Rapport « Cinéma et concurrence » IV : Les conclusions
Pour finir ce tour d'horizon, un billet rapide sur les conclusions du rapport. Comme j'ai essayé de m'expliquer sur les différents points dans les billets précédents, je vais tâcher d'être aussi laconique que possible ici.
1. Sécuriser juridiquement les accords au sein de la branche : laissez-nous nous entendre comme nous voulons. Est-il-vraiment besoin d'un commentaire ?
2. Obligation des contrats écrits et contrats cadre : mauvaise idée en termes de flexibilité, et moyen évident de collusion.
3. Élargissement des pouvoirs du médiateur : histoire de tenir les pratiques collusives un cran plus loin des autorités de concurrence.
4. Étendre les engagements de programmation à toutes les salles : pourquoi pas, mais alors, pourquoi subventionner aussi les salles art et essai ?
5. Audit des aides et renforcer leur sélectivité : Excellente idée.
6. Évaluer les conséquence du régime d'autorisation pour l'ouverture des multiplexes : pourquoi ne pas en avoir directement proposé la suppression pure et simple ?
7. Remédier aux effets de la concurrence par les prix sic entre les exploitants soit par un mode de prix plancher (propositions a, c, d et e) ou en permettant aux distributeurs et exploitants de négocier directement entre eux (proposition b) : évidemment, une bonne réponse sur les cinq. Devinez laquelle.
8. Imposer aux salles municipales des engagements de programmation : comme je l'ai dit, cela me semble la moindre des choses.
9. Favoriser la concertation entre distributeurs sur un calendrier de sortie des films : collusion intertemporelle.
10. Veiller à ce que les mécanismes de soutien ne contribuent pas à la multiplication des films et au saupoudrage : je n'aurais pas cru que cette suggestion parvienne jusqu'au dernier tour des proposition, fût-ce sous cette forme édulcorée (« veiller », qui ne veut pas dire grand'chose).
11. Recentrer les subventions art et essai : évidemment, oui.
12. Intéresser les distributeurs aux recettes sur les différents supports : bonne idée, cela implique aussi une modification des transferts des droits.
13. Fixer par accord interprofessionnel une chronologie des médias : je vous avais dit que des deux solutions à ce problème, c'était la mauvaise qui était manifestement favorisée.
14. Donner aux ayant droit la garantie d'une rémunération minimale sur la VOD : effet d'aubaine, vous avez dit effet d'aubaine ? Si le problème est que certains films de qualité ne sont pas accessibles en VOD, ne rentrerait-il pas dans les attributions de la cinémathèque française de créer un service idoine ?
En résumé
Quelques très bonnes idées, beaucoup de nettement moins bonne, et surtout l'impression dominante de l'expression d'une volonté de maintenir et de renforcer les instruments de collusion existant actuellement. Un grand absent dans tout ce rapport : le public, supposé avoir des goûts déplorables et suivre moutonnièrement ce que le secteur lui propose.
PS : c'est tout pour aujourd'hui, je suis fatigué, et en plus ces billets m'ont pris le temps que je comptait consacrer à cet article.
Publié le samedi, août 9 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Notes de lecture - Lien permanent
Commentaires
mercredi, août 13 2008
17:04
Encore merci !
— MoggioVos billets sur ce rapport confortent mes préjugés sur comment les choses se passent !
Si le perdant est le consommateur et/ou le contribuable, quid du nouvel entrant côté offre ? quid du créateur tout en haut de la chaîne ?
Petit message sincèrement amical, après lecture du post-scriptum : n'oubliez pas vos investigations doctorales ! (terrible coût d'opportunité...)
vendredi, août 22 2008
23:46
Un ami me signale deux avis du conseil de la concurrence. Le premier concerne les cartes d'abonnement illimité. Très légitimement, le CdC s'inquiète des possibilités de collusion entre les acteurs s'ils ont la possibilité de fixer le « prix de référence » correspondant aux entrée faites sur une telle carte pour calculer la rémunération des ayant-droit. Il recommande dont la fixation de ce tarif par une instance administrative. Là où je suis plus dubitatif, c'est quand le CdC propose comme instance... le CNC, à même d'effectuer le calcul « dans les conditions de confidentialité voulues ». À voir la capture du CNC par les seuls intérêts des professionnels, j'ai un peu de mal à y croire. Une suggestion comme cela : laisser les ayant-droit passer les contrats qu'ils veulent avec les distributeurs, plutôt que de leur imposer le même contrat à tous.
