Le livre numérique signifie-t-il la mort de l'édition ?
Un lecteur me signale le billet suivant : « eBook : l’édition connaitra-t-il le même sort que la presse ? ». La thèse de ce billet est que l'archaïsme du fonctionnement de l'édition ouvre un boulevard aux livres électronique et signifie à moyen terme la disparition de l'édition. Si je pense que le livre numérique va effectivement transformer en profondeur le secteur, je suis assez sceptique sur la thèse d'ensemble du billet, qui me semble ignorer les caractéristiques essentielles des marchés des biens culturels.
Les éditeurs et le domaine public
L'auteur du billet avance l'idée que le domaine public fournira aux lecteurs numérique un fonds de collection qui échappera ainsi aux éditeurs, pour lesquels il constitue un fonds de portefeuille rentable. Il me semble clair que la disponibilité de ces textes dans le domaine public va augmenter le nombre de gens qui les lisent. Va-t-elle diminuer significativement le nombre d'achats ? J'en suis moins sûr. À moins de taper dans les livres à quelques euros, un texte, fût-il dans le domaine public, n'est pas présenté seul. Une édition digne de ce nom est une édition critique, avec une préface présentant le contexte et les enjeux de l'œuvre, une biographie de l'auteur, une mise en perspective du titre dans l'œuvre d'ensemble de l'auteur et dans le contexte artistique de l'époque, des éléments sur la réception du texte et sur sa postérité, etc. Vient ensuite un appareil de notes qui permet d'éclaircir certaines références, de proposer les variantes quand elles existent (et c'est appréciable pour des œuvres qui comme <em>Le Cid</em> de Corneille ont connu des versions significativement différentes). Déjà utile pour comprendre des auteurs récents (<em>La Voie Royale</em> est nettement plus claire quand on a des éléments de la biographie et de la pensée de l'art de Malraux), un tel appareil critique est tout simplement indispensable si on veut espérer comprendre des œuvres plus anciennes, par exemple les <em>Essais</em> de Montaigne, qui s'amusait déjà à dérouter son contemporain en détournant subtilement la pensée des auteurs antiques à l'aide de citations hors-contexte.
Évidemment, le livre électronique est un support de rêve pour ce genre de choses, puisqu'il permet de déployer un appareil critique considérable sans avoir à alourdir outre mesure le volume ou la typographie (imaginons une édition des <em>Essais</em> où chaque citation renvoie au bloc de texte original dont elle est tirée, telle que Montaigne l'a lue). De même, l'offre d'expertise pour établir ces éditions existe : c'est là tout l'objet de la recherche en littérature, et participer à une édition critique d'un auteur majeur est à ce domaine ce que la publication dans les plus grandes revues internationales est aux disciplines scientifiques. Il n'en reste pas mois que l'établissement pratique de cet appareil (établir les notes et les liens) est un travail considérable, et les personnes capables de le faire ont un coût d'opportunité trop élevé pour le faire bénévolement.
Il faut donc à mon avis relativiser l'attractivité du domaine public : plus le temps passe et moins les textes du domaine public se suffisent à eux-mêmes, à moi d'avoir soi-même une solide formation en littérature. Je pense donc qu'à tout le moins, ces textes continueront pendant un temps certain à alimenter les comptes des éditeurs capables de produire des éditions critiques de bonne qualité.
Les manuels
L'auteur du billet suggère que l'édition scolaire pourrait bientôt disparaître. C'est sans doute possible pour les sciences. Pour les lettres, j'ai déjà plus de doutes, liés à ce que j'ai dit ci-dessus : un manuel de littérature n'est pas une simple collation de textes. C'est là aussi l'appareil critique et pédagogique qui fait sa qualité. Pour les sciences humaines, j'ai encore plus de doutes : ouvrez un manuel d'histoire-géographie, et ôtez mentalement les contenus qui ne sont pas aisément remplaçables par des équivalents libres de droits. Pour l'histoire contemporaine, vous perdez une bonne partie des photographies, diagrammes, plans et schémas. Pour la géographie, vous perdez à peu près toutes les illustrations intéressantes. Participant occasionnellement à Wikipédia, je suis sensibilisé à ce problème : tant que les gouvernements n'auront pas, à l'image des États-Unis, mis dans le domaine public l'ensemble de la production de leurs services, l'édition scolaire aura de beaux jours devant elle.
Le rêve de l'auto-publication
On arrive là à ce qui est à mon avis la faille principale du billet : l'idée que les éditeurs ne servent qu'à faire de la mise en page, et le fantasme corrélatif de l'auto-publication. L'exemple donné par l'auteur illustre assez bien le problème : connaissez-vous beaucoup d'artistes qui ont émergé uniquement grâce à une autopublication en ligne ? Une poignée tout au plus, à comparer avec le nombre de nouveaux artistes qui démarrent dans le girons de labels indépendants. Ce n'est pas un hasard : l'offre dépasse de plusieurs ordres de grandeur la demande. Dans le cas de l'édition, un manuscrit sur 15 000 est accepté, et une maison d'édition moyenne reçoit 3 000 à 4 000 manuscrits par an (cela fait 11 manuscrits par jour). Qui aura le temps de lire tous ces manuscrits, dont la plupart sont rejetés pour d'excellentes raisons (ils sont mauvais, tout simplement), et sélectionner ceux qui en valent la peine ? C'est justement là le rôle central de l'éditeur. Dans une offre pléthorique, il effectue un tri, certes imparfait, mais qui permet au lecteur potentiel de ne pas être noyé dans une masse de textes sans intérêts. Il fonctionne, en quelque sorte, comme une agence de certification. Sans l'agence de certification, il est fort possible que ce soit tout le marché qui disparaisse (Akerlof a encore frappé). L'auteur oublie également que l'ouvrage publié est rarement identique au manuscrit proposé. Une relation avec un bon éditeur suppose un certain nombre de va-et-vient destinés à améliorer le texte.
