Alors, quels sont pour Le Monde les points essentiels. il me semble que le droit de courte citation m'autorise à les reprendre :

1. Privilégier l'interopérabilité

L'idée est bonne : il est clair que si un format propriétaire s'impose sur le marché, le propriétaire du format détiendra le goulot d'étranglement, et pourra siphonner tous les profits. Malheureusement, la phrase suivante parle de DRM. Combien de fois faudra-t-il le répéter : ça ne marche pas ! Surtout qu'un livre, ce sont des caractères et des images. Même avec des DRM, rien de plus facile que de faire des copies d'écran, et de les donner à manger à un logiciel de reconnaissance de caractère, tout cela étant parfaitement automatisable. Manifestement, les auteurs du rapport n'ont pas tiré les conséquence de ce qui s'est passé dans le domaine de la musique.

2. Mise en place d'une base de donné bibliographique

Là encore, pourquoi pas. Sauf que la référence faite à la BnF, qui ne se distingue pas par la qualité de son offre numérique, me fait froid dans le dos.

3. Soutenir la production de manuels universitaires de premier cycle

Il paraît qu'il y a une demande, et même, d'après ce que j'ai lu dans Le Livre, Mutations d'une industrie culturelle (F. Rouet, La Documentation Française), que le marché est juteux. Ah, il me manquait un mot : « ressources numériques ». Certes, mais on peut se demander comment cela s'articule avec la pratique croissante de la mise en ligne de leurs cours par les enseignants. J'ai l'impression de sentir là l'inquiétude des éditeurs qui voient un marché captif leur échapper.

4. Inclure une clause relative aux droits d'exploitation numérique

Apparemment, il s'agit d'empêcher la signature de contrats séparés pour l'édition papier et l'édition numérique. J'ai un peu de mal à comprendre l'argument, si ce n'est la peur des éditeurs papier de voir leurs meilleurs auteurs signer avec des éditeurs numériques. Cette restriction me laisse songeur sur l'identité de ses véritables bénéficiaires.

5. Réfléchir au calcul des droits patrimoniaux

Entendre : on n'a eu aucune idée sur comment faire évoluer les rémunérations.

6. Aménager contractuellement l'exercice du droit moral

Là, il y a peut-être une bonne idée : contacter et obtenir l'autorisation des ayant-droits pour une œuvre collective est aujourd'hui un casse-tête.

7. Adapter la loi Lang sur le prix unique pour l'univers numérique

Là, je dois bien dire que je ne comprend pas ce que cela veut dire. Ah, si, la dernière phrase, une citation du rapport, en éclaire le sens :

mécanismes aidant les ayants droit à déterminer et maximiser le prix de vente final

Évidemment, je tique sur le verbe « maximiser ». Pour moi, une entreprise qui peut maximiser son prix, c'est une entreprise qui a un pouvoir de monopole.

8. Développer les contrats de mandats entre éditeurs et distributeurs

Je trouve qu'on commence à y voir plus clair à ce point : il s'agit essentiellement de confier la décision du prix à l'éditeur, comme actuellement, et de neutraliser la concurrence entre libraires.

9. Mettre en place un groupe de pression "de la propriété intellectuelle" auprès des instances européennes

Je ne dirai pas ce que je pense que cela. Je pourrais être grossier. Même si on peut discuter de la propriété intellectuelle, je ressent un profond dégoût à l'idée que l'États français puisse se comporter en lobby. Je sais qu'il le fait déjà, mais est-ce la peine d'en rajouter ?

10. Instaurer une TVA à 5,5 % pour les contenus culturels en ligne

Tiens donc, là, on nous explique que les consommateurs s'attendent à payer moins cher (et donc qu'ils sont sensibles aux prix), après toute une série de mesure destinées à s'assurer que le prix des livres numériques sera le plus élevé possible en neutralisant systématiquement les modes de concurrence. Un petit problème de cohérence, Messieurs ?

Un pas en arrière

Faisons un pas en arrière et regardons le dessin d'ensemble de ces mesures. Plusieurs choses me frappent. Premièrement, il n'est jamais question d'auteurs, mais d'ayant-droit. Je ne peux m'empêcher de penser que les premier ne se confondent qu'imparfaitement avec les seconds, et que le rapport balaye sous le tapis cette distinction. Or, ne pourrait-on pas penser qu'il est plus important de considérer, côté offre, les intérêts des auteurs vivants que ceux des enfants des auteurs morts ?

Deuxièmement, il y a un autre grand absent de ces mesures : le lecteur. J'ai noté au point dix que sa sensibilité aux prix n'était prise en compte que quand il s'agissait de réduire la TVA (et donc les recettes de l'État), mais pas quand il s'agissait de garantir que les livres seront chers. Après cela, on nous explique que le doublement du prix des livres par rapport au reste des biens n'a eu aucun effet sur la demande. Ben voyons. Dans le même ordre d'idée, une politique d'encouragement à la lecture (on en connait qui marche) ne semble pas avoir beaucoup retenu l'attention.

Troisièmement, les auteurs n'ont manifestement pas d'autre idée que d'essayer de reconduire à l'identique ce qui existe. Quelles sont les vertus du système actuel ? Personne ne le sait vraiment, mais on nous promet la catastrophe si on le change. Pourtant, les arguments à l'encontre du prix unique du livre et du contrôle de la filière par les éditeurs ne manquent pas, pas plus que ceux contre le système actuel de transfert des droits (voir l'ouvrage Free Culture, de L. Lessing). Manifestement, le débat sur ces points n'est pas là.

Et pour cause : ce rapport me semble être l'exemple quasi-idéal-typique de ce que Françoise Benhamou dénonce dans Les Dérèglements de l'exception cuturelle : la capture du régulateur, en l'occurrence le Ministère de la Culture, par le secteur qu'il est censé réguler (l'édition), avec pour conséquence l'édition de lois et de règlements dont le but essentiel est de défendre les rentes du secteur, sans considération de l'opportunité de cette défense ou de l'intérêt des clients du secteur en question.

Comme le dit Assouline, le passage de l'édition numérique, c'est aujourd'hui. Avec un niveau de réflexion de ce type, les éditeurs français abordent ce tournant avec les armes d'avant-hier.