Jurys populaires
J'ai trouvé dans un commentaire du blog de Greg Mankiw un amusant papier Government by Jury, par Ted Bergstrom et Hal Varian. Puisqu'on parle de jurys populaires...
L'idée fondamentale de l'article est assez simple : dans la délibération politique, chaque citoyen va consacrer d'autant plus de temps à se documenter sur les questions importantes que son vote a une grande importance. À ce titre, le système de vote universel et majoritaire fournit de très mauvaises incitations à se documenter, puisque l'impact marginal d'un vote individuel est négligeable. C'est pourquoi les auteurs envisagent, comme une expérience de pensée, un gouvernement par jurys.
Il s'agirait de remplacer l'Assemblée par un group approximativement de même taille tiré au sort. Le nombre de personnes permet d'avoir un échantillon à peu près représentatif de la population, et le tirage au sort assure le côté parfaitement démocratique de la désignation. Cette chambre fonctionnerait alors comme un jury. Elle ne ferait pas les lois, mais serait chargé de se prononcer sur les propositions émises par des hauts fonctionnaires. Pour faire ce choix, le jury aurait la possibilité de demander l'avis de tout expert qu'il estimerait souhaitable de recevoir. L'argument des auteurs est que l'avis de chacun des membres d'une telle chambre devenant important, ils auront plus d'incitations à se documenter convenablement sur les sujets en jeu.
L'idée est élégante, mais montre surtout les limites de propositions telles que celles entendues actuellement. En effet, le fait que leur opinion compte beaucoup ne semble pas inciter beaucoup les députés à s'informer sur les sujets dont ils on la charge. Les sorties hallucinantes de notre ministre de l'économie indiquent que même le fait d'être la personne en charge du choix ne fournit pas toujours les incitations suffisantes à maîtriser ne serait-ce que les fondamentaux nécessaires. Certes, tout ces gens passent l'essentiel de leur temps à la chasse aux voix. Mais les membres d'un jury national tiré au sort n'auraient-ils pas surtout de fortes incitations à prendre les décisions leur assurant des bénéfices privés une fois déchargés de leur fonctions ?
Je ne suis donc pas convaincu qu'une mesure de ce type induirait un quelconque regain d'intérêt pour la chose publique. les individus les plus impliqués dans les jurys citoyens seraient ceux qui ont le plus à y gagner, et le moins de coût d'opportunité à y passer du temps. En d'autres termes, les jurys seraient rapidement des relais pour les groupes de pression qui ont des moyens, ou des adhérents qui ont du temps à dépenser. S'informer en vue d'une élection est simplement un devoir dans une démocratie, chercher un système d'incitations ne saurait être qu'un pis-aller. Si le problème est bien le coût d'acquisition de l'information, il y a probablement à s'inquiéter de la qualité de l'information reçue par le citoyen médian.
Publié le mardi, novembre 7 2006, par Mathieu P. dans la catégorie : General - Lien permanent
Commentaires
mardi, novembre 7 2006
19:18
La question est de savoir si des jurys pris au hasard pour une seule tache seront plus ou moins receptifs que les parlementaires actuels aux "pressions".
— Laurent GUERBYUne liste de liens sur le sujet des jurys populaires (auquel je viens de rajouter ce billet) :
guerby.org/blog/index.php...
vendredi, novembre 10 2006
23:41
Laurent Guerby: Je crois que la fondation du jésuitisme en tant que doctrine (et non pas de l'ordre lui-même, initialement banalement évangéliste) remonte à l'analyse selon laquelle on a pu à posteriori constater que l'organisation régulière d'autodafés sur l'ensemble du territoire qu'avait préconisé Torquemada pour réconcilier la couronne de Castille avec la religion catholique, source de sa légitimité politique, ainsi que les cérémoniaux juridiques les précédant, bien que d'inspiration médiévale, avaient l'immense mérite d'envahir l'espace public de débats qui, au fond, n'avaient nulle prétention à contester l'ordre établi.
— GrrrLe spectacle de la violence infligée à autrui est certainement encore de nos jours aussi facscinant et purge efficacement tout un chacun des dangereuses frustrations qu'un quotidien perçu comme angoissant contribuera toujours à créer. De par sa nature éminemment passionnelle, et du fait des pressions et suspicions que subiront inévitablement ces jurys, je crois les les pressions que vous citez n'y auront pas des effets comparables à ceux qu'ils auront sur des professionnels.
Je suppose qu'économiquement, sacrifier de temps en temps un bouc émissaire en échange d'une paix provisoire est rentable : reconstruire du lien social par la remise au goût du jour de l'inquitisition, quel beau programme pour construire une majorité soudée autour d'un certain désir d'avenir.