Certes, l'édition numérique peut modifier la forme de cette certification, qui pourrait être un abonnement à une liste des titres certifiés par un éditeur donné, ou plus probablement un accès payant à ces titres du fait d'un contrat d'exclusivité. Rien de très différent, en somme du modèle actuel. En effet, la certification repose sur l'établissement de réputations, et les maisons d'édition restent les mieux placées pour cela.
C'est pourquoi l'argument sur le passage des auteurs à des modèles alternatifs me semble tomber dans la même ornière : cela peut flatter l'ego qu'un livre soit édité, encore faut-il qu'il soit lu pour avoir un impact. Si le système repose, comme je le suggère plus haut, sur des certifications, publier chez un éditeur inconnu ne sert à peu près à rien, et donc publier dans les maisons « alternatives » suggérées par l'auteur du billet pour constituer avant tout un mauvais signal sur la qualité du livre et celle de l'auteur. Ce qui est d'ailleurs déjà le cas si je m'en réfère à mon expérience sur Wikipédia, où on voit régulièrement débarquer des auteurs de théories fantaisistes « publiés » dans des maisons où on se demande si ce n'est pas du compte d'auteur.
Les système de recommandation
Là, on quitte le domaine de l'édition pour celui de la librairie. Je suis d'accord avec l'auteur dans l'idée que les systèmes de recommandation basés sur des réseaux sociaux ou sur une analyse automatisée de nos lecture passée sont voués à fournir une information de qualité sur ce qui est susceptible de nous plaire. Encore faut-il qu'il y ait des données pour ce faire : un système qui ne serait assis que sur ce fonctionnement souffrirait d'un grave problème d'initialisation : où trouver les recommandations initiales pour les ouvrages qui viennent de sortir ? Le problème est évidemment multiplié par plusieurs ordres de grandeurs si ce n'est pas dans une offre publiée qu'il faut faire le tri, mais dans la jungle de dizaines de milliers de manuscrits.
Qu'en pense le secteur de l'édition
Là où je rejoins l'auteur du billet, c'est dans le constat que le secteur de l'édition français non seulement n'a rien vu venir, mais en plus s'accroche à des solutions inadaptées (comme l'extension du prix unique au livre numérique, alors qu'il paraît clair que ce sont les systèmes d'abonnement qui permettent de dégager le plus de revenus d'un catalogue), voire ridicules (l'idée que le prix du livre numérique doit être le même que celui de son équivalent papier repose, dans le texte du SLE, sur une conception de la valeur depuis longtemps obsolète : le prix, c'est la rencontre de l'offre et de la demande, un point c'est tout). L'édition française va donc probablement traverser des années difficiles. Mais je doute qu'elles signifient sa disparition.
Publié le mardi, mars 31 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mardi, mars 31 2009
13:47
Bon contrepoint :)
— Fabrice EpelboinQuelques remarques en vrac...
Pour les manuels scolaires, la loi DAVSI prévoit qu'à partir de 2009, tout matériel pédagogique à usage scolaire sera libre d'utiliser sans la moindre autorisation ni le moindre paiement du matériel copyrighté. C'est déjà le cas en allemagne, et à moins d'une pression des mobbys comme le SNE (qui n'ont pas signé Hadopi, soit dit en passant) ce sera sous peu le cas en France. Dont acte, on peut tout a fait imaginer un travail collaboratif issu du monde de l'éducation qui crée des manuel (l'exemple de sésamath est annonciateur).
Les éditeurs en charge simplement de la mise en page ? Certes, il n'est pas question de généraliser, mais (et je l'ai précisé dans mon billet), j'ai bossé pour l'édition, et j'ai même travaillé à l'informatisation et à la mise en place de nouvelle sméthodes de prod chez... un packageur. Tout pro de l'édition qui sait ce que c'est qu'un packageur réalise que c'est un joli filon de contenu qui passent par leurs main, et que la plue value apportée par un éditeur sur ces contenus est... comment dire... discutable.
Système de recommandation ? Voyons... quel est à ce jour le système de recommandation le plus perfectionné au monde... Ha... j'ai trouvé : Amazon. Flute, ils sont un acteur de premier plan de l'eBook... arg... c'est la m...
