Il faut reconnaître que leur argumentaire a un poids certain. En particulier, la remarque que les industries les plus innovantes des quarante dernières années, les logiciels et les semi-conducteurs, étaient sous un régime particulièrement faible de propriété intellectuelle attire l'attention. Ils ont même à leur actif une expérience naturelle : depuis que certaines cours américaines ont accordé une validité au brevets logiciels, l'innovation dans ce domaine s'est ralentie.

Rappelons la logique économique de base. La recherche est une activité coûteuse. Si l'innovation qui en sort peut être copiée à faible coût, il est impossible de se rembourser des coûts de recherche. Anticipant cela, aucune entreprise ne sera prête à se lancer dans une activité d'innovation. Le remède est alors de proposer à l'innovateur un monopole temporaire sur son innovation, le brevet (resp. le copyright). L'argument de Bessen et Maskin est alors d'affirmer que dans un cadre dynamique assez standard, le retard des innovations dépendant de l'innovation brevetée est dommageable à la société, et même dans certains cas à l'innovateur lui-même, puisque cela ralentit sa propre production d'innovations.

On peut certes s'interroger sur l'image que Bessen et Maskin donnent du processus d'innovation : pas d'innovations radicales (ie qui rendent obsolètes les innovations antérieures), et surtout une marche successive qui me fait irrésistiblement penser à l'arbre des technologies des jeux à la Civilization. Ce serait cependant leur faire un mauvais procès : si on savait comment progresse l'innovation, ça se saurait.

Là où à mon sens les auteurs ont loupé un élément important, c'est dans le sens même des brevets. Ils écrivent en effet :

La justification économique standard des brevets est de protéger les innovateurs de l'imitation, et par là les inciter à supporter les coûts de l'innovation.

Oui, mais non : ce que le système du brevet tente d'éradiquer, ce n'est pas la copie, mais le secret industriel. Ayant découvert un procédé nouveau, une entreprise a trois choix :

  1. Le mettre dans le domaine public, laissant tout le monde l'utiliser;
  2. Le breveter : tout le monde peut prendre connaissance du processus, mais seule l'entreprise innovante et celles qui lui payent une licence peuvent l'employer;
  3. Le garder secret : l'entreprise utilise le procédé, et les autres se demandent comment ils font jusqu'à ce qu'ils trouvent par leurs propres moyens.

S'il est clair qu'au niveau social, 1. est meilleurs que 2., on a le problème d'incitations à la recherche décrit plus haut. Mais ce qu'il faut prendre en compte, c'est que 3. est très largement plus mauvais que 2. : non seulement les investissements de recherche sont dupliqués avant la découverte (comme dans la course au brevets), ils le sont encore ex post, et chaque innovateur est obligé de tout redécouvrir tout seul. Le but fondamental du brevet est de proposer à l'innovateur un échange entre un monopole temporel et la publication détaillée de sa découverte. Les critères de recevabilité d'un brevet sont à cet égard très stricts (savoir si les offices des brevets les appliquent est une autre question traitée dans un article de Bernard Cailaud et Anne Duchêne).

Il y a d'ailleurs des exemples flagrants : si Coca-Cola avait breveté sa formule, elle serait déjà dans le domaine public. Plus près de nous, il est caractéristique que ni Apple ni Mocrosoft n'aient cherché à breveté leur logiciels-phares : le régime du copyright leur permet une protection contre la copie sans les obliger à révéler leur précieux code source.

Bref, souligner que les brevets ralentissent l'innovation est certainement utile. Mais il ne faut pas oublier qu'il faut aussi disposer d'un mécanisme pour inciter les innovateurs à partager leurs découvertes.