanche, décembre 13 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
lundi, décembre 14 2009
01:05
Je ne comprends pas pourquoi le fait de favoriser une agriculture d'export (du genre café ou cacao) est moins adapté aux sols locaux.
— LénaEnsuite, je ne comprends pas non plus pourquoi l'emploi de saisonniers prive les personnes employées d'un emploi permanent : la création de ces emplois précaires ne détruit pas d'emplois permanents et si des personnes acceptent ces emplois saisonniers, c'est bien qu'ils le trouvent un avantage par rapport à une situation sans eux.
Enfin, si la prime au commerce équitable est dérisoire, il n'y aurait donc aucun intérêt à faire du commerce équitable (pour des producteurs) donc il n'existerait pas. Ou alors à nouveau je n'ai pas compris quelque chose ?
lundi, décembre 14 2009
07:04
Attention au pas nécessairement. Sur l'ensemble des sols utilisés pour ces cultures, on se dit qu'il y en a d'autres qui seraient plus adaptés à d'autres cultures, y compris d'exportation, mais qui ne sont pas couverte par le dispositif.
Sur les emplois, c'est pourtant le cas. Alors qu'on pourrait avoir des personnes payées à l'année dans les plantations, on a des très pauvres qui vivent (mal) toute l'année sur les seules ressources des quelques semaines de la récolte. Cela alimente une importante précarité et pauvreté rurale, créant une véritable trappe à pauvreté : pas assez pauvres pour devoir partir, pas assez riche pour envoyer les enfants à l'école. C'est ce même argument dynamique qui vaut pour les producteurs eux-mêmes.
Par prime, l'article désigne la part du surcoût pour le consommateur final qui va au producteur. Le producteur quand même intérêt à rejoindre le dispositif puisque celui-ci, à défaut de lui assurer des prix beaucoup plus élevés, assure la diminution du prix de vente des producteurs qui n'y sont pas. C'est ici un argument statique et redistributif : le mécanisme du commerce équitable favorise les propriétaires au détriment des non-propriétaires, et les agriculteurs qui sont dans le système au détriment des autres.
— Mathieu P.