Domaine public : heu... ce n'est pas que les contenus qui y sont ajoutés ne sont pas de qualité, mais le gros des ventes ne se fait pas sur ce type d'ouvrages, et cette plus value peut être obtenue via des systèmes sociaux collaboratifs basés sur la réputation. Si les profs s'y mettent, c'est la cata.
Auto publication : je vous renvoi au marché actuel de l'eBook qui aux States commence vraiment à être florissant. Là encore, je ne crois pas à un auteur de littérature qui emergerait à partir de cela (ou alors dans très longtemps), mais à une niche, celui de l'édition pro, B2B, qui va, elle aussi, être attaquée.
Bref, mon point n'est pas de dire, bien au contraire, qu'un éditeur ne fait rien, mais la rentabilité d'un Gallimard ou d'un Plon qui fait un vrai travail avec ses auteurs de littérature est assurée ailleurs, dans des gruyères sur lesquels les éditeurs n'apportent pas vraiment de plus value, et ce sont ces gruyère qui vont être les cibles de l'eBook. Cela suffira (c'est ma thèse) pour déstabiliser le marché et mettre un pagaille immense auquel les éditeurs ne sont pas préparés.
mardi, mars 31 2009
13:57
Je n'ai pas d'idée précise sur le fond de ton argumentation, juste une objection sur un point. Tu rappelles qu'une édition critique a une valeur intellectuelle bien supérieure à une édition brute. Tu notes que le coût d'opportunité est trop élevé pour qu'un spécialiste produise cette édition bénévolement. J'objecterais que premièrement la plupart de ces jobs se font presque gratuitement, le coût d'opportunité n'est donc pas d'ordre financier, mais symbolique (il vaut mieux éditer dans la Pléiade que sur un site internet.). Ce qui ne le supprime pas, mais on peut imaginer un "éditeur" sous licence libre qui dispose d'un certain capital symbolique.
— gedePlus fondamentalement, ce que révèle Wikipédia, c'est qu'il existe un nombre bien plus grand que ce que l'on suppose de personnes capables d'écrire des textes de ce genre sans être universitairement reconnues, ou de le faire anonymement en étant universitairement reconnues, et qu'enfin, même dans les cas très courants où le résultat est médiocre, inférieur à celui des concurrents plus anciens et plus légitimes (Encarta (RIP, ce matin), Encyclopedia Universalis, etc.), un bon google rank joint au seul attrait de la gratuité et de la disponibilité suffisent pour s'imposer. Et si, en plus, le contenu est bon... Mais cela ne concerne que le cas des livres rentrés dans le domaine public, marginaux dans l'activité d'édition.
Et, dans l'ensemble, toutes mes prédictions sur internet se sont avérées inexactes...
mardi, mars 31 2009
14:40
Il ne faut pas non plus trop généraliser les comportements des consommateurs. Je connais beaucoup de jeunes élèves qui n'ont lu dans le domaine public que les « grands romans » de la littérature française. Pour eux, une édition non annotée suffit largement, puisqu'on leur demande surtout de lire le livre. Plus généralement, si dans l'absolu il est intéressant d'avoir le contexte avec l'uvre, ce n'est pas nécessaire si on souhaite juste lire un bon roman ou voir une pièce amusante...
— nojhanSinon, je crois (et Wikipédia le montre bien) qu'on peut considérer que toute illustration qui n'est pas une photographie ou un document historique est remplaçable. Une carte n'est pas nécessairement plus difficile à refaire qu'un schéma, quelque soit le domaine. Le vrai problème pour les manuels scolaire viens plutôt de l'appropriation des outils informatique : on voit arriver des éditions collaboratives en math avant de les voir en lettre, et c'est compréhensible.
Par contre, je te rejoins complètement sur le fait que le véritable rôle irremplaçable des éditeurs est la sélection. On voit la même chose pour la musique : il est clair que le modèle actuel de l'industrie du disque va se marginaliser, mais on attends toujours des modèles qui s'appuient sur la sélection vendu comme un service. Les systèmes de recommandations ne sont pas suffisant (en l'état, du moins). C'est le véritable défi de la transition que nous vivons actuellement, à mon avis.
mardi, mars 31 2009
17:21
Compte tenu du prix de l'ibook, la presse a encore de la marge. Entre perdre un journal ou un livre de poche et perdre son ibook, il y a de la marge...
— Malikmardi, mars 31 2009
21:23
De nombreux commentaires pour ce billet écrit un peu à la hâte et comme dérivatif à un état de stress. Je vous en remercie. J'ai répondu rapidement à chacun, en espérant avoir le temps de développer un peu plus dans quelques temps.
— Mathieu P.mercredi, avril 1 2009
14:45
Il y a des éditeurs (aux USA) qui ont décidé d'exploiter les avantages du numérique. Je pense en particulier à Baen Books (www.baen.com/ , spécialisé dans le SF). Pour plus de détails sur le point de vue sous-jacent : www.baen.com/library/home... .
— L.mercredi, avril 1 2009
15:05
La description sur le point de vue est effectivement très intéressante. À plusieurs titres, d'ailleurs. Non seulement je pense que ce type a raison, mais en plus il dit des choses qui sont actuellement inenvisageables dans le débat public français :
samedi, avril 11 2009
00:24
Il n'y a pas d'auteurs ici. Et je me demande si des lecteurs littéraires commentent. La vision simpliste d'un flux océanique de manuscrits arrivant sans discrimination aux comités de lectures des éditeurs est proprement tordante.
