Résumé des épisodes précédents : voir chez Une heure de peine. En bref, Roger Guesnerie a remis un rapport sur l'enseignement des SES dans le secondaire, rapport plutôt mesuré et équilibré, c'est-à-dire pas du tout du goût des journalistes qui en ont rendu compte, qui s'attendaient manifestement à voir le sang couler. Je ne vais pas tout vous refaire, mais juste essayer de prendre un tout petit peu de recul.

D'abord, Roger Guesnerie recommande l'enseignement des SES à tous les élèves de seconde. En tant qu'économiste, je ne peux être que d'accord : l'ignorance des mécanismes de base du fonctionnement de la société (notez comme je suis consensuel, là) me semble une lacune importante dans la formation des citoyens. Cependant, j'ai un peu peur qu'il ne s'agisse là que d'un emplâtre sur une jambe de bois.

Je m'explique. J'ai participé il y a quelques jours à une réunion de coordination pédagogique pour les enseignements de cycles L en économie. Il s'agissait de la commission mathématiques et statistiques. J'y ai découvert (en plus d'un problème certain de coordination) que les enseignements donnés étaient très riches, et qu'un étudiant qui maîtriserait le contenu de ces enseignements erait, arrivé en M1, largement au niveau des anciens préparationnaires, et avec probablement une longueur d'avance du fait des enseignements en économie. Force est cependant de constater que la quasi-totalité des étudiants ne retiennent d'un semestre sur l'autre qu'une très faible fraction du programme.

Certes, il y a des problèmes d'autosélection des étudiants en fonction des filières. Mais pas seulement. Mon impression est qu'une bonne partie de l'enseignement secondaire est tout entier tendu vers l'acquisition des recettes nécessaires pour passer le baccalauréat. Je n'incrimine pas ici les enseignants : c'est à mons sens un problème de conception des programmes. Je tire cette idée de trois éléments.

D'une part, les conversations avec des amis enseignants de français dans le secondaire, qui constatent que le nombre de textes exigés pour l'épreuve oblige de fait à founir une fiche explicative avec chaque texte, sans pouvoir prendre le temps de doter les élèves des outils culturels et méthodologiques nécessaires pour que ces derniers puissent réaliser des explications qui tiennent la route.

D'autre part, des conversations avec des amis scientifiques, qui constatent la confusion dans le secondaire entre culture scientifique (méthode expérimentale, principaux résultats explicable de manière discursive, règles de la logique) et application de recettes toute faites, laissant les élèves désemparés face à un problème présenté de manière légèrement différente (toute analogie avec la méthode globale...).

Enfin, le troisième élément est le comportement constaté des étudiants, qui ne prêtent qu'une attention très limités aux contenus des enseignements. Ces derniers sont manifestement pour eux un moyen (avoir leur année, pour aller en année supérieure, pour avoir un diplôme pour avoir un emploi), et pas un ensemble d'outils qui leur seront ensuite utiles à la fois en tant que citoyens et dans leur vie professionnelle. Bref, ils appliquent au supérieur la fonction-objectif du lycée : avoir le bac (si possible avec une mention) en minimisant l'effort fourni. Pour en donner un exemple, j'encadre la préparation au C2i. À la fin de l'année, j'ai demandé un retour aux étudiants. L'un d'eux, qui me semble assez représentatif de l'opinion générale, s'est plaint que la formation contenait tout un tas de choses inutiles (chapitres sur le droit applicable aux outils numériques, sécurité informatique, anatomie d'un ordinateur par exemple), et aurait voulu une formation tout entière orientée vers l'acquisition de techniques d'utilisation des logiciels bureautiques.

Quel rapport avec la choucroute ? Eh bien, je crains que quelles que soient les améliorations qu'on peut apporter à l'enseignement des SES, on reste au final prisonniers de cette culture, avec des élèves qui auront retenu « ce qu'il fallait retenir » le temps de passer l'examen, et tout oublié ensuite, si ce n'est quelques faits caricaturaux, car séparés des outils méthodologiques qui ont permis de les construire. Plus je passe de temps dans l'enseignement, plus j'ai l'impression qu'il serait nécessaire de formaliser les liens entre les disciplines, en signalant quasi-systématiquement aux élèves puis aux étudiants les points où ils sont censés réutiliser des éléments issus d'autres cours, et que ces éléments seront considérés comme acquis. Cela aurait pour première conséquence de leur faire prendre conscience qu'avoir eu (de justesse) leur partiel n'est pas suffisant, et qu'il faut re-travailler un cours mal maîtrisé. Évidemment, cela demande une coordination forte entre enseignants, qui doivent se communiquer (et faire usage) de plans détaillés de ce qu'ils traitent effectivement en cours. J'ai fait une telle suggestion lors de la commission, qui a rencontré une certaine approbation, mais aussi une très, très vive opposition.