Quelles questions ?

Je m'attendais à ce que les réponses données par cette parties correspondent aux questions posées par la première. En fait non, il s'agit plutôt de répondre à celles posées par la lettre de mission ainsi qu'aux inquiétudes des exploitants auditionnés. Autant dire que la première partie, qui interrogeait la nécessité d'une régulation, est immédiatement oubliée au profit d'une recherche de quelle régulation appliquer. Du coup, il n'est pas très étonnant de trouver dans cette partie pas mal de rent-seeking, ainsi que des arguments qui, aux yeux de l'économiste, sont pour le moins incongrus.

2.1 Concurrence par les prix entre les exploitants

Cette section est probablement plus intéressante par ce qu'elle révèle du fonctionnement de la profession que par ce qu'elle dit en elle-même. En effet, on y apprend que les prix des places ont été libéralisés en 1986, mais que depuis 1999, il existe un code de bonne conduite destiné à encadrer les pratiques promotionnelles. En d'autres termes, il s'agit d'une forme de collusion qui bannit la concurrence en prix. Si celle-ci est apparemment redoutée dans le secteur, le rapport fait à juste titre remarquer qu'elle est difficile à mesurer. Il faudrait en effet disposer de données à base géographique d'une part, et d'autre part la stabilité des prix des places (qui ne dépendent pas des films) ainsi que la forte discrimination par les prix (via des abonnements et des réductions pour certains publics) rend difficile la constitution d'un indice de prix pertinent.

En tout état de cause, le raisonnement du rapport est le suivant : la concurrence en prix (rebaptisée « guerre des prix ») est mauvaise car elle ne fait essentiellement que transférer des spectateurs d'une salle à une autre, et fait diminuer les profits de l'ensemble de la filière, la rémunération des intervenants amont étant indexée sur les recettes des entrées, alors que les salles peuvent faire du profit en vendant des services annexes (confiserie, par exemple). Ce raisonnement appelle plusieurs commentaires.

D'une part, il repose fortement sur l'idée que l'audience est très peu élastique au prix, et qu'une baisse de prix ne va pas entraîner une augmentation de nombre de spectateurs qui pourrait faire plus qu'augmenter les profits totaux. Si le prix était celui de concurrence, ce ne serait évidemment pas le cas. Mais dans la mesure où nous sommes dans un équilibre de collusion destiné à favoriser les petites salles (qui ont moins de sièges à remplir), il n'est pas clair qu'il ne puisse pas se produire un retour vers les salles obscures si le prix du billet baissait de quelques euros.

D'autre part, la sensibilité de la filière amont à ce type de choses est lié à une spécificité de la situation française, qui est que distributeur et exploitant récupèrent chacun à peu près 40% des recettes (non, je ne sais pas où disparaissent les 20% restants). Aux États-Unis, la puissance des distributeurs fait que le contrat est non seulement beaucoup plus favorable à ce dernier (dans certains cas, l'exploitant ne récupère pas plus de 10% de la recette), et comporte des paiements fixes minimaux. On apprendra plus tard dans le rapport que la stricte proportionnalité des paiements aux recettes des seules entrées – ce qui rend impossible de jouer sur le partage du risque entre distributeur et exploitant – est une régulation mise en place par le CNC (art. 24 du code de l'industrie et décision n°15 du 7 octobre 1948 du CNC).

De coup, le rapport envisage la possibilité d'instaurer un contrôle du prix par le distributeur, en faisant un parallèle avec la Loi Lang sur le prix unique du livre. Si on en croit De Vany, donner à cette industrie les instruments d'une intégration verticale n'est sans doute pas une mauvaise idée. Sauf que dans ce cas, le parallèle avec les livres n'est pas pertinent. En effet, le prix des livres varie énormément d'un ouvrage à un autre, alors que le prix des places dans un cinéma donné est assez stable (et on a vu qu'il y avait de bonnes raisons d'efficacité informationnelle qu'il en soit ainsi). Du coup, les instruments de contrôle intéressants sont la durée et le nombre de projections, pas le prix. Bref, à moi avis, cette suggestion, qui est longuement discutée, est à côté de la plaque. Nul doute cependant qu'elle réponde à un souhait des exploitants de petites salles qui croient trouver dans les libraires des compagnons d'infortune.

