Une taxe sur le CO2 ? Villepin, bonnet d'âne.
Voici que Dominique de Villepin annonce une taxe sur le carbone. Aurait-il rejoint, pas un miracle incroyable, les rangs du Pigou club ? Que nenni ! Ou comment mal utiliser une bonne idée.
Le Pigou club
Cela fait un moment que l'idée d'une taxe pigouvienne s'est insinuée dans certains débats. L'idée de la taxe est simple : obliger un producteur à prendre en compte les coûts que son activité entraîne pour la collectivité, par exemple parce qu'il pollue. Ainsi, si un producteur utilise une technique moins coûteuse et plus polluante qu'un autre, une telle taxe réduira son avantage, et l'incitera à utiliser le processus moins polluant.
Pour être efficace, une telle taxe doit avoir une assiette très large, et surtout avoir une évolution en rythme avec les changements de comportements. Ainsi, Greg Mankiw propose une taxe sur le pétrole, faible, mais qui augmenterait régulièrement, mettons d'un quart d'euro par litre et par an. Cela donnerait le temps aux fabricants de voitures de mettre au point des moteurs plus sobres ou à carburants alternatifs, et aux consommateurs de changer de voiture.
Est-ce cela que nous propose notre Premier ministre. Non, et de loin. En effet, ce qu'il propose, c'est une taxe sur le carbone dans les seuls produits importés. Qu'est-ce que cela change ? Tout. Qui, en effet, va être touché par cette taxe ? D'une part les pays respectant le protocole de Kyoto, d'autre part les autres. Pour les producteurs respectant le protocole, cette taxe est injuste : ils subissent un désavantage de coût, via la taxe, que ne subissent pas leurs concurrents français. C'est du protectionnisme bas de gamme, et on sait que cela ne sert qu'à fournir des rentes aux producteurs français qui, paradoxalement, auront moins d'incitations à adopter des processus moins polluants. Un effet contre-productif d'un côté. Voyons maintenant les producteurs hors du protocole de Kyoto. Sont essentiellement visés la Chine et les Etats-Unis. Or, qu'est-ce que le marché français pour les producteurs de ces deux pays ? Rien, ou presque. La taxe leur fournira donc une incitation totalement négligeable à être moins polluant. Effet nul de ce côté, donc. Le bilan est ainsi vite fait : on va payer plus cher les produits importés, et épargner encore un petit peu plus à nos producteur l'effort d'être moins polluants.
Une telle taxe pourrait avoir un intérêt si elle était étendue à l'ensemble de l'Union Européenne, qui constitue un marché bien plus conséquent, et réalise l'essentiel de son commerce en interne. Cependant, il semble que notre Premier ministre ait oublié d'en parler avec ses homologues, probablement parce que ceux-ci estiment, sans doute à juste raison, que la France fixé à ses industriels des quotas d'émission plus que généreux, et est donc mal placée pour faire la leçon aux autres pays. Rappelons que, in fine, c'est le consommateur qui va payer la taxe en question via le renchérissement des produits concernés.
Ajoutons un problème que le Premier ministre semble considérer comme trivial : comment évalue-t-on la quantité de carbone incorporé dans un produit donné ? Il est évidemment impossible d'aller visiter chaque usine américaine ou chinoise. Donc on va faire ça à la louche, avantageant parmi les producteurs des pays concernés ceux qui feront le moins d'efforts (puisque leurs produits seront taxés pareil que ceux de leurs concurrents moins polluants). Gageons cependant que les produits en concurrence avec les produits d'industriels amis de l'Elysée ou de Matignon vont d'un coup devenir très chargés en carbone.
Bref, une fois encore, l'instrumentalisation d'une bonne idée non seulement conduit à des effets contre-productifs directs, mais en plus nuit à toute future application de l'idée en question. Villepin, bonnet d'âne !
Publié le mercredi, novembre 15 2006, par Mathieu P. dans la catégorie : General - Lien permanent
Commentaires
mercredi, novembre 15 2006
20:07
3 petites remarques :
— ND- Je crois que ses déclarations ciblaient uniquement les importations en provenance de pays ne respectant pas Kyoto. Ca ne change cependant pas grand chose au schmilblick
- Oui, la mesure des émissions est difficile. Mais elle va être nécessaire, des outils existent, il faut les améliorer.
- Et oui, on va inévitablement vers des bidonnages des procédures de me sure tels que vous les évoquez.
Snirfl...
jeudi, novembre 16 2006
10:30
J'avais posté un commentaire hier qui n'est pas passé, où je faisais la même objection que ND : ca n'est censé concerner que les producteurs des pays non-signataires de Kyoto.
— Eric C.Mais je ne suis pas d'accord pour dire que cela ne change "pas grand chose au schmilblick" ; il s'agit de modifier des équilibres.
Si la consommation des français se reporte, même insensiblement, sur des produits manufacturés dans des pays "moins pollueurs" plutôt que dans des pays "plus pollueurs", le bilan est positif.
jeudi, novembre 16 2006
12:05
J'ajoute une chose : si je pense qu'il y aura des bidonnages de mesures en fonction de qui aura l'oreille du gouvernement, c'est que le cas s'est déjà présenté avec d'autres restrictions, généralement des règlements sanitaires. J'ai plusieurs fois entendu citée l'obligation faite aux producteurs de lait de chamelle d'utiliser des trayeuses automatiques... qui n'existent pas pour les chamelles. À qui faisaient-ils concurrence ? À certains producteur de fromage haut de gamme.
Eric: Encore un raté de spamplemousse. J'ai eu la gâchette un peu facile pour vider la file de modération. L'effet de report vers des produits moins polluants peut exister. Je pense même qu'en la matière, les incitations par les prix, par exemple avec une vraie taxe pigouvienne, sont une bonne idée. Seulement, je doute que les taxes soient passées in fine aux consommateurs. Pour produire un effet mesurable, il faudrait que la taxe soit très conséquente, provoquant un renchérissement net des produits concernés. Sinon, on reste dans le domaine des menu costs, et la taxe va être absorbée par une réduction des marges des importateurs et des détaillants.
— leconomistejeudi, novembre 16 2006
13:58
Il est clair que la taxe doit être très forte vu la faible élasticité-prix de nombreux produits riches en CO² (la consommation d'essence par exemple, qui en plus a l'avantage d'être à peu près corrélée avec les émissions de CO² du véhicule).
— NDA tel point que la taxation des émissions des GES devra probablement occuper à terme une part très substantielle des revenus fiscaux de l'état, la moitié peut être, avec diminution proportionnelle des sources classiques que sont l'imposition du travail et du capital. Mais là , c'est toute la philosophie de nos finances publiques qui est à réinventer...
vendredi, novembre 24 2006
22:42
Flûte Stiglitz dit la même chose que moi (www.project-syndicate.org... ) :
— ND"A global externality can best be dealt with by a globally agreed tax rate. This does not mean an increase in overall taxation, but simply a substitution in each country of a pollution (carbon) tax for some current taxes. It makes much more sense to tax things that are bad, like pollution, than things that are good, like savings and work.
Although President George W. Bush says he believes in markets, in this case he has called for voluntary action. But it makes far more sense to use the force of markets – the power of incentives – than to rely on goodwill."
Je sais pas si je dois être content ou pas.
Via le blog de Greg Mankiw : gregmankiw.blogspot.com/2...