Mathématiques et jeunes économistes
Régulièrement, on entend murmurer dans les couloirs des universités et autres écoles contre l'omniprésence des mathématiques dans la formation des économistes et contre les présupposés idéologiques de cet outil. Moi aussi j'ai donné dans ce genre (mes enseignants doivent s'en souvenir), et j'en suis revenu. Explications.
L'enseignement universitaire de l'économie comprend souvent un fort contenu mathématique (voir par exemple cette formation, celle-ci ou encore celle-là). Pour des élèves venus de filière ES ou de classes préparatoires B/L, habitués à entendre que les sciences sociales sont unes et indivisibles, le choc est rude. Il l'est d'autant plus que les modèles et outils présentés (macroéconomie, économétrie) font appel à des outils avancés par rapport à ce qui est présenté au lycée (calcul matriciel, probabilités). Surtout, il domine dans les filières sus-citées un discours de méfiance à l'égard de l'économie mathématique, soupçonnée, parfois à juste raison, de simplifier à outrance la réalité au profit d'une idéologie ultra-libérale. En pratique, naturellement, les choses sont plus compliquées que ça.
Pour être passé par le filtre de la B/L, il faut bien reconnaître que l'économie littéraire est très séduisante. Sans être plus facilement accessible, elle propose de manière plus directe une description nuancée de la réalité et propose des idées-forces qui permettent de comprendre de vastes pans du fonctionnement de l'économie. Il faut ainsi être bien obtus pour reprocher à Keynes ou à Schumpeter de n'avoir pas mis leurs idées en équations. L'ennui de l'économie littéraire, c'est qu'on aimerait que l'économie progresse, c'est-à-dire qu'elle puisse se construire par accumulation de contributions plutôt que par l'affrontement constant de systèmes de pensée incompatibles. On aimerait surtout pouvoir distinguer de manière fiable ce qui est juste de ce qui ne l'est pas. En d'autres termes, on voudrait pouvoir obtenir des énoncés falsifiables.
C'est justement là que le bât blesse. Pour être confrontés aux données (chiffrées) dont on dispose sur l'économie, il faut pouvoir traduire ces énoncés en termes mathématiques. Dès lors, pourquoi ne pas directement exprimer ces énoncés dans un langage mathématiques. Et hop, on vient de réinventer l'économie mathématique.
Mais la justification de l'omniprésence des mathématiques dans les cursus d'économie est plus profonde que cela. Exprimer des idées de relations dans un langage mathématique oblige à formuler des hypothèses, et donc à une nécessaire modestie quant à la valeur des énoncés produits. De même, il est absolument fondamental de maîtriser les outils économétriques, pas tant pour les appliquer directement (les logiciels statistiques épargnent beaucoup de travail) que pour connaître leurs limites. À un niveau très élémentaire, cela permet de dresser l'oreille et de repérer les sophismes face à des affirmations telles que
Les ventes de disques ont baissé et les téléchargements ont augmenté, donc ce sont les téléchargements qui sont à l'origine de la baisse des ventes de disques.
Que donc dire d'autre aux économistes dans la passe mathématique qui les attend tous en L3 et en M1 ? Sans doute pas grand'chose d'autre que : Persévérez ! Oui, je sais, c'est pénible de vouloir faire de l'économie et de faire de la technique. Oui, la théorie microéconomique du consommateur a l'air ridicule. Mais attendez d'être en M2 avant d'arrêter votre opinion : le fait que bien souvent les gens se comportent dans l'ensemble comme des maximisateurs égoïstes est solides, même si ce n'est pas, de loin, la trouvaille la plus réjouissante de l'économie.
Est-ce à dire qu'il faut abandonner ce sentiment d'être face à une cathédrale vide et sans Dieu quand on étudie l'équilibre général d'Arrow-Debreu ? Certainement pas. Ce sentiment est le plus puissant garde-fou de l'économie : il permet de toujours se souvenir qu'on ne parle pas d'un monde fictifs, mais de personnes humaines, et ce dans une dimension importante, mais non unique, de leur existence.
