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Le RPM, késako ?

On parle de RPM quand, dans une relation entre une entreprise amont et une entreprise aval (canoniquement un fabricant et un détaillant) le premier a le pouvoir de choisir le prix pratiqué par le second. Comme, par définition, il choisit aussi sont prix de gros, il contrôle ainsi complètement la marge du détaillant. Tentant donc a priori. Sauf que voilà, on sait par ailleurs que le fabricant (ci-après le principal) a d'autres moyens d'inciter son détaillant (ci-après l'agent) à pratiquer le prix qui maximise les profits joints des deux entreprises, et à récupérer l'intégralité de ce profit par une franchise (une somme fixe que le détaillant doit payer pour pouvoir acheter le bien concerné au principal). On a donc du mal à comprendre pourquoi d'une part le RPM est assez généralement pratiqué là où il est autorisé, et d'autre part pourquoi il est souvent interdit en tant que mesure anti-concurrentielle par les autorités compétentes.

Point de départ

Le point de départ de la littérature sur le RPM est Telser, 1960 (Telser, "Why Should Manufacturers Want Fair Trade", Journal of Law and Economics, 3, 86-105, 1960). Dans cet article, Telser met en avant deux explications possibles du RPM :

  1. La possibilité pour un fournisseur en monopole d'imposer à ses détaillants un prix de monopole (créant de fait un cartel);
  2. Pour certains biens, les détaillants fournissent un effort non-vérifiable (mise en avant du produit aux clients, démonstration, publicité locale : Tangible presale services), d'autres non. Si les coûts de transport des consommateurs sont faibles, ils ont alors intérêt à aller d'abord se renseigner chez les détaillants qui font l'effort, puis aller acheter moins cher chez les autres (qui n'ont pas à récupérer le coût de l'effort). À l'équilibre, personne ne fait d'effort, et la demande totale pour le bien est plus faible. Un RPM, en supprimant le motif d'opportunisme, incite tous les détaillants à fournir l'effort.

Il semble assez clair que si (1) plaide pour l'interdiction systématique du RPM, (2) suggère qu'un examen au cas-par-cas est nécessaire. Ces deux explications ont ainsi donné naissance aux deux grandes branches de la littérature sur le RPM. La première, reprenant l'interrogation initiale, examine dans quelles conditions le RPM pourrait être le moyen optimal de coordonner fournisseur et détaillants sur l'équilibre de monopole. La seconde se demande pour quels types d'interactions entre les détaillants le RPM permet une coordination qui peut améliorer la situation non seulement pour l'offre, mais aussi pour les consommateurs.

RPM et cartellisation

La littérature de cette branche part d'une extension de l'analyse des contrats de franchise. En effet, si la franchise permet avec un seul détaillant de récupérer l'intégralité du profit, il n'en va pas de même à partir du moment où deux détaillants sont actifs sur le marchés, et que le mode de concurrence implique une certaine forme de complémentarité stratégique entre les deux (ie que les deux détaillants ne se comportent pas comme s'il s'agissait d'une même entreprise, c'est le cas en Bertrand s'il y a des coûts fixes, des coûts variables non-linéaires, ou en concurrence à la Cournot). Dans tous ces cas, le prix de monopole n'est pas celui qui maximise les profits du principal, ni les profits combinés du secteur, les deux détaillants ayant systématiquement intérêt à produire trop, puisqu'ils n'internalisent pas la diminution du profit du principal lié à les comportement concurrentiel. Cette branche de la littérature sur le RPM considère donc essentiellement les externalités entre détaillants liées à la fixation des prix.

Dans un premier temps, les efforts ont porté sur l'identification d'ensembles minimaux de restrictions verticales (RPM, franchises, mais aussi territoires exclusifs et quantités imposées) suffisants pour atteindre le profit de monopole (du point de vue du producteur). Mathewson et Winter, 1984 (Mathewson, G. F. & Winter, R. A., "An Economic Theory of Vertical Restraints", The RAND Journal of Economics, 1984, 15, 27 - 38) donne une caractérisation générale de tels ensembles dans un cadre de concurrence imparfaite (les détaillants sont localisés et les consommateurs sont sujets à des coûts de transport) et d'aléa moral (la demande dépend d'un effort non observable du détaillant). Il y a alors trois types d'externalités de fait :

  • Externalité verticale : pour le prix de gros w qui maximise le profit du principal, le prix pratiqué par chaque détaillant (indépendamment l'un de l'autre) est supérieur au prix de monopole (on parle de double marginalisation)
  • Externalité horizontale hors prix : une partie de l'effort d'un détaillant augmente la demande s'adressant à d'autres détaillants. L'effort qui maximise le profit d'un détaillant est donc inférieur à l'effort optimal à un prix donné.
  • Externalité horizontale prix : la demande qui s'adresse à un détaillant dépend positivement du prix des autres détaillants, induisant une concurrence en prix qui conduit un prix d'équilibre inférieur ou égal au prix de monopole.

Le RPM est suffisant pour annuler la première et la dernière externalité, un prix de gros inférieur au coût marginal suffit alors pour que l'agent fasse l'effort optimal, et la franchise permet au principal de récupérer l'intégralité du profit.