Le véritable auteur, à moins qu'on ne soit un parfait naïf, ce qui est très rarement le cas, il ne faut pas sous-estimer leur lucidité, sait que la voie du comité de lecture est semée d'embuches diverses.
La première, et la principale, c'est d'évaluer la qualité de son texte avant de le proposer. Même si l'auteur est sur de son travail, s'il veut être publier encore faut-il qu'il soit lisible. Aussi, l'auteur littéraire aura donc sa propre démarche d'évaluation qui implique que des tiers compétents le lise bien avant tout contact avec un éditeur.
Ainsi, il lui importe de se faire connaitre auprès des prescripteurs talentueux et influents qui, s'ils sont convaincus par l'originalité de son travail, seront son meilleur garant auprès des éditeurs qui ne lisent probablement que des textes d'auteurs portés par ces auxiliaires incontournables des arts et des lettres.
Ceux qui écrivent en solitaire et envoient leurs manuscrits par la poste, je ne sais même pas si on prend la peine d'ouvrir ces enveloppes épaisses. La France est le pays des graphomaniaques rêveurs. On dit que près de 20 % des personnes déclarent écrire un livre.
Le nombre est considérable des gens que la blogmania n'a pas pour autant tempéré leurs envies d'édition.
Et l'auto-publication s'est vraiment démocratisée puisqu'il n'est plus possible d'échapper à l'auto-promotion des auto-édités qui hantent toutes les manifestations littéraires publics et interpellent sur le web toutes les instances appartenant de près ou de loin à la littérature.
Ces gens là sont reconnaissables, si jamais l'un d'eux vous abordent, il commencera à démolir tous les écrivains actuels. Sans doute n'en a-t-il pas lu un seul. Mais il sait qu'il sont sur-évalués. Petit couplet sur la misère de l'édition française et l'inculturation effroyable des lecteurs qui ne prennent même plus le temps d'ouvrir un vrai livre. Ensuite, si vous lui en laisser l'occasion il tâchera de vous vendre un exemplaire de sa prose.
Beaucoup ne s'expriment pas si mal. Je veux dire, c'est lisible. Mais, il n'y a rien. Seulement des histoires. Rien de littéraire. Il n'y a pas de langue. Juste une communication aux formes ordinaires ni belles ni moches. Ça ne pense pas, ça raconte banalement et la fiction n'a aucune référence à une culture, seulement une énième et fade reprise dans un genre qui a accumulé déjà tant de clichés et qu'il reprennent sans même s'en rendre compte. Des écrivants qui écrivent à l'instinct, spontanément et sont fiers d'annoncer qu'ils ne lisent pas du tout quand ils écrivent pour ne pas se faire influencer. On n'y croit pas ! Pourtant, c'est avec cur et sincérité qu'ils disent cela. C'est toute leur ontologie auctoriale qui se dévoile dans ces quelques mots : je ne lis pas ! Comme ils écrivent à peu près tout le temps de leur loisirs, qu'il faut bien vivre, etc ... Ils ne lisent pour ainsi dire jamais.
Une page ou deux de lecture et vous avez compris qu'il n'en retourne vraiment de rien de leurs textes. Tous leurs mots suintent de leur besoin inextinguible de reconnaissance.
Cela fait longtemps maintenant que les grands éditeurs n'ont plus de véritables comités de lectures. Ils s'en remettent aux milliers de petits éditeurs qui défrichent pour eux la nouveauté littéraire.
Qu'on en juge, 10000 éditeurs déclarés, 20 grosses maisons d'éditions qui font 90 % des ventes. Des quelques dizaines d'éditeurs indépendants qui subsistent encore et qui ont constitué sur le temps long de la production d'uvres des fonds superbes, ils font l'objet régulièrement de proposition d'achats des holdings financières qui ont industrialisée l'édition dans les années 80. L'objectif, c'est de faire fructifier le fond, en maximiser la valeur. Quand le propriétaire proche de la retraite met à l'encan son fond d'uvres dont il a patiemment soutenu les auteurs malgré la faiblesse des ventes les premières années de publication. C'est un vrai comité de lecture qui arrête de fonctionner. Un de plus. Ainsi s'amenuise peu à peu l'édition littéraire.
Quand aux profits, parait-il le but suprême des éditeurs, qu'on ne l'a-t-on fait celle-là ! De plus en plus ! L'éditeur est une entreprise ! J'en crève de rire !
Quand l'éditeur maximalise la valeur Ô que j'adore ce concept si incroyablement technocratique, qu'on se croirait à un cours d'H.E.C. ! Du Raffarin littéralement !
Le magazine littéraire a fait parait en mars 2009 un article qui décrit la réalité économique des auteurs publiés en France :
Pour ce qui l'en est du reste de la filière, la consultation des bilans financiers des principaux éditeurs est vraiment édifiante.
Il faut être très con pour vouloir être auteur dans la chaine de valorisation du bien culturel. D'ailleurs la plupart sont très insanes.