Publié le mercredi, février 1 2006, par Mathieu P. dans la catégorie : Economistes - Lien permanent
Commentaires
mercredi, février 1 2006
19:02
Gérard Debreu citait cette maxime dans la "théorie de la valeur" :
— Antoine Belgodere"la vérité émerge plus facilement de l'erreur que de la confusion"
Il avait raison.
mercredi, février 1 2006
19:29
Il y a aussi un problème de pédagogie. Je suis toujours surpris de voir des gens se plaindre de l'économie mathématique en début de cursus : c'est de loin la partie que j'avais préféré quand j'étais étudiant. Au contraire de cours plus "littéraires" qui laissaient une grande impression de superficialité et de flou, sur fond de "machin mort depuis deux siècles a dit ça, truc mort depuis 150 ans a dit le contraire". Mais c'est simplement parce que j'avais un bon prof de microéconomie qui ne passait pas trois plombes à calculer des lagrangiens et des TMS pommes-poires; c'était un cours très axiomatique, très matheux, et à chaque étape, on discutait : pourquoi cette hypothèse, comment faire autrement, etc. Le résultat, c'est qu'au bout de 6 mois on savait juste calculer un équilibre général sans production, mais on avait une compréhension des fondements de la micro excellente. On savait ce qu'on faisait et pourquoi on le faisait.
— econoclaste-alexandreLe plus souvent, les cours d'économie mathématique sont assez mal fichus : 1 le consommateur, 2 le producteur, 3 l'équilibre général, 4 le monopole, etc... sur fond d'exercices benêts. Corriger cela, ce serait faire beaucoup plus axiomatique, beaucoup plus matheux, pour faire des cours de micro ce qu'ils devraient être : une leçon d'humilité face à la logique.
mercredi, février 1 2006
21:02
leconomiste: "le fait que bien souvent les gens se comportent dans l'ensemble comme des maximisateurs égoïstes est solides"
— vulgosJ'en doute justement. Le problème ne me semble pas tant la mathématisation que les postulats (égoïsme, rationnalité, etc) que cette mathématisation nécessite (les nécessite-t-elle vraiment tels quels?). Le peu d'expériences faites en économie expérimentale ne semblent pas les confirmer. Et ils ne semblent pas permettre, une fois développés, une prédictibilité accrue (ce qui est logique, si ces postulats sont trop éloignés de la réalité).
Le progrès consiste-t-il à déduire toutes les implications d'axiomes de départ ou à nous permettre de comprendre et agir sur la réalité? L'économie (mathématique) a-t-elle fait des progrès au deuxième sens du terme car sinon cela n'est à mon sens qu'un jeu de l'esprit (rigoureux, certes)?
Après un siècle d'économie mathématique, le fait qu'on en soit à se poser ces questions sur son bien fondé laisse à réfléchir, non? C'est comme si on en était à discuter de l'utilisation des mathématiques en physique à l'époque de Newton... Pourquoi l'économie mathématique n'en impose-t-elle pas autant?
J'approuve le projet des Walras, Pareto et compagnie, mais j'ai un gros doute sur les résultats et l'utilité pratique de la voie suivie... Peut-être par ignorance, c'est possible.
mercredi, février 1 2006
21:25
Est-ce que les simulations en Monte Carlo d'agents (style Sim City pour simplifier) sont enseignées dans les cursus économiques, et font-elles l'objet de recherches actives ?
— Laurent GUERBYLa plupart des papiers d'économistes que j'ai lu s'orientent vers des résolutions d'équations différentielles qui ne sont pas en effet à la portée du premier venu. Elles ont aussi l'effet pervers de limiter la liberté de modélisation car le chercheur va chercher à rester dans le domaine du soluble ou partiellement soluble.
Les méthodes de Monte Carlo sont bien plus intuitives (il faut avoir compris un minimum lois, distributions et correlations) et rendues accessibles à tous grace a la puissance des ordinateurs actuelles, en contrepartie il faut savoir un minimum programmer mais cela me semble en pratique accessible à une fraction plus large de la population.
Laurent
jeudi, février 2 2006
02:40
précision. Quand tu dis:
— Antoine Belgodere"il domine dans les fillières sus-citées un discours de méfiance à l'égard de l'économie mathématique, soupçonnée, PARFOIS A JUSTE RAISON, de simplifier à outrance la réalité au profit d'une idéologie ultra-libérale."
Je suis d'accord avec le "parfois à juste raison" s'il concerne la simplification à outrance de la réalité, mais pas s'il concerne la "logique ultralibérale". Dans quasiment tous ces modèles, la référence normative est l'optimum calculé par un planificateur central bienveillant, à l'opposé des "normes" des ultra-libéraux.
jeudi, février 2 2006
12:23
@ Antoine : Oups, petite imprécision sémantique. Effectivement, l'accusation portait sur la simplification à outrance. Après, il est vrai que celle-ci peut être instrumentalisée au service d'un libéralisme à courte vue, par exemple avec des « experts » qui brandissent le théorème de Coase à toutes les sauces, sans s'occuper des hypothèses. Mais ceux-ci, comme tu le fais remarquer, ne formulent pas leurs idées dans un cadre rigoureux.
