Lundi dernier, je me trouvais par extraordinaire devant la télévision, plus précisément devant C dans l'air, une émission de France 5 (qui au passage ne devrait pas prendre de telles libertés avec la langue française), sur le thème « J'ai deux femmes et dix enfants ».

L'intitulé même de l'émission aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Mais innocent que je suis des mœurs de la télévision, j'imaginais un débat posé, enfin, loin des arguments racoleurs sur les méchants immigrés qui viennent prendre le travail des français. Quelle ne fut donc pas ma surprise de voir un des invités, Yves-Marie Laulan, prétendre que les immigrés coûtaient chaque année à la France la bagatelle de 36 milliard d'euros.

D'entrée, ça sent le pipotage : toutes les études dont j'ai entendu parler pour l'instant suggéraient que le bilan de l'immigration était systématiquement positif pour le pays d'accueil, et ambigu pour le pays de départ. Comment a-t-il fait son compte ? Heureusement, un autre invité, Gérard-François Dumont lui demande des comptes. Et là, on sombre dans le ridicule. En effet, ces 36 milliard d'euros sont calculés comme la somme des cotisations sociales et impôts payés par les personnes d'origine immigrée, moins la somme des allocations sociales, du coût du maintient de l'ordre et des dépenses de scolarisation pour l'année.

Cela ressemble certes à une simple analyse comptable. C'est une machine idéologique qui vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année de licence d'économétrie. Je passe sur les deux impostures les plus flagrantes :

  • Supposer que la délinquance est le fait des seuls immigrés. Même s'il est vrai que la délinquance est proportionnellement plus importante chez les populations originaires d'Afrique (probablement aussi d'Asie, mais on en parle moins), cela ne signifie pas que la majorité des délinquants sont d'origine immigrée, et encore moins que cette délinquance n'existerait pas si ces personnes n'étaient pas en France.
  • Supposer qu'en l'absence d'immigration, les ZEP n'existeraient pas : c'est le même sophisme dont il s'agit, qui consiste à supposer qu'en supprimant par une expérience de pensée telle ou telle population, on supprime le problème.

Mais là où on peut vraiment parler soir d'incompétence notoire, soit de mauvaise foi insigne, c'est quand on fait une analyse comptable pour une année donnée. Le seul moyen d'évaluer convenablement les conséquences de l'immigration sur un pays est de raisonner de manière dynamique. Il faut en effet prendre en compte les vingt à trente ans pendant lesquels la population immigrée était composée à 80% de jeunes actifs employés, payant beaucoup et recevant peu, ainsi que leur contribution, essentielle, à la croissance dans ces années. Pour être parfaitement équitable, il faudrait également prendre en compte la participation de ces populations à la croissance à venir, lorsque le vieillissement de la population « de souche » entraînera une pénurie de bras, déjà visible dans les métiers peu qualifiés (constatez l'appartenance ethnique de votre éboueur).

Prétendre donc qu'il faudrait renvoyer « chez eux » les personnes d'origine immigrée sur la foi d'un tel calcul revient à dire qu'il faudrait euthanasier les retraités, puisqu'ils coûtent bien plus à l'État (à bien différencier de la collectivité nationale) qu'ils ne rapportent.

En résumé, ce genre de bilan relève le plus souvent du calcul de coin de table, et quantifie plus les préjugés de son auteur qu'autre chose, les difficultés économétriques étant tout simplement insurmontables en l'état.