— Égidesamedi, avril 11 2009
10:32
J'avoue avoir un peu de mal à trouver la ligne directrice de votre commentaire. C'est pourquoi je réponds peut-être un peu à côté en rebondissant sur quelques éléments quantitatifs.
Ainsi, sur la concentration, vous grossissez le trait, si j'en crois les chiffres-clés du DEPS. Ils comptent ainsi seulement 295 maisons d'édition en France, soit beaucoup moins que vos 10 000. Je pense que la différence réside dans ce que le chiffre de dix mille comprend beaucoup de maisons n'ayant pas de réelle activité régulière, mais ayant à un moment publié une poignée de titres. Est-ce légitime de les compter ? Comme ce qui nous intéresse est une mesure de concentration, il me semble plus pertinent de ne considérer, comme le fait le DEPS, que ceux ayant une activité régulière. Parmi des 295 maisons régulières, 75 produisent 88,9 % du nombre total de titres (à ne pas confondre avec les ventes : si ces maisons rassemblent l'essentiel des gros succès, elles éditent également un grand nombre de titres dont la diffusion est très faible). En termes de chiffres d'affaires (ce qui se rapproche plus des ventes), 12 maisons représentent 57,5 % du chiffre d'affaires, les 34 suivantes se partageant 28,1 % de plus (soit 85,6 %, ce qui se rapproche de votre chiffre) pour les 46 plus grosses maisons (16 % du total). Dans un secteur où le coût d'entrée est très faible, ce type de concentration n'est pas particulièrement surprenant. Est-ce un problème ? Pas nécessairement. À vrai dire, à part des pétitions de principes en faveur du sacro-saint « indépendant » (une notion souvent mal définie), je peine à trouver des démonstration convaincantes. Comme je l'ai dit ailleurs, par une relation plus personnelle avec les auteurs et des structures de décision plus souples, les éditeurs de petite taille sont mieux armés pour découvrir de nouveaux talents, tandis que les grosses maisons ont seules le taille nécessaire pour donner à un auteur une diffusion véritablement importante. Là encore, rien de spécifique au secteur de l'édition : c'est le fonctionnement normal des industries de biens prototypes, culturelles (musique) ou non (logiciel, en fait une bonne part de la R&D, y compris dans des secteurs très industriels).
Concernant les auteurs, ce que les chiffres que vous donnez disent seulement que les auteurs de vivent pas de leur plume, et que beaucoup exercent une activité alimentaire en complément. Ce n'est pas vraiment une nouveauté. Ce qui l'est plus, sans doute, c'est la revendication voulant qu'un auteur doive pouvoir vivre de sa seule activité d'écriture, sans doute sous l'impulsion du modèle donné par les intermittents du spectacles (avec les problèmes et l'énorme subvention déguisée qu'on sait).
C'est par ailleurs un problème connu, et qui intéresse les économistes au premier chef, que de constater le nombre de personnes entamant une carrière artistique alors qu'à niveau de qualification égal, les salaires y sont beaucoup moins importants. Il y a certainement à l'origine des problèmes d'information (ce fait n'est pas encore connaissance commune, quoique depuis les luttes des intermittents, il soit mieux connu), un biais cognitif bien documenté (on surestime systématiquement ses chances de succès, comme des 90 % de gens qui pensent conduire mieux que la moyenne) et l'attirance pour le statut social de la star. Une certaine idéologie du désintéressement contribue sans doute également à ce qu'on peut voir voir un excès d'offre systématique (qui explique la faiblesse des rémunérations moyennes).
— Mathieu P.samedi, avril 11 2009
14:57
Non seulement, je vous remercie de me répondre très vite, mais surtout, de prendre la peine de critiquer avec de bons arguments mon point de vue.
— ÉgideMerci également du lien vers les chiffres de la DEPS dont je vais étudier le rapport.
En ce qui concerne le chiffre de 10000 éditeurs, je tiens cette donnée du rapport Hervé Gaymard sur l'économie de l'Édition. Mais vous précisez, non sans raisons, que le nombres d'éditeurs réellement efficaces dans l'édition sont bien moindre, sans doute un tout petit millier.
Si les gains de l'auteur sont loin de représenter un scoop, en cela je vous suis totalement, leur situation financière en terme de perception de droits d'auteurs, c'est dégradé singulièrement depuis 2002. En effet, la part des droit d'auteurs avoisinaient les 10 % pour un tirage moyen de 8500 exemplaires vendus à un prix moyens de 11 . En 2008, la part des droits d'auteurs a baissé à 8 % pour un tirage moyen de 7500 environ vendu 10 en moyenne. La dégradation est significative d'une évolution majeure de l'économie de l'édition dont pour l'instant personne n'a présenté une véritable explication. Il faut reconnaitre que dans le contexte actuel, c'est assez complexe à étudier.
Je ne suis pas certain comme vous l'affirmer que les auteurs revendiquent de vivre que de leur droits d'auteurs. Étre publié vous procure un statut social et une reconnaissance qui vous permettent d'envisager des activités rémunératrices dans des activités paralittéraires et culturels ainsi que dans la la rédactions d'articles de presse.