@Vulgos : si je parle des comprotement maximisateurs comme je le fais, c'est précisément qu'il est navrant de constater que ce qui pourrait n'être qu'un hypothèse un tantinet abusive modélise empiriquement bien ce qui se passe. Son succès pour prédire les réponses aux mécanismes d'incitations est là pour l'attester.
En ce qui concerne le parallèle avec la physique, il vaut peut-être la peine d'être approfondi, précisément parce que les mathématiques employées aujourd'hui en physique ne sont plus celles de Newton : l'introduction d'une logique probabiliste a été la plus grande avancée de la physique au XXieme siècle. Et cela ne s'est pas fait sans mal. Dans toute science, il est sain de s'interroger toujours sur les fondements du raisonnement.
Pourquoi l'économie mathématique n'en impose-t-elle pas autant que la physique ? Plusieurs facteurs y concourent. D'une part, c'est une science jeune. D'autre part, elle est limités dans les expériences qu'elle peut faire. Enfin, la complexité des phénomènes traités est peut-être plusieurs ordres de grandeur plus important que la physique : quand on parle de chômage, on parle de la résultate d'interaction entre des millions d'individus, qui ne sont pas des particules soumises à des lois déterministes (fussent-elles statistiques), mais à des êtres humains dotés de représentations et d'une volonté propre.
@ Laurent : Je n'ai pas personnellement eu de formation à ces méthodes, mais une amie de mon DEA les a employées apparemment sans trop de difficultés. Je pense que leur usage se répand au fur et à mesure qu'on touche au limites de la solubilité analytique des systèmes utilisés. Il est vrai que dans mon domaine (organisation industrielle), les mathématiques utilisées sont moins complexes, puisque le parti pris de schématisation extrême des relations est totalement assumé.
— leconomistejeudi, février 2 2006
12:23
@ Antoine : Oups, petite imprécision sémantique. Effectivement, l'accusation portait sur la simplification à outrance. Après, il est vrai que celle-ci peut être instrumentalisée au service d'un libéralisme à courte vue, par exemple avec des « experts » qui brandissent le théorème de Coase à toutes les sauces, sans s'occuper des hypothèses. Mais ceux-ci, comme tu le fais remarquer, ne formulent pas leurs idées dans un cadre rigoureux.
@Vulgos : si je parle des comprotement maximisateurs comme je le fais, c'est précisément qu'il est navrant de constater que ce qui pourrait n'être qu'un hypothèse un tantinet abusive modélise empiriquement bien ce qui se passe. Son succès pour prédire les réponses aux mécanismes d'incitations est là pour l'attester.
En ce qui concerne le parallèle avec la physique, il vaut peut-être la peine d'être approfondi, précisément parce que les mathématiques employées aujourd'hui en physique ne sont plus celles de Newton : l'introduction d'une logique probabiliste a été la plus grande avancée de la physique au XXieme siècle. Et cela ne s'est pas fait sans mal. Dans toute science, il est sain de s'interroger toujours sur les fondements du raisonnement.
Pourquoi l'économie mathématique n'en impose-t-elle pas autant que la physique ? Plusieurs facteurs y concourent. D'une part, c'est une science jeune. D'autre part, elle est limités dans les expériences qu'elle peut faire. Enfin, la complexité des phénomènes traités est peut-être plusieurs ordres de grandeur plus important que la physique : quand on parle de chômage, on parle de la résultate d'interaction entre des millions d'individus, qui ne sont pas des particules soumises à des lois déterministes (fussent-elles statistiques), mais à des êtres humains dotés de représentations et d'une volonté propre.
@ Laurent : Je n'ai pas personnellement eu de formation à ces méthodes, mais une amie de mon DEA les a employées apparemment sans trop de difficultés. Je pense que leur usage se répand au fur et à mesure qu'on touche au limites de la solubilité analytique des systèmes utilisés. Il est vrai que dans mon domaine (organisation industrielle), les mathématiques utilisées sont moins complexes, puisque le parti pris de schématisation extrême des relations est totalement assumé.