— Mathieu P.mercredi, août 27 2008
14:57
Merci pour l'information.
— MoggioL'article des Echos d'aujourd'hui reprend une petite partie du rapport "Cinéma et concurrence", notamment sur l'idée d'une sorte de prix unique pour le prix des billets d'entrée fixé par les distributeurs (éditeurs dans la filière livre) plutôt que par les exploitants (libraires dans la même filière). L'article cite explicitement le rapport comme quoi cela serait anti-concurrentiel (prix de revente imposé, etc.) et donc ne devrait pas être instauré. Le lecteur attentif pourrait donc en conclure que c'est aussi vrai pour la filière livre, ce qui est le cas, même si, si j'ai bien compris, la recherche toute récente s'interroge sur l'existence de cas théoriques particuliers qui ne seraient pas si inefficients économiquement. L'article annonce aussi que le ministère de la Culture et de la Communication prépare quelque chose sur la question pour, je crois (j'ai lu l'article ce matin devant mon bol de thé au lait à moitié endormi...), le prochain Festival de Cannes. A suivre, donc...
samedi, août 30 2008
21:53
En réponse à votre dernier commentaire, plusieurs questions (encore !), si vous disposez d'un peu de temps.
— MoggioSur la première justification théorique essentielle pour le prix unique du livre, en quoi ce service est-il gratuit ? Voulez-vous dire que le libraire en vendant un livre quelconque au prix imposé par l'éditeur ne dégage aucune "marge" pour, disons, tirer quelques bénéfices pécuniaires de son activité et, si possible, en vivre, à côté des autres articles qu'il peut vendre dans sa boutique comme la papeterie, les cartes postales, etc. ? Si ce service est gratuit, comment se rémunère-t-il, s'il n'a pour activité que la vente de livres ? Toujours sur cette première justification, quel est l'argument économique précis ici, en termes de défaillance(s) de marché ?
Sur la seconde justification théorique essentielle pour le prix unique du livre (stocks), quel est là aussi l'argument économique précis, en termes de défaillance(s) de marché ? En outre, cette justification est-elle spécifique aux libraires ? Pourquoi ne serait-elle pas vraie pour d'autres commerçants et, dans ce cas, l'argument économique précis n'est-il pas, du coup, affaibli, sauf à faire un jugement de valeur (discutable) pour les libraires ?
Encore merci pour vos lumières !
mardi, septembre 2 2008
23:25
Oui, je comprends un peu mieux. Les deux arguments sont-ils aussi valables pour d'autres "professions" ?
— MoggioPour information (sachant que vous vous intéressez à l'économie culturelle), un proche m'a informé d'une prochaine conférence sur le sujet, à Paris : www.jec-culture.org. Je n'arrive pas à bien comprendre qui organise cette conférence (apparemment le département des études du ministère de la Culture et de la Communication...?) mais interviendront des chercheurs plutôt connus dans le domaine comme V. Ginsburgh, Fr. van der Ploeg, D. Throsby, R. Towse et (tiens la revoilà !) A. Perrot, d'après le programme.
mercredi, septembre 3 2008
21:54
Et que répondez-vous ?!
— Moggiojeudi, septembre 4 2008
14:28
Permettez-moi, je vous prie, de garder lâchement l'anonymat ou l'incognito, même si cela implique un "déséquilibre", puisque je sais qui vous êtes, et même si cela doit vous froisser (désolé...). La liberté de ton de nos échanges me plaît, vos commentaires sont instructifs pour moi et je crois que mes commentaires ne sont pas inutiles pour vous. Le jeu est donc à somme positive !
— MoggioJe soulève à peine le voile en vous disant que je suis un modeste amateur d'arts, qui ressent profondément la fonction consolatrice de ces derniers, et qui aime aussi beaucoup l'économie et croit que le regard économique peut être utile pour comprendre les choses et, peut-être, les améliorer un peu. L'économie dont je parle est celle fondée sur des modèles théoriques et des tests empiriques publiée dans des revues internationales de haut niveau (à comité de lecture).
Je suis quasi sûr qu'un jour vous me reconnaîtrez... Merci, s'il vous plaît, de rester "muet" ce jour-là !
"Moggio" est le dernier titre de l'album The Man From Utopia publié en mars 1983 du compositeur et musicien américain Frank Zappa.
jeudi, septembre 4 2008
22:19
Aucun problème ! Au prochain billet, donc.
— Moggio