Mais ce qui n'est jamais abordé et qui est devenu un frein à la création littéraire, l'investissement préalable à l'écriture d'une uvre bénéficie très rarement d'un financement couvrant une partie des frais de la production du texte, essentiellement de la documentation, livres, revues, consultations, repérages sur les lieux, achats d'images, de vidéogrammes, d'audiogrammes, etc ... Souvent, pour une ivre ambitieuses cela représente souvent plusieurs milliers d'euros. L'image d'Épinal, de l'auteur enfermé dans un cagibi, stylo à la main devant l'écritoire plein de pages blanches, solitaire scribe obscur au prise avec les muses.
Certes quelques uns bénéficient de bourses ou d'un mécénat aussi rare qu'amical. Mais la plupart peinent à investir dans les moyens de leur recherche créative.
Enfin, vous vous servez peut-être un eu trop de l'analogie entre l'artisanat foncier du métier de l'édition, celui qui accompagne l'auteur dans la démarche créative et la R&D des industries de pointe qui s'épannouissent dans des start-up.
Enfin, ingénieur, c'est quelque chose, auteur, rien tant qu'il n'a pas édité au moins une fois. la compétence de l'écriture créative aucun diplôme ou formation ne la garantit.
samedi, avril 11 2009
15:46
Vous allez vous attirer les foudres de Moggio, là ! Blague d'initié à part, ce que je veux dire par la remarque précédente est que la nécessité d'un gros investissement préalable n'a rien de spécifique à l'édition, ni même au secteur culturel : c'est le lot commun de toutes les activités ayant une dimension de recherche et développement. Dans les industries en question, le problème est résolu soit par un accès au crédit (cas des start-up technologiques) soit de l'intégration dans de grands groupes de modules de R&D (pharmacie, cosmétiques, automobile). La question devient alors : pourquoi de telles structures n'existent-elles pas dans l'édition ? Car il est évident que la seule existence de ces coûts fixes initiaux ne sauraient justifier une subvention, qu'elle soit directe ou par l'intermédiaire d'une obligation légale.
Les réponses à cette question sont multiples, avec des situations qui varient d'un pays à l'autre. Dans le cas français, la revendication de l'édition comme d'un artisanat fonctionne comme un boulet au pied à la fois des éditeurs et des auteurs, les empêchant de développer par eux-mêmes des structures de financement. Le monde de l'art en général, et de l'édition en particulier, est furieusement individualiste, et le fait de l'avoir clairement démontré n'est pas la moindre des choses qui ont fait de Pierre-Michel Menger la tête de Turc de tout un milieu artistique dont le fonctionnement effectif est à rebours du discours.
Le phénomène de diminution des droits d'auteur que vous soulignez est effectivement très intéressant. Mon impression est que les auteurs, du moins l'immense majorité d'entre eux qui ne sont pas en position de négocier, font les frais d'un retard chronique d'investissement et de prospective de la part des éditeurs et des libraires, grands ou petits, qui n'ont pas pris la mesure de l'évolution du positionnement des livres dans l'ensemble des biens culturels. Je pense en particulier à la place prise par l'écrit informatique (le présent blog, Wikipédia) comme vecteur culturel, là où à en croire beaucoup, informatique rime avec jeux vidéos et abrutissement (« une génération abrutie par Internet et les téléphones portables » disait il y a deux semaines A. Finkelkraut).
Même quand on étudie le secteur d'un point de vus académique, comme c'est mon cas, il est difficile de connaître la réalité des conflits existant entre chaque maillon de la chaîne du livre, tant le secteur fait automatiquement bloc face au monde extérieur. Pour l'économiste, il est pourtant évident qu'il existe des conflits d'intérêt majeurs entre l'auteur et l'éditeur, ainsi qu'entre l'éditeur et le libraire, et que le paramètre essentiel déterminant l'issue de ces conflits est le pouvoir de marché, la capacité de l'un à augmenter où à réduire les gains de l'autre, que ces gains soient matériels ou en termes de statut social. De ce fait, l'unité de façade affichée n'en apparaît que plus suspecte. J'ai toutefois l'impression que la tension existant dans le secteur est telle que cette unité de façade est en train de se lézarder.
Je profite que j'ai le rapport Gaymard sous les yeux pour reprendre le paragraphe dont vous avez extrait votre chiffre (p. 25 du rapport) :
Je ne sais pas d'où sort ce chiffre, ni comment expliquer l'écart avec les données du DEPS. Comme je l'ai dit ailleurs, ce rapport est à mon sens à prendre avec une assez grande prudence. J'y ai relevé un certain nombre de problèmes et d'incohérences internes qui me laissent assez dubitatif quant aux conclusions, essentiellement sur l'idée que la situation actuelle du secteur soit comparable à celle de 1981. J'espère avoir le temps d'en faire la démonstration dans quelques temps.— Mathieu P.lundi, avril 13 2009
16:12
Aucune foudrette de Toile ne viendra troubler cet intéressant échange ! ;-) L'air marin bas-normand réchauffé par un soleil timide mais présent doit jouer un tantinet sur mon humeur ! Je profite du sommeil diurne des gosses et de ma mie pour surfer au chaud, avant une balade en bord de mer. J'ai tendance à partager les commentaires de Mathieu P., et la première chose à laquelle je pense en lisant cet échange est très banale : lorsqu'il y a transaction économique volontaire entre deux agents informés, c'est que les deux considèrent qu'ils en tirent tous les deux profit, et pas seulement de nature pécuniaire. Je n'ai pas le temps, ni l'envie de développer (je crois que Mathieu P. a compris ce que je veux dire) mais ce principe de base en économie semble assez souvent assez peu accepté par les personnes travaillant dans les milieux culturels lorsque l'on parle des gains monétaires des artistes et interprètes en France ou ailleurs. Sinon, j'espère moi aussi que Mathieu P. aura le temps de faire "[s]a démonstration" concernant le rapport Gaymard.