— leconomistejeudi, février 2 2006
12:50
" Pourquoi l'économie mathématique n'en impose-t-elle pas autant que la physique ? Plusieurs facteurs y concourent."
— Laurent GUERBYSur les expériences, c'est évident que c'est plus dur pour les économistes :). Par contre, pour la partie mesure la physique me parait largement plus organisée et ouverte, les résultats de mesures sont disponibles librement sur le web sous forme electronique exploitable.
A comparer en France, ou sont les données brutes (anonymisées) des études INSEE ? Et des données qui ont servi par exemple à l'ouvrage de Piketty sur l'évolution des revenus en France ? Les réseaux P2P permettraient simplement a un seul internaute de les mettre à disposition, encore faut-il les sortir de l'INSEE avec une permission large.
Les seules choses qui m'ont l'air disponibles sont des time series d'indices macroéconomiques mais sans définition véritablement précise des valeurs. C'est peut-être pour ca que tout le monde fait des modèles macros (inflation, impot, chomage, GDP, taux d'interet) d'ailleurs...
Je rate peut-être un site web INSEE ou du Trésor, si c'est le cas je serai tres heureux de le découvrir et désolé pour le bruit.
Laurent
jeudi, février 2 2006
13:02
"Après, il est vrai que celle-ci peut être instrumentalisée au service d'un libéralisme à courte vue, par exemple avec des « experts » qui brandissent le théorème de Coase à toutes les sauces, sans s'occuper des hypothèses"
— Antoine BelgodereSans compter qu'il n'y a pas la moindre équation dans "the problem of social cost" de Coase.
jeudi, février 2 2006
13:23
@ Laurent : effectivement, les données économistes sont moins disponibles. Mais il y a quand même de bonnes raisons de confidentialité à cela. Une particule ne peut se plaindre qu'on révèle à tout le monde certaines de ses propriétés. Pour la plupart des applications microéconométriques, il faut des détails qui permettent presque d'identifier la personne si on le veut vraiment, d'où pas mal de lourdeurs. De même, les données de Piketty ont été construite par lui et par ses étudiants sur la base de milliers de fiches de déclarations de revenus (le Ministère des Finances ne jette rien, c'est impressionnant, il a encore des déclarations des premières années de l'impôt sur le revenu).
— leconomistejeudi, février 2 2006
16:47
leconomiste: en ce qui concerne l'égoïsme, c'est l'hypothèse qui (malheureusement) me semble intuitivement la plus proche de la réalité. Il y en a d'autres plus sujettes à caution, par exemple la rationnalité, la transparence de l'information, etc. Mais peu importe, ce qui compte ce sont les résultats obtenus par ces hypothèses. Lorsque tu dis "Son succès pour prédire les réponses aux mécanismes d'incitations est là pour l'attester.", peux-tu me donner une référence? D'autre part, ce succès se borne-t-il à la microéconomie? Sinon, puis-je avoir là aussi une référence, si oui pourquoi?
— vulgos"Enfin, la complexité des phénomènes traités est peut-être plusieurs ordres de grandeur plus important que la physique"
Oui et non. La physique des particules n'est plus vraiment déterministe au sens où on l'entendait au XIXè siècle. La météorologie doit traiter aussi de nombreuses variables et fait néanmoins des progrès de modélisation. Et les hommes ne sont pas exempts de détermination non plus sinon une science humaine ne serait pas possible du tout.
Peut-être les mathématiques utilisées en économie sont-elles trop limitées? Je ne sais pas, c'est plutôt une affaire de spécialistes. Mais on ne peut pas vraiment tout excuser par la complexité des variables en jeu en économie.
PS: Je demande des références par ignorance, pas par méfiance.
PS2: Remarque que ma critique ne porte pas sur la mathématisation en elle-même, sans doute nécessaire si l'économie veut être une science rigoureuse, mais sur les postulats et éventuellement les mathématiques employés.
jeudi, février 2 2006
19:09
Laurent Guerby: Les astrophysiciens ont également de grandes difficultés à réaliser des expériences, mais cela ne leur interdit pas pour autant de proposer des critères de réfutabilité à leurs théories ou de réfléchir à des expériences suceptibles d'infirmer la validité de leurs thèses.
