L'argument de Mankiw est simple : si on diminue le pouvoir de monopole des compagnies pharmaceutiques, on diminue leurs profits, et donc les dépenses de recherche et développement qu'ils permettent. C'est du Schumpeter de manuel, rien de révolutionnaire : les profits tirés du pouvoir de monopole sont la source financière des programmes lourds de R&D.

Certes, encore faut-il distinguer R&D et R&D. Comme le fait remarquer un commentateur, la recherche médicale privée est fortement biaisée en faveur des médicaments ayant la plus forte rentabilité espérée, c'est-à-dire essentiellement des médicaments "de bien-être" (Viagra, anti-douleur, antidepresseurs) ou répondant à une demande forte et à hauts revenus, au moins dans les pays riches : cancer, sida. Au contraire, la recherche sur les maladies rares, les fameuses "maladies orphelines" est essentiellement abondée par des fonds publics.

Maintenant, il faut s'interroger sur la source de cette demande. En pratique, le prix d'un médicament à une importance secondaire sur le niveau de la demande, tous les pays développés ayant un système de sécurité sociale qui rembourse les médicaments ayant un effet thérapeutique reconnu. Et là on s'arrête : reconnu par qui ? Dans chaque pays, il existe une autorité qui seule décide si un médicament peut être mis en vente, et une autre qui décide s'il peut être remboursé. Ces autorités sont-elles incités à suivre la politique optimale d'autorisation et de remboursement au regard de la collectivité. C'est douteux : elles sont, à un niveau plus dramatique, face au même conflit d'intérêt que les offices des brevets, dont j'ai déjà parlé.

En effet, les offices de brevets sont rémunérés proportionnellement au nombre de brevets acceptés, et ne subissent pas de pénalité quand un brevet est annulé. De même, les agences de mise sur le marché de médicaments sont prises dans un conflit d'intérêt. Certes, elles seront en première ligne si elles autorisent la mise sur le marché d'un médicament dangereux. En revanche, elles n'encourent aucune pénalité à laisser passer un médicament inutile, ou n'offrant rein de plus que l'offre existante. Au contraire, elles courent le risque de se voir reprocher tout retard dans la mise à disposition d'un médicament efficace, supposé tel ou très demandé. Ainsi, le Viagra a été autorisé en six mois au Japon, alors que la pilule contraceptive, réputée ne pas convenir à l'équilibre hormonal des japonaises, a attendu jusqu'à la même date. L'incitation résultante est donc le laxisme. Il en va exactement de même avec les autorités décidant du remboursement des médicaments : ce ne sont pas elles qui supportent le coût de leurs décisions.

On peut donc légitiment se demander si les projets de réforme des régimes d'assurance-maladie n'omettent pas à tort une réforme en profondeur du mandat de ces agences.