— Moggiodimanche, mai 17 2009
17:56
Un billet tout récent sur les possibilités actuelles d'impression de livres à la demande, un peu hors sujet par rapport au thème de ce billet (livre numérique et mort de l'édition) mais l'on peut regrouper le billet d'Assouline et le vôtre dans la catégorie "Progrès technique et marché du livre" : passouline.blog.lemonde.f... . Pas facile facile de savoir si Assouline déplore ou se réjouit...
— Moggiodimanche, mai 17 2009
22:14
Effectivement, il a l'air assez déchiré. D'un côté, il est bien conscient du nombre de titres potentiellement intéressants qu'il est difficile de se procurer, dont de nombreux textes dans le domaine public. D'un autre côté, il a la culte de l'objet-livre, et ne peut être qu'attristé par une machine qui démontre que le livre est, dans la plupart des cas, un simple support du texte. En tout état de cause, c'est une innovation intéressante. Et qui remet une fois de plus le rôle de filtre des éditeurs au centre de leur fonction, marginalisant la fonction de production du bien physique.
— Mathieu P.mardi, mai 19 2009
22:24
Du même Fabrice Epelboin, un entretien "à l'envers" intéressant sur l'e-book : fr.readwriteweb.com/2009/... .
— Moggiodimanche, mai 24 2009
06:35
Votre billet est intéressant à plus d'un titre; néanmoins je voudrais y apporter ma petite réflexion tant votre point de vue me semble marqué par une vision qui prend appui justement sur un existant qui est déjà en mutation.
— FrédéricAinsi votre argumentation semble à charge contre l'édition et l'auto-édition numérique: pas de certifications, pas de relais, pas de qualités, moins pratique que le livre papier.
Pourtant, points à points, ces critiques semblent déjà faire partie d'un autre monde de l'édition que celui qui est en train de se mettre en place.
Le manque de certifications ne signifie en rien dans l'absolu un manque de qualité. Si c'est le cas aujourd'hui cela est bien dû à une captation des écrivains par le marché de l'édition classique. On est ici dans le même schéma qui prévaut pour la musique, où les choix des Majors devaient être les choix de qualités et certifiés tandis que tout ce qui se ferait à partir de la toile ne vaudrait rien hors de ce cadre. On sait déjà que c'est faux, à la fois parce que bien sûr le choix des instances de contrôles (majors ou éditeurs) ne garantit en rien que le choix final repose sur une qualité à minima, et à la fois parce que des systèmes alternatifs de production d'albums basés sur un choix des consommateurs finaux aboutit étrangement à un niveau de qualité tout à fait semblable à ce que l'on trouve dans la structure "classique".
Sur le point de la validation qualité dans l'édition, la médiocrité crasse de certains ouvrages publiés chez des éditeurs en tout point respectables atteste bien que ce système de contrôle est loin d'être infaillible et parfait, ce à quoi vous pourrez en effet me répondre que le reste devait être encore plus mauvais, et ce à quoi je vous répondrais en dernier retour que les accumulations d'histoires d'écrivains ne voyant la publication de leurs manuscrits qu'après refus d'une bonne vingtaine de ces éditeurs auraient tendance à prouver que l'édition semble affaire de pugnacité autant ici que de critères à respecter (vu que visiblement, ces critères varient énormément d'un éditeur à l'autre).
Surtout, le fait même de proposer directement au consommateur final son travail plutôt qu'au travers d'une structure éprouvée n'enlève en rien la possibilité offerte au lecteur de retoquer le livre, et au final, via les différents blogs et relais naturels de la toile, d'agir in fine encore comme une instance de contrôle globale: un ouvrage numérique massacré sur la toile se vendra moins qu'un autre qui y a été encensé; question de logique. Et au final, certains auteurs seront même reconnus; mais il est vrai PAS par ceux qui ont ce pouvoir de désignation aujourd'hui.
Cela permet de rebondir sur la problématique des relais qui là encore semble reposer dans votre réflexion sur des postulats hérités du monde "physique " de l'édition.
