L'auteur d'Optimum nous explique pourquoi l'idée que « la culture n'est pas une marchandise » relève plus souvent du slogan corporatiste. Il a bien raison. Mais alors, pourquoi les économistes s'y intéressent-ils au point d'accorder à la culture un champ particulier, doté de son journal ainsi que de son Handbook? Petit tour d'horizon.

Pour commencer, le terme d'économie de la culture est un choix par défaut. Au bon vieux temps, le problème ne se posait pas : on parlait d'économie des arts, et tout le monde comprenait de quoi on parlait, puisqu'il y avait les arts respectables, et les autres. Entre-temps, s'est quand même rendu compte que cette classification était un peu rigide, et que ce qui était un chef-d'œuvre pour les uns pouvait être un gribouillis à la mode pour les autres (typiquement, les estampes japonaises). Conformément à leur bonne habitude, les (rares) économistes à s'intéresser au sujet ont considéré que l'économie de la culture désignerait l'étude de tous les biens et services comportant un élément créatif ou artistique.

Après tout, mieux vaux être trop large que trop étroit. Une telle définition, qui met dans le même sac la chaine de chez Ikea (un design comme ça, vous ne trouvez pas ça créatif ?) et La Comédie humaine a au moins le mérite d'évacuer complètement les jugements de valeur. Pas de haute ni de basse culture, puisque tout ou presque est culture au sens de cette définition. Du coup, on est parfaitement fondé à ne considérer que les biens qui « posent problème », ceux qui présentent manifestement des aspect de bien public. Tout va donc mieux dans le monde de la recherche économique.

Ou pas. Parce qu'en fait, l'obession des économistes de la culture est la maladie de Baumol, qui semble inéluctable dans la production artistique. En 1799, un quatuor à cordes de mozart demande quatre musiciens et 25 minutes. En 2005, il demande toujours quatre musiciens et 25 minutes : zéro gains de productivité en deux siècles. Ergo, la croissance des salaires, liés à ceux du reste de l'économie, condamne à plus ou moins court terme l'ensemble des arts vivants. L'article date des années 1970, et depuis, l'économie de la culture se bat contre cette conséquence. Il s'agit donc largement de montrer que les spectacles vivants (remarquez comme on a réduit le champ) sont aussi le lieu de gains de productivité ... comme les autres.

Bref, l'économie de la culture s'intéresse essentiellement aux spectacles vivants (théâtre, opéra, concerts), et parfois de s'étendre, comble de l'audace, au cinéma (essentiellement comme concurrent des précédents). Que dit donc l'économie de la culture sur les livres, les disques, la télévision, Internet, moyens dominants de la culture de notre époque ? Pas grand'chose, au point que ce sont leurs collègues venus de différents champs qui traitent (avec un succès mitigé) du problème de la numérisation des contenus. Ne vous enthousiasmez pas, je garde ce thème pour un autre jour.

A-t-on au moins quelques résultats intéressants ? En termes théoriques, peu de choses. Les économistes s'intéressant à la culture ont importé des outils d'autre champs pour étudier leurs problèmes, et peu forgé d'outils originaux. Au niveau empirique en revanche, on a pas mal de résultats sur l'offre de travail par les artistes (du moins les agents qui se déclarent comme tels) à savoir qu'ils acceptent d'être sous-payés, et que la plupart ont une activité alimentaire à côté de leur activité artisitique. on sait aussi que la distribution des revenus est très déséquilibrée, quelques stars empochant des gains considérables qui leurrent un excès d'offre systématique sur ce marché.

Certes il s'agit d'un champ encore dans son enfance. Mais cela n'excuse pas le vide qui existe actuellement dans l'étude de l'économie du livre, de la musique enregistrée, ou des conséquences économiques des échanges culturels internationaux. C'est d'autant plus dommage qu'en tant que membre d'une génération qui a grandi en regardant des dessins animés japonais et des jeux vidéo du même tonneau, je me dis que ce ne doit pas être si négligeable.