Le rapport discute ensuite les conséquences possibles d'une modification des modes de rémunération. Je passe sur les considérations concernant les propriétés incitatives des différents contrats, qui prouvent seulement qu'Anne Perrot n'a certainement pas pu corriger cette partie du rapport. Deux remarques moins évidentes à mon sens. D'une part, il n'est nulle part envisagé que ce soient les agents eux-mêmes qui décident du type de contrat qu'ils souhaitent conclure entre eux : non, c'est le régulateur qui dans sa grande sagesse doit leur dire. D'autre part, on sait depuis Rey et Tirole 1986 que dans un cas comme ça, le contrat qui maximise le profit de la filière est un contrat comportant une partie fixe et une partie proportionnelle, la partie fixe pouvant être positive ou négative (c'est-à-dire que selon le cas, l'optimum peut être que le distributeur garantisse un minimum à l'exploitant en le payant une somme fixe pour le seul fait de projeter son film). On peut noter qu'il s'agit effectivement du type de contrats prévalant aux États-Unis (voir Creative Industries). Cette idée est brièvement mentionnée dans le court paragraphe 2.1.3.1.3 sic, pour dire qu'il donne les bonnes incitations et est parfaitement réalisable, pour être aussitôt oubliée...

... au profit d'une rémunération du distributeur par une somme forfaitaire par entrée, autant dire une forme de prix plancher qui n'ose pas dire son nom. Cette suggestion revient sous le nom de « tarif de référence », et revient à donner à un organisme externe (commission ou régulateur) le choix de ce tarif. Sachant à quel point le régulateur semble proche des intérêts des régulés, j'y vois immédiatement un moyen de renforcer la collusion sur les prix; au détriment du spectateur.

2.2 La concurrence entre salles publiques ou subventionnées et salles privées

Cette partie examine l'effet des différents outils de la politique culturelle. Elle commence en faisant, judicieusement, remarquer que s'il existe une carence en terme d'existence de salle (marché trop faible) ou de programmation (pas assez de films de répertoire ou d'art et essai programmés), la collectivité (locale, par exemple) peut parfaitement intervenir directement, en créant sa propre salle ou en subventionnant les salles offrant une programmation allant dans le sens voulu par le régulateur. Il me semble qu'il s'agit d'une réponse appropriée au problème posé. Cependant, comme souvent quand on parle de politique culturelle en France, ce type de mécanisme a manifestement été détourné de son objectif : 50 % des salles sont éligibles à des subventions, qui peuvent aller jusqu'à 30 % de leur chiffre d'affaire. On ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit là des mêmes salles art et essai qui en première partie demandaient un accès égal aux blockbusters, leur vocation à ne faire que du culturel vite oubliée. Ces salles mangeant donc autant au râtelier commercial qu'à celui des subventions, il est naturel que les salles plus importantes protestent contre la distorsion de concurrence. Dans ce sens, le rapport suggère que toute subvention devrait s'accompagner d'un cahier des charges précis en termes de programmation et de projet cinématographique. Cela semble la moindre des choses, sauf que ce n'est actuellement pas le cas.

2.3 La concurrence entre films pour l'accès aux salles

Ici intervient ce que Caves nomme infinite diversity : les biens culturels existent en très grand nombre, chacun étant unique, et donc se battent pour passer le goulot d'étranglement, ici pour atteindre les écrans, ou du moins un nombre non-négligeable d'entre eux. Les mauvaise habitudes revenant vite, la première suggestion est la régulation du nombre de copies, c'est-à-dire un quota, soit du nombre de copies, soit du nombre d'écrans occupés. La fixation de tels quotas est naturellement un exercice des plus périlleux, et en plus il repose sur l'idée d'une grande substitution entre films (avec l'idée sous-jacente que si le blockbuster du moment n'est pas programmé, les gens n'attendront pas une semaine qu'il arrive et iront voir autre chose. Là encore, c'est une idée devrait au moins être très solidement étayée par des arguments empiriques. Heureusement, un des rédacteurs a la présence d'esprit de remarquer qu'une conséquence directe de ce type de mesure serait de réduite les recettes des blockbuster, qui fournissent les profits qui épongent les pertes des autres films, et donc qu'une telle restriction pourrait déstabiliser profondément la filière. Ouf.

Au milieu de cette étrange idée, on trouve un paragraphe intéressant, qui se demande si les mécanismes actuels de soutien à la production et à la distribution ne contribuent pas à l'augmentation du nombre de films et de copies. Question très intéressante, mais manifestement là aussi vite oubliée.

Vient ensuite deux sections traitant de la répartition des aides. Pas grand'chose à en dire, dans la mesure où ce qui est dit me semble assez correct. En premier lieu, trop de films obtiennent la qualification « art et essai », y compris des films de Woody Allen ou de Francis Ford Coppola, pour lesquels la notoriété de leur réalisateur (attestée par leur présence dans des multiplexes) rend douteuse la nécessité d'un soutien particulier. Le rapport suggère ainsi de renforcer l'aspect sélectif des aides plutôt que de mettre l'accent sur des indicateurs quantitatifs (nombre d'entrées ou nombre de copies). Ce système augmente le pouvoir discrétionnaire du régulateur, mais a l'avantage de permettre de réduite le saupoudrage des aides. En second lieu, le rapport constate que le montant des aides sélectives est en général faible (30 000 euros par film inédit, une misère), est n'est pas remboursable en cas de bonne réussite du film (à la différence des aides fournies par Canal +). Le rapport suggère donc un recentrage des aides, en abordant que de biais les stratégies de coproduction permettant de ramasser des aides dans différents pays, et ne traitant pas du tout des effets du système des aides automatiques, qui tend à renforcer la position des réalisateurs déjà connus et bien installés.

2.4 Vidéo à la demande

Cette section s'interroge sur la concurrence fait au cinéma par la vidéo à la demande. Personnellement, je suis assez réservé sur l'ampleur de la substitution entre le cinéma et la VOD, que je verrai plutôt concurrencer directement la télévision. Je passe sur le morceau de bravoure obligé concernant les méchants pirates pour remarquer une dissonance dans cette partie. En effet, une recommandation mise en évidence est de mettre en place un accord général de respect d'une chronologie des médias (idée déjà présente dans le rapport Olivennes), tandis qu'une autre est de permettre la négociation film par film. jusque-là, rien d'anormal. Sauf que la mise en gras de chaque suggestion est pour le moins tendancieuse : la graisse souligne opportunément le fait que la première solution peut peut-être obtenir une exemption (la légalité d'un tel accord au regard du niveau européen est mineure, mais le paragraphe minore ce fait), tandis qu'elle souligne, avec des accents d'autant plus inquiétants que l'argument n'est absolument pas développé, que la seconde solution obligerait de reconstruire l'ensemble du circuit de financement du cinéma français (mais n'est-ce pas justement ce qu'on se proposait de faire dans les sections précédentes ?). Bref, il y a eu là manifestement un travail typographique particulièrement partisan.

je passe sur la dernière section, couplet obligé sur la rémunération des ayants-droits sur les services de VOD. Je ne verserai pas de larmes sur les pauvres ayant-droit français, qui veulent à la fois les pouvoirs de décision que leur donne le droit d'auteur français et les revenus que leur offrirait un système de copyright à l'anglo-saxonne, qui implique un transfert intégral des droits.

Conclusion ?

En conclusion de cette partie, je pense qu'elle vaut la peine d'être lue, même s'il faut faire l'effort de séparer le bon grain de l'ivraie. Il y a effectivement de bonnes suggestions et de bonnes idées, mais j'ai un peu peur que dans l'ensemble, leur importance soit systématiquement minorée par rapport à celles augmentant les possibilité de collusion entre agents de la filière cinématographique.