Et là encore, je pourrais vous rétorquer assez simplement que la toile ne semble pas avare de réseaux de relais (youtube, blogs et autres) qui, malgré le semblant de chaos ambiant, arrivent presque toujours à faire émerger quelque chose quand il y a des propositions qui sont faîtes. Souvenez vous de Kamini, jeune auteur interprète qui a émergé sur Youtube avant d'être rattrapé par les majors. Cet artiste aurait pu pourtant se faire produire sur la toile où sa notoriété était acquise, et surtout, cela aurait été beaucoup plus rémunérateur pour lui que le contrat qu'il a dû signer avec sa maison de disque. Je ne pense pas que la situation soit très différente avec le monde du livre car ce qui effraie ici, c'est qu'il n'y a pas de point central d'où pourrait partir une validation. La proposition de livre ou de musique ou d'autre chose est ici de type virale, la reconnaissance se fait au travers d'un maillage de réseaux sociaux qui sont seuls juges. Et en peut se demander pourquoi celui qui est à même de juger de la qualité du livre acheté en librairie ne serait plus apte à être juge de cette même qualité dés lors que l'ouvrage en question n'est pas validé par une maison d'édition reconnue et disponible dans un format "physique". En d'autres termes, l'épure de la qualité se fait ici de façon naturelle, entre les différents intéressés, et on peut comprendre que cela gêne aux entournures des institutions qui ont pris pour habitude de définir d'en haut ce qu'il serait loisible de proposer en bas.
Reste le problème du support. Là encore les lignes bougent vite. L'arrivée de l'Iphone puis du Kindle, sans doute demain d'autres outils mobiles permettant de lire des ouvrages numérisés, permet d'offrir un vrai marché à terme pour les lecteurs . Et si, pour seul exemple, vous vous référez aux ventes de livres numériques sur l'Appstore d'Apple, vous pourrez constatez qu'il s'agit de la catégorie qui progresse le plus vite en téléchargement, devant les jeux ou les applications de loisirs. Autrement dit, il y a une demande croissante et forte sur ce secteur contrairement aux affirmations récurrentes de certains éditeurs à ce sujet.
Résumons, le problème de la qualité se résout de lui-même dans le choix final du lecteur, celui du relais trouve son échappatoire dans des réseaux d'informations qui font office de caisses de résonance, et les outils ainsi que le marché semblent en expansion rapide.
Il sera dur dans ces conditions et surtout dans les conditions actuelles de rémunérations des auteurs, de justifier sur le moyen terme la seule exploitation du livre par les maisons d'édition. L'auto-édition sera, j'en suis sûr, révolutionnée quand elle se sera adaptée au mode de fonctionnement spécifique de la sphère numérique et l'on aura des écrivains indépendants qui tiendront tête à certains protégés des éditeurs et qui seront aussi connus qu'eux, étant donné que les passerelles sont de plus en plus nombreuses entre les relais de notoriété sur la toile et ceux du monde "réel" (mais la toile est réelle, n'en doutons pas).
C'est de cela dont les maisons d'éditions ont une peur bleue, tout comme les majors ont une peur panique de voir les auteurs interprètes quitter leurs girons et faire carrière sans eux et leurs soutiens. Il n'est guère étonnant alors de voir ces organismes mettre en place des pare-feux contre le tout numérique et l'indépendance qui peut en découler. C'est de leur survie dans ce contexte dont il s'agit.
dimanche, mai 24 2009
06:48
Je cite Egide:
— Frédéric"Le magazine littéraire a fait parait en mars 2009 un article qui décrit la réalité économique des auteurs publiés en France :
40 en vivent correctement de leurs revenus d'auteurs.
830 gagnent environ l'équivalent d'un SMIC annuel
30000 végètent avec 1/3 du SMIC annuel.
Autant dire qu'on ne vit pas de ses droits d'auteurs."
Voilà, ces seules lignes justifieraient que l'on change de modèle. Et je ne suis pas étonné non plus que ce soient des auteurs de SF qui entament aux US cette révolution.
Et il y a bien plus à gagner là dedans qu'un SMiC.
dimanche, mai 24 2009
22:34
Frédéric, il me semble que dans votre raisonnement, vous oubliez une ressource rare de première importance : le temps des lecteurs. Actuellement, quand un lecteur achète un livre, il n'achète pas le seul texte de l'auteur. Il y a un travail physique sur le matériau (typographie, mise en page), un travail invisible d'allers-retours entre l'auteur et l'éditeur (dont auraient bien besoin la plupart des manuscrits auto-publiés), et surtout la sélection faite par l'éditeur. Cette sélection n'est certes pas parfaite, mais elle opère déjà un premier tri d'importance. Il faut vous dire qu'un manuscrit sur cinq mille à quinze mille est publié. Les autres ne le sont en général pas pour des raisons arbitraires, mais simplement parce qu'ils ne sont pas assez bons. Même si au final l'éditeur ne produit qu'un bon livre sur cent, j'ai au final une chance sur cent de tomber au hasard sur un bon livre, plutôt qu'une chance sur quinze mille. Et ça, c'est un service pour lequel un consommateur peut être prêt à payer, et à payer plus cher que pour l'accès au texte lui-même.
C'est pourquoi dans cette dynamique du bouche-à-oreille étendu sur Internet, vous avez un problème majeur d'amorçage : qui va avoir le temps de lire, bénévolement, ne serait-ce que les dix première pages de ces quinze mille manuscrits pour en trouver cent qui seