Le papier en question : Lilo Locher, "Public Library Fees in Germany", Journal of Cultural Economics, 2005, 29, p. 313-324.

D'abord, pourquoi faire payer l'accès à une bibliothèque ? La question semble triviale. Pourtant, en Allemagne, les recettes des bibliothèques sont obligatoirement versées dans le pot commun du budget municipal. Cependant, l'auteur remarque que le financement des bibliothèques demandant des droits d'accès est significativement supérieur à celui des autres. Le fait de produire des recettes permet donc aux bibliothèques allemande de justifier des subventions plus élevées. On peut donc retenir l'aspect d'augmentation des ressources. L'auteur souligne également un second effet. La pression exercée par les lecteurs, qui en veulent pour leur argent, a des effets mesurables en termes d'amélioration de l'effort des bibliothécaires : augmentation des heures d'ouverture, du fonds, de l'organisation du fonds et des services aux lecteurs (réseau sans fil, tables équipées de prises, etc).

Ensuite, quels sont les effets sur les lecteurs. C'est là l'objet central de l'article. Les auteurs remarquent que seuls quatre arrangements sont employés : la gratuité, un droit d'accès fixe, un droit par ouvrage emprunté, la combinaison des deux. Dans ce qui suit, on considère indifféremment les visites (comme à la Bibliothèque Nationale) ou les emprunts (les mécanismes sont identiques). A priori, on sait que les différents instruments vont avoir les effets suivants :

Droit d'accès fixe :

  • Le nombre d'usagers nominaux (inscrits, mais qui ne viennent jamais) diminue, ce qui diminue le nombre d'inscrits, mais augmente mécaniquement le nombre d'emprunts par inscrit;
  • Les usagers qui viennent peu ne viennent plus, avec les mêmes conséquences que ci-dessus, plus une baisse du nombre d'emprunts totaux;
  • Une augmentation du partage de carte, conduisant à une augmentation du nombre d'emprunts par inscrit.

Paiement à la visite/à l'emprunt :

  • Le nombre d'usagers nominaux diminue;
  • Les usagers venant peu sont découragés, mais dans une moindre mesure que ci-dessus;
  • Le phénomène de partage de carte est rendu plus difficile, augmentant le nombre d'inscrits.

On voit donc qu'il y aura vraisemblablement un impact négatif sur le nombre d'inscrits. Cela n'est pas forcément un mal, si on entend par là la suppression dans les chiffres des inscrits qui ne viennent jamais. Il y aura également un impact négatif sur le nombre total d'emprunt. Cependant, l'amélioration du service permise par les ressources additionnelles et la pression des lecteurs a un impact positif sur ces deux variables. C'est là qu'interviennent les chiffres, qui permettent de trancher.

Les résultats obtenus par l'auteur sont clairs : la présence d'un droit d'accès à un impact nul sur le nombre d'emprunts. L'existence d'un droit d'accès réduit la proportion d'inscrits, mais le niveau du droit a peu d'effet sur cette proportion, ce qui signifie que l'éviction porte essentiellement sur les gens ne venant jamais. La présence des différents types de tarification lui permet en outre de montrer que l'impact du partage de carte est très faible. De plus, le nombre d'emprunts par inscrits augmente très nettement, du fait de l'éviction, mais aussi sans doute du fait d'une hausse du nombre d'emprunts par les gens restant inscrits (et payant le droit d'accès). Enfin, le contrôle par le nombre d'heures d'ouverture signale ce facteur comme un déterminant important du nombre d'inscrits et d'emprunts.

Exercice, appliquons cette analyse au cas de la bibliothèque de l'ENS. Quels sont ses problèmes et ses objectifs ? Elle est chroniquement sous-financée. Son fonds est considérable (pas de difficulté à ce niveau-là ), mais sous-entretenu (tous les volumes ne sont pas encore présents dans une base informatique, il faut aller chercher dans des classeurs papier, de nombreux volumes devraient partir à la reliure). Les places sont rares et étroites (je ne sais pas s'il y a un accès réseau sans fil). Certains usagers insistent sur son importance comme lieu de rencontre entre chercheurs (anciens élèves) et étudiants. Cependant, elle est victime d'un fort taux de disparition. Enfin, ses horaires d'ouverture sont ridiculement réduits au regard des bibliothèques des grandes universités étrangères, en particulier en soirée.

Quelles seraient les conséquences de l'établissement d'un droit d'accès ? Certainement, il y aurait des retombées financières souhaitables. Ensuite, l'étude ci-dessus montre qu'on n'a pas à craindre de baisse de fréquentation, puisque l'éviction est faible, et d'autant plus réduite que la mise en place d'un droit d'accès s'accompagne d'une hausse de la qualité du service, qui ici pourrait immédiatement prendre la forme d'une augmentation des heures d'ouverture.