— Flaffjeudi, février 2 2006
19:54
Sur la dimension idéologique, j'ai souvent vu des gens critiquer la micro-économie; beaucoup plus rarement des gens critiquer la macro-économie keynésienne, tendance IS-LM hydraulique. Alors que dans le genre lavage de cerveau, cathédrale vide et fantasmagorie irréaliste, ça se pose là ... et j'ai toujours eu le sentiment que c'est pour de mauvaises raisons, et cela se rapproche des remarques de Vulgos.
— econoclaste-alexandreLes neurologues qui étudient le cerveau humain constatent que dans notre façon de percevoir le monde, nous apprenons très tôt à distinguer ce qui est "animé" et ce qui ne l'est pas. C'est pour cela que par la suite l'idée de séparation corps-esprit nous est si familière par exemple. Dans cette distinction entre choses animées et choses inanimées, nous sommes volontiers disposés à accepter que les choses inanimées obéissent à des lois déterministes. Par contre nous considérons qu'une chose "animée" se définit comme pouvant agir de manière imprévisible.
Et AMHA, c'est cette limitation cognitive qui est en cause ici. Pourquoi IS-LM ne nous dérange pas? Parce qu'il parle de choses mécaniques, et pas de gens : l'investissement, la consommation, l'épargne, etc. Par contre la microéconomie nous décrit le comportement de gens, et mettre en équations le comportement de gens nous paraît bizarre. Ce ne sont pas tant les équations elles-mêmes que ce simple fait : les gens n'aiment pas l'idée - pourtant facile à constater empiriquement - selon laquelle les comportements sont descriptibles.
S'y ajoutent d'autres facteurs : toute science est fondée sur la production d'énoncés contre-intuitifs. Et on a tendance à résister à de tels énoncés. Ca vaut pour l'économie, comme pour d'autres disciplines (il suffit de voir les réactions que suscite la théorie de l'évolution). Il faut au bas mot 10 ans pour comprendre l'avantage comparatif : certains économistes ne le comprennent jamais. L'idée selon laquelle des comportements épars non coordonnés conduisent à un niveau d'ordre conséquent est aussi, très difficile. Face à ce genre de chose, il est un peu normal, au moins pour un temps, de réagir en se disant "c'est pas possible, c'est dans la théorie mais ça doit pas être vrai".
L'économie keynésienne est très contre-intuitive : mais dans sa version vulgaire, elle peut servir à produire des énoncés faux mais intuitifs (genre, la dépense publique ça crèe des emplois, augmenter les salaires c'est bien parce que ça augmente la consommation). Si on n'y regarde pas de trop près, on peut utiliser la macro keynésienne hydraulique pour faire croire à des choses fausses. Donc elle passe mieux (d'autres formes de macro simpliste passent mieux aussi, genre la courbe de Laffer).
jeudi, février 2 2006
21:23
La difficulté d'anonymiser les données me semble bien faible par rapport au travail en général demandé pour les acquérirs (l'exemple des travaux de Piketty est frappant). Pour la micro économie, sauf cas tres spécial (echantillon restreint a une dizaine de personnes et données spécifiques permettant une identification facile parmis la population) je ne vois pas non plus de difficulté particulières.
— Laurent GUERBYBref, à part une volonté délibérée spécifique aux économistes de ne pas partager leurs informations sources pour permettre des analyses alternatives et un processus scientifique "normal" qui est en place dans bien d'autres disciplines, je ne vois pas vraiment d'explication.
Ceci dit un bon point de départ pour analyser le monde des économistes et leurs relation avec les aspects "science" en général.
vendredi, février 3 2006
10:03
-alexandre: Sans vouloir offenser qui que ce soit, mais en employant malgré tout des termes clairs.... en ce qui concerne que moi, je n'accorde, par principe, guère plus d'attention à la macro qu'à l'astrologie, et ce pour une raison simple : si les théories macros avaient du sens, des dizaines d'économistes auraient déjà démontré que l'usage des théories macro sur les données du passé permettaient de prédire les données d'un passé plus proche.
— FlaffOr, à ma connaissance, tel n'est pas le cas, comme pour l'astrologie d'ailleurs. Mais mon opinion sur telle ou telle théorie macro changerait immédiatement du tout au tout si un tel examen révélait la vailidité de la théorie : je postule simplement que si tel n'est pas aujourd'hui le cas, c'est que ceux qui ont essayé ont connu d'amères désillusions.
Voilà comment, en y connaissant absolument rien et sans aucune mauvaise conscience, je range la macro en général aux côtés de l'astrologie.
vendredi, février 3 2006
11:11
@ Laurent : le secret statistique n'est pas si simple. Prenons un exemple : j'ai des données micro sur dix ans, avec les villes de résidence des persones. Cela suffit en générale à ce que je ne puisse pas publier ma base, car les déménagements sont suffisemment rares pour permettre qui le voudrait d'identifier quel est le ménage qui a déménagé de la ville A à la ville B à la date X. En pratique, anonymiser efficacement des données est un très gros boulot, et au final, les données anonymisées sont rarement utilisables, et on demande une levée de secret statistique pour pouvoir travailler.
La faible diffusion des statistiques (qui ne sont en général pas produites pas des économistes, mais par des instituts spécialisés comme l'INSEE) n'a rien a voir avec une volonté d'obscurité, mais à des lois de respect de la vie privée extrêmement contraignantes.
— leconomistevendredi, février 3 2006
11:31
Alexandre: "Ce ne sont pas tant les équations elles-mêmes que ce simple fait : les gens n'aiment pas l'idée - pourtant facile à constater empiriquement - selon laquelle les comportements sont descriptibles."
— vulgosJe ne m'explique pas bien ce qui me gêne dans la microéconomie mais ce n'est certainement pas la descriptibilité des comportements (ni la mise en équations non plus). Ce point va de soi pour toutes les sciences humaines (sans quoi, il n'y a pas de science possible) et les plus allergiques à la micro font souvent partie de courants déterministes (marxistes par ex.).
Il y a autre chose qui pose problème et cela se situe plus au niveau des postulats de départ. Ainsi la microéconomie ne traite pas de l'homme à proprement parler mais de l'homo oeconomicus et il est difficile d'accepter que ces deux choses soient identiques. Ou alors il faut le prouver par des prédictions (et non des déductions, du genre "étant donnés la concurrence parfaite et la rationnalité des acteurs, le marché arrivera à un équilibre").
dimanche, février 5 2006
02:42
@Vulgos : bof, la rationalité, tu sais...
— Antoine Belgodereoptimum.tooblog.fr/?2006/...
lundi, février 6 2006
13:54
— hadrienJe partage beaucoup d'avis énoncés : la micro était un moyen aisé pour gagner des points. ISLM aussi parlant soit il peut dire des choses fausses. Mais revenons au débat.
La mathématisation de l'économie est nécéssaire mais pas suffisante. Je crois maintenant que tout le monde est d'accord la dessus. Elle nous permet de faire émerger des relations que l'on estime, voila ce qui est impotant. Décrire les comportements est important pour faire parler l'histoire économique que l'on raconte, qui est fatalement macro. Mais partir des comportements pour comprendre le fonctionnement d'une économie je n'y crois pas.
Réciproquement, "bien" fonder la macro sur la micro me semble quasi-impossible. L'agent représentatif ou l'hétérogénéité des agents progressent mais la réalité est infiniement complexe.
Ce qui m'a toujours gêné, c'est que personne ne parle de l'aggrégation des comportements. La quasi totalité des profs n'y ont rien compris ?
Le sujet est trop difficile pour les étudiants?
Il faut aller chercher dans une monographie de l'Adres signé de G. Laroque (Fondements de la Macro) pour avoir en francais (et sans maths) les élémenents introductifs sur ce sujet. Les manuels (micro ou macro) ne disent que pouique la dessus. La preuve de l'existence de l'agent représentatif tient 1§ dans le Varian.
Faire de l'économie, c'est être conseiller d'un prince, lui donner des enjeux et quantifier les effets de chocs, de tendances etc. L'économétrie permet cela. L'économie formalisée aurait à gagner à rester plus modeste.
mardi, février 7 2006
10:42
@ Hadrien : Le problème du micro-fondement de la macro est probablement peu abordé parce que c'est peu ou prou un problème clos. En effet, le théorème de Sonnenschein montre que les fonctions d'offre et de demande agrégées déduites de comportements maximisateurs standards peuvent avoir une forme quelconque, en particulier ne pas représenter une relation de préférence collective rationnelle. D'où le recours, qui a tout du coup de force, à l'agent représentatif.
Si le problème n'est pas abordé, c'est probablement que pour bien le comprendre, il faut se plonger dans la mécanique précise du modèle d'Arrow-Debreu d'équilibre général. Et force est de constater que d'une part cela intéresse peu les étudiants, et d'autre part dépasse largement le niveau mathématique qu'on peut attendre d'un étudiant en économie, même à un niveau avancé (M2 par exemple).
Une de vos affirmations me semble en revanche très discutable. À mon sens, faire de l'économie n'est pas être « conseiller du prince ». L'économie se pose d'abord et avant tout en science, c'est-à -dire qu'elle recherche des relations pour expliquer des phénomènes dans le seul but de les expliquer et de les comprendre. Vouloir tranformer ces hypothèses en recommandations au services du prince est jouer à l'apprenti sorcier, y compris (et même surtout) dans l'économétrie. Contrairement à ce que vous dites, l'économétrie a des hypothèses limitatives tout aussi considérables que celles de l'économie formalisée. De plus, les « effets des chocs » ne sont pas donnés par l'économétrie en elle-même. Tout modèle économétrique repose explicitement sur une théorie économieque sous-jacente.
Ainsi, l'économie formalisée gagnerait certainement à rester plus modeste. Mais ne l'est-elle pas déjà ? Il me semble que l'immodestie de l'économie est surtout le fait de non-économistes qui essayent de lui faire dire ce qui arrange leur propre cadre idéologique ou leurs propres ambitions politiques. Mais cela a déjà été fort bien dit.
— leconomistemardi, février 7 2006
18:03
@leconomiste :
— hadrien1. Effectivement, l'aggréation des comportements est compliquée. Mais l'ignorance des étudiants est un argument faible. Sans ambitions démesurées, on peut quand même aborder le sujet. Ne pas en parler, c'est fait croire que à la divergence irréconciliable des micro et des macroéconomistes.
2. Malheureusement ou heureusement, l'économie est in fine politique (c'était son premier nom). Toutefois, sa démarche scientifique, elle repose sur des hypothèses et mécanismes que l'on teste. Comme vous le dites, elle "se pose d'abord et avant tout en science". Ce qui est ne veut pas dire qu'elle est une science ou pas tend qu'elle aura unifier son cadre d'anlyse. Peut être que la NEK vaincra, on en est loin aujourd'hui.
A la fin, au moment de commenter le résultat d'un modèle, la discussion porte sur les recommandations. Il n'y rien de choquant ni même de volonté de "jouer les apprentis sorciers". Tout cela, ne veut pas dire qu'il faille se choisir une doctrine à défendre. Au contraire. E. Malinvaud le raconte de façon magistrale dans les Voies de la recherche.
Lui-même, ne traçait pas, me semble t'il, pas de frontière entre le Savant et le conseiller du Politique.
mercredi, février 8 2006
11:55
@ Hadrien : Vous dites qu'E. Malinvaud ne traçait pas de frontières entre le Savant et le Conseiller du Prince. C'est bien ce que je lui reproche. Cette confusion constante des genre est particulièrement dommageable à l'économie. Sans parler des effets médiatiques évoqués plus haut, sa principale conséquence est que les économistes qui veulent se prendre pour des conseillers du Prince simplifient leur discours au point de le rendre faux, sous prétexte de le rendre compréhensible au politique, au lieu d'obliger le politique à faire l'effort de comprendre ce qu'est l'économie. Oui, il faut faire de la vulgarisation, en particulier en direction du monde politique. Mais la bonne vulgarisation apprend au non-spécialiste à raisonner comme le spécialiste, il n'enferme pas le raisonnement du spécialiste dans le cadre des préjugés généraux. Enfin, oui, il y a à mon sens quelque chose de particulièrement choquant à jouer les « appretntis sorciers » avec les revenus de millions de personnes. Donc non, et heureusement, l'économie n'est pas politique. Ce sont deux domaines séparés par tout ce qui sépare, selon les mot de Weber, le Savant et le Politique.
En ce qui concerne l'aggrégation des comportements, n'est-il pas justement vrai que micro et macro sont aujourd'hui dans un état de séparation avancée ? Est-ce mentir aux étudiants de leur donner l'impression, juste, que la micro-fondation de la macro est, à l'heure actuelle, une aporie ?
— leconomistemercredi, février 8 2006
12:48
@leconomiste :
— hadrienMes propos étaient nourris d'impressions. Je ne prétends pas avoir raison sur ces sujets.
A lecture du dernier post, je reste malgré tout sur le sentiment d'une immodestie marquée de la discipline que tu défends à corps et à cris et de toi même.
- ton pseudo en dit long.
- Illusion scientiste.
- non respect des anciens. (je blague)
mercredi, février 8 2006
14:45
leconomiste: "Enfin, oui, il y a à mon sens quelque chose de particulièrement choquant à jouer les « appretntis sorciers » avec les revenus de millions de personnes."