Ce cadre d'analyse suppose cependant une forte information du principal, qui, s'il ne connaît pas l'effort, connaît l'état de la demande ainsi que les coûts de chacun de ses détaillants. Le problème du principal n'est ainsi que de s'assurer que le niveau d'effort de l'agent est bien celui qu'il désire. Or, dans l'existence même d'une relation entre principal et agent repose sur l'idée qu'il est plus économique de déléguer certaines décisions à l'agent que de s'intégrer verticalement avec lui, en partant par exemple du principe que l'agent a accès à une information qui échappe au principal et échapperait à une structure verticalement intégrée. Rey et Tirole, 1986 (Patrick Rey et Jean Tirole, "The Logic of Vertical Restraints", The American Economic Review, 1986, 76, 921 - 939) reprennent donc cette analyse en y introduisant deux dimensions d'incertitude (l'agent est informé de manière privée de l'état de la demande ou de ses coûts) ainsi qu'une dimension d'assurance (un détaillant donné peut être plus averse au risque que le principal, pour lequel une mauvaise demande sur un marché peut être compensé par une bonne demande sur un autre). Dans ce cadre, les auteurs montrent que la concurrence sans restriction entre agents fournit une certaine forme d'assurance contre les plus mauvais cas, en limitant les écarts de profit entre les différents états de la nature, que que les agents trouvent désirables s'ils sont assez averses au risque. Pour une aversion au risque plus modérée, il existe un arbitrage entre l'usage de l'exclusivité territoriale, qui incite chaque agent à utiliser de manière optimale son information privée, et l'usage du RPM, qui fournit une assurance contre les chocs de demande.

Le travail de Rey et Tirole a ensuite fait l'objet d'extensions. Gal-Or, 1991 (Esther Gal-Or, "Vertical Restraints with Incomplete Information", The Journal of Industrial Economics, 1991, 39, 501 - 516) élimine du cadre de Rey et Tirole la dimension de concurrence entre détaillants, afin de considérer des contrats contingents à des signaux de l'agent envoyés une fois que l'incertitude est réalisée. Elle accorde de plus à l'agent la possibilité de se retirer si la réalisation de l'incertitude le conduit à un profit négatif, correspondant à la situation d'aversion au risque infinie dans Rey et Tirole. Dans ce cadre, deux distorsions peuvent advenir : d'une part, la révélation de l'information implique un transfert du surplus du principal vers l'agent, par une distorsion des prix de gros et de la franchise. D'autre part, cette révélation peut impliquer une distorsion des prix de manière à augmenter le bénéfice de l'agent lorsqu'il ne déforme pas son information privée, ce qui conduit à un prix final supérieur au prix de monopole. Gal-Or trouve que le RPM fournit un instrument efficace en plus d'une franchise pour réduire ces deux distorsions. Toutefois, en cas d'incertitude sur les coûts, ces distorsions persistent, et la combinaison de la franchise ne permet pas de rétablir les profits de monopole, contrairement à un résultat alors tenu pour classique (Perry et Groff, "Resale Price Maintenance and Forward Integration into a Monopolistically Competitive Industry", The Quaterly Journal of Economics, 1985, 100, 1293 - 1311, qui montrent qu'avec des fonctions d'utilité CES à la Dixit-Stiglitz, le RPM est équivalent à une intégration, et que la baisse des prix liée à la résolution de la double marginalisation est plus que compensée en termes de bein-être par la réduction du nombre de variétés).

Blair et Lewis, 1994 (Blair et Lewis, "Optimal Retail Contracts with Asymetric Information and Moral Hazard", The RAND Journal of Economics, 1994, 25, 284 - 296) combinent l'incertitude sur la demande de Rey et Tirole et le motif d'effort incontractible de Mathewson et Winter, créant une situation de double aléa moral. Ici aussi, l'arbitrage central est entre la rente informationnelle laissée à l'agent et la capacité du principal à capturer une part du profit par une franchise. Blair et Lewis démontrent que dans cette situation, une forme de RPM ainsi qu'une quantité (maximale ou minimale) imposée font toujours partie du contrat optimal proposé par le principal. L'effet net sur le bien-être, ainsi que le sens de la contrainte (plancher ou plafond) dépend du degré de substituabilité entre le prix et l'effort pour augmenter la demande. Contrairement aux articles précédents toutefois, le seul motif de cette distorsion est la minimisation par le principal des rentes de l'agent, les autres motifs (extraction du surplus du consommateur, maximisation des profits joints) étant exclus par construction.

Romano, 1994 (Romano, "Double Moral Hazard and Resale Price Maintenance", The RAND Journal of Economics, 1994, 25, 455 - 466) étudie pour sa part le cas où le principal et l'agent font tous deux un choix non contractible (par exemple la qualité du bien et la publicité qui en est faite localement). Ce type d'aléa moral réciproque met à mal les contrats habituels, qui n'apportent à l'agent aucune garantie sur le choix du principal. Le RPM en revanche sert trivialement d'instrument d'engagement pour le principal, qui contrôle aussi par ce biais les incitations fournies par l'agent.

Un courant plus récent de la littérature sur le sujet revient en quelque sorte aux sources du problème du cartel. Jullien et Rey, 2001 (Jullien et Rey, "Resale price Maintenance and Collusion", 2000) remarque que le RPM assure un prix plus uniforme, et permet ainsi de détecter (et de punir) les déviations dans le cadre d'une collusion tacite. Rey et Vergé, 2004 (Rey et Vergé, "Resale Price Maintenance and Horizontal Cartel", 2004) étudie une situation avec deux principaux et deux agents, chaque agent pouvant vendre les produits de chacun des deux principaux. Avec de telles relations croisées, le RPM permet de limiter la concurrence à la fois entre détaillant sur un même produit, et entre produit. Dans des cas extrêmes, il peut même permettre de restaurer le profit de monopole. Les mêmes auteurs, dans un autre article de 2004 (Rey, P. & Vergé, T. Bilateral Control with Vertical Contracts The RAND Journal of Economics, 2004, 35, 728-746) confirment le résultat de O'Brien et Shaffer, 1992 concernant l'usage du RPM comme antidote à l'opportunisme d'un principal avec plusieurs agents avec des concepts d'équilibre plus généraux que le concept de contract equilibrium employé par O'Brien et Shaffer.