Le projet de Laurent Mauduit est, au travers du personnage d'Alain Minc, de faire une description d'un certain haut capitalisme parisien, fait de conseils, participations et influence croisées. Alain Minc, plus souvent qu'à son tour, s'est ainsi retrouvé à conseiller à la fois une société faisant une OPA et la société cible, et s'est fait une place au cœur de ces conflits d'intérêts.

Une partie de l'ouvrage me semble incontestable : l'enquête journalistique autour du « système Minc » : comptes-rendus de conseils d'administration, rapports, comptes épluchés avec un remarquable patiente, courage d'aller poser des question sur un homme influent aux plus importants de ses pairs, de mettre au jour les ressorts opaques de certaines des plus importantes opérations financières des quinze dernières années.

L'autre partie ne me convainc tout simplement pas. Elle repose sur deux idées, selon moins fausses, à tout le moins très discutables.

La première est que le nœud de conflits d'intérêts, le « capitalisme de la barbichette » (je te tiens, tu me tiens) décrit autour d'Alain Minc pose problème. Certes, les plus grands patrons du CAC40 sont concernés. Mais en matière d'impact sur l'économie, sur les investissements, le CAC40 est en France l'arbre qui cache la forêt. D'ailleurs, le livre, s'il parle d'échanges, de concurrence sur des parts de contrôles, ne dit strictement rien sur les conséquences des petits conseils et arrangements sur les politiques industrielles, les politiques d'investissement, d'emploi et commerciales des entreprises concernées. Si cette guéguerre au sommet a pour résultat de confier les décisions économiques pertinentes à l'échelon inférieur de la hiérarchie, est-ce un problème ? Rien n'est moins sûr. C'est d'autant moins sûr qu'un de mes collègues de bureau (Nicolas, si tu pouvais poster la référence exacte) m'a appris que ce phénomène a été étudié avec des outils économiques et statistiques aux États-Unis, où, en dépit de la transparence tant vantée par Laurent Mauduit, le même phénomène est très présent. Le résultat de l'étude est apparemment que la présence de participations croisées dans les conseils d'administration et les conflits d'intérêts visibles (participations des mêmes personnes à différents CA) n'ont pas d'impact mesurable sur la performance économique des entreprises. La question que je me pose à ce niveau est ainsi de savoir si le « système Minc » ne nuit pas essentiellement à ceux qui en font partie, soit un petit cercle de capitalisme parisien, sans grand impact réel sur l'économie française.

La deuxième est que le « système Minc » serait représentatif de l'ensemble du fonctionnement du capitalisme français. Laurent Mauduit, lors du déjeuner-débat au Sénat, parlait à juste titre de « capitalisme parisien ». Le capitalisme français est-il limité à la bourse de Paris ? Fort heureusement non. D'une part, de nombreuses entreprises très importantes pour l'économie française sont des entreprises étrangères, donc à l'extérieur du petit cercle des grands patrons français. D'autre part, de nombreux patrons importants ne font pas partie de ce monde. Les héritiers Michelin, la famille Leclerc, Denis Olivennes n'apparaissent jamais dans ce système. J'en viens donc à me demander à quel point ce fameux « système » concerne plus d'une dizaine de personne. À ce égard, j'ai peur que la situation personnelle de Laurent Mauduit, qui a été une victime de l'influence d'Alain Minc, ne l'ait incité à généraliser les conséquences de cette influence.

Reste un point : l'influence en France de ce petit monde des grands patrons et des conseillers sur la presse. Pour Laurent Mauduit, cette influence constitue une menace grave pour la démocratie. Je doute un peu : une des premières choses que j'apprends à mes étudiants est le recul critique qu'il faut prendre vis-à-vis d'un article, quelle que soit sa source. De plus, mon réflexe d'économiste est de me dire que si les journaux deviennent plus mauvais du fait de cette influence, moins de gens voudront les lire, libérant de l'espace pour une presse plus indépendante : l'intérêt bien compris des patrons sus-cités est donc de ne pas trop intervenir. Je suis d'autant moins enclin à pleurer sur la presse française que je constate le large fossé qui la sépare d'une publication comme The Economist, dont le biais libéral est sincèrement assumé, ce qui lui permet de séparer avec sincérité les faits de leur analyse. Les articles n'y sont pas signés, l'ensemble de la rédaction souscrivant collectivement à tout ce qui est publié. Du coup, je réagis assez mal à une fausse neutralité drapée dans les plis de la sacro-sainte « indépendance ».

Enfin, je voudrais rappeler à Laurent Mauduit les critères du prix auquel il participe : il vise à récompenser à ouvrage « d'économie scientifiquement incontestable et accessible au grand public. » Petits conseils est certes accessible au grand public, il est même très bien écrit, mais il ne s'agit pas d'un livre d'économie, et surtout il n'a ni prétention ni portée scientifique. Si on en suit ces critères, j'admets qu'un seul ouvrage était recevable, le Repères de Brender et Pisani (quoique la dimension grand public soit un peu problématique). Bref, il y a eu dans la sélection du comité scientifique une large majorité d'erreurs de casting. Que Laurent Mauduit veuille donc bien excuser les économistes de préférer des ouvrages qui parlent d'économie, et qui ont au moins la volonté de présenter la science économique, même si la présentation et la scientificité sont discutables. Son livre est un modèle d'enquête journalistique. Rien de moins, mais rien de plus non plus.