Le Pigou club

Cela fait un moment que l'idée d'une taxe pigouvienne s'est insinuée dans certains débats. L'idée de la taxe est simple : obliger un producteur à prendre en compte les coûts que son activité entraîne pour la collectivité, par exemple parce qu'il pollue. Ainsi, si un producteur utilise une technique moins coûteuse et plus polluante qu'un autre, une telle taxe réduira son avantage, et l'incitera à utiliser le processus moins polluant.

Pour être efficace, une telle taxe doit avoir une assiette très large, et surtout avoir une évolution en rythme avec les changements de comportements. Ainsi, Greg Mankiw propose une taxe sur le pétrole, faible, mais qui augmenterait régulièrement, mettons d'un quart d'euro par litre et par an. Cela donnerait le temps aux fabricants de voitures de mettre au point des moteurs plus sobres ou à carburants alternatifs, et aux consommateurs de changer de voiture.

Est-ce cela que nous propose notre Premier ministre. Non, et de loin. En effet, ce qu'il propose, c'est une taxe sur le carbone dans les seuls produits importés. Qu'est-ce que cela change ? Tout. Qui, en effet, va être touché par cette taxe ? D'une part les pays respectant le protocole de Kyoto, d'autre part les autres. Pour les producteurs respectant le protocole, cette taxe est injuste : ils subissent un désavantage de coût, via la taxe, que ne subissent pas leurs concurrents français. C'est du protectionnisme bas de gamme, et on sait que cela ne sert qu'à fournir des rentes aux producteurs français qui, paradoxalement, auront moins d'incitations à adopter des processus moins polluants. Un effet contre-productif d'un côté. Voyons maintenant les producteurs hors du protocole de Kyoto. Sont essentiellement visés la Chine et les Etats-Unis. Or, qu'est-ce que le marché français pour les producteurs de ces deux pays ? Rien, ou presque. La taxe leur fournira donc une incitation totalement négligeable à être moins polluant. Effet nul de ce côté, donc. Le bilan est ainsi vite fait : on va payer plus cher les produits importés, et épargner encore un petit peu plus à nos producteur l'effort d'être moins polluants.

Une telle taxe pourrait avoir un intérêt si elle était étendue à l'ensemble de l'Union Européenne, qui constitue un marché bien plus conséquent, et réalise l'essentiel de son commerce en interne. Cependant, il semble que notre Premier ministre ait oublié d'en parler avec ses homologues, probablement parce que ceux-ci estiment, sans doute à juste raison, que la France fixé à ses industriels des quotas d'émission plus que généreux, et est donc mal placée pour faire la leçon aux autres pays. Rappelons que, in fine, c'est le consommateur qui va payer la taxe en question via le renchérissement des produits concernés.

Ajoutons un problème que le Premier ministre semble considérer comme trivial : comment évalue-t-on la quantité de carbone incorporé dans un produit donné ? Il est évidemment impossible d'aller visiter chaque usine américaine ou chinoise. Donc on va faire ça à la louche, avantageant parmi les producteurs des pays concernés ceux qui feront le moins d'efforts (puisque leurs produits seront taxés pareil que ceux de leurs concurrents moins polluants). Gageons cependant que les produits en concurrence avec les produits d'industriels amis de l'Elysée ou de Matignon vont d'un coup devenir très chargés en carbone.

Bref, une fois encore, l'instrumentalisation d'une bonne idée non seulement conduit à des effets contre-productifs directs, mais en plus nuit à toute future application de l'idée en question. Villepin, bonnet d'âne !