— vulgosça fait plaisir à entendre. Si tous les économistes étaient comme ça...
hadrien: "sur le sentiment d'une immodestie marquée de la discipline que tu défends à corps et à cris et de toi même"
En ce qui concerne la discipline, c'est assez vrai mais la culpabilité en revient selon moi aux philosophes qui ont pensé pouvoir expliquer tout ce qui arrivait en société par des mécanismes économiques (voire ont proposé le marché comme fondement au vivre ensemble). Contrairement à ce que l'on pourrait penser a priori cette critique ne me semble justement pas concerner la microéconomie et la théorie néoclassique en particulier. Celle-ci s'est donnée à dessein des bornes avec ses axiomes mais il est vrai que beaucoup de tort lui a été fait ces dernières décennies par des économistes qui se sont amusés à jouer aux conseillers politiques et qui oubliaient trop aisément le contexte dans lequel les conclusions de la théorie étaient valides. Je ne peux donc qu'applaudir l'attitude de léconomiste qui évite cet écueil et reste ainsi dans le domaine scientifique. Le scientisme est précisément ce que tu préconises, la confusion du savant et du politicien: penser qu'une explication valide sous certaines conditions précises et explicites (c'est-à -dire une explication scientifique) doit normer le comportement humain et social (alors que cela est du ressort de la morale et de la politique).
mercredi, février 8 2006
17:05
@vulgos
— hadrien"la confusion du savant et du politicien: penser qu'une explication valide sous certaines conditions précises et explicites (c'est-à -dire une explication scientifique) doit normer le comportement humain et social (alors que cela est du ressort de la morale et de la politique)."
Je n'ai rien dit de cela. Je pense simplement que les scienses sociales (j'y inclus au premier chef l'économie) doivent servir à guider l'action politique. Ce n'est pas leur objet scientifique mais par nature elles peuvent être connectées au débat public. Autant en assumer les conséquences. Rassure toi, je ne confonds pas le savant et le poltique.
mercredi, février 8 2006
18:25
hadrien: j'ai le sentiment à vous lire de revoir quelque chose qui ressemble aux théories politiques (no offense here) sous-jacentes au roman "la mort blanche" de Franck Herbert.
— FlaffCeci dit, quel avenir imaginez-vous pour les sciences sociales sans états-nations ? Le progrès auquel pourrait mener les sciences économiques se limite-t-il à la perpétuation d'un monde d'états-nations ?
jeudi, février 9 2006
12:14
hadrien: "Je n'ai rien dit de cela. Je pense simplement que les scienses sociales (j'y inclus au premier chef l'économie) doivent servir à guider l'action politique."
— vulgosTout dépend de ce que tu entends pas "servir à guider". Si c'est aider à trouver les moyens d'actions efficaces pour un but politique donné, on est d'accord. Si c'est dire ce qu'il faut faire, quel but viser et quels moyens utiliser, c'est précisément ce que je critique.
Ex ok: si on veut faire baisser le chômage des peu qualifiés et qu'on veut augmenter l'incitation au travail tout en maintenant un salaire décent, il peut être efficace entre autres mesures de baisser les charges patronales sur les bas salaires .
Ex pas ok: pour faire baisser le chômage des peu qualifiés, il faut pour cela enlever le salaire minimum pour faire jouer la libre concurrence des prix sur le marché de l'emploi.
Si tu es d'accord avec moi sur ce point, je pense que tu es donc d'accord aussi avec leconomiste. Et cette attitude est selon moi la preuve d'un respect de la déontologie du scientifique (sciences humaines ou pas, peu importe).
jeudi, février 9 2006
13:37
Le débat part dans le décor, donc j'aimerais le recentrer. Les sciences sociales peuvent à mon sens être utilement consultés par le politique si celui-ci a un objectif précis, du type « faire baisser le chômage de telle catégorie de travailleurs en maintenant leur pouvoir d'achat au-dessus du seuil X », ou encore « Comment encourager les étudiants à s'orienter en fonction de leurs capacités et des demandes vraisemblables des employeurs ? » Le problème surgit quand:
dimanche, janvier 13 2008
20:51
Mais quelles mathématiques faut-il maitriser pour faire un très bon économiste? Comme Piketty, Cohen, P-A Muet, N.G.Mankiw, Lucas et autres?
— MailJ'attends la réponse impatiemment...