Pour commencer, revenons un peu sur le principe de la grève : il s'agit d'arrêter le travail afin de mettre en évidence un rapport de forces qu'on estime non respecté par une décision que l'on conteste. Quand l'arrêt de travail a des conséquences sur le profit d'une entreprise ou sur l'activité d'un service public, cela a du sens. Quand les seules personnes subissant une perte du fait de la grève sont les grévistes eux-mêmes, cela en a tout de suite moins. Une solution souvent retenue dans ce cas est de mettre en place des actions qui causent des dommages aux autres acteurs. C'est ce que savent faire avec beaucoup d'efficacité les camionneurs ou les agriculteurs. Pour les étudiants, c'est beaucoup plus difficile : ils n'ont ni grosses machines pour encombrer les routes, ni excédents à déverser devant les préfectures. Du coup, on les voit se rabattre sur le blocage des universités. Dans la mesure où les seules victimes sont leurs camarades, je doute de l'efficacité de la mesure.

Est-ce à dire qu'une grève étudiante n'a pas de sens ? Non. Il ne me semble pas difficile d'imaginer des modalités d'action qui auraient le mérite d'avoir une visibilité équivalente et causer moins de dommages aux étudiants. Une amélioration à la Pareto de la situation en somme. Par exemple, j'ai été frappé en écoutant la radio ce matin : il n'était manifestement pas clair pour les étudiants interrogés s'ils étaient contre le CPE, contre Dominique de Villepin ou contre le gouvernement dans son ensemble. Quoi de mieux pour les décrédibiliser ? Je sais que les journalistes ne sont pas toujours neutres dans le choix de leurs micros-trottoir, mais il est de la responsabilité des meneurs du mouvement de grève de bien informer leurs troupes.

Or, dans le cas des étudiants, ils ont des formateurs professionnels sous la main : leurs propres enseignants. Alors, au lieu de rester assis bêtement à bloquer les accès, ne pourrait-on pas essayer de les mettre à contribution ? Par exemple, en leur demandant de changer le programme de leur cours pour parler d'aspects relatifs au CPE. En demander ce qu'on peut en dire théoriquement et empiriquement au professeur d'économie, demander à l'enseignant de droit ses enjeux juridiques, demander au professeur d'histoire de un cours sur l'emploi des jeunes en France, et sur l'histoire du contrat de travail en général. Les enseignants de sociologie, de lettres, de philosophie pourraient de même être mis à contribution. Le rôle des scientifiques est moins évident, mais cela importe peu, puisque les élèves scientifiques auraient intérêt à suivre les cours sus-cités.

Les enseignants marcheraient-ils ? Certainement pas tous. Mais je suis certain qu'ils sont nombreux à regretter le gâchis que constitue une grève telle qu'elle est menée actuellement, que les élèves vont payer sur plusieurs années, voire sur l'ensemble de leur cursus. Je pense donc qu'un nombre suffisant d'entre eux seraient sinon ravis, de moins prêts à coopérer à ce type d'initiative, qui en plus de réduire les dommages de la grève, démontrerait une maturité certaine.

On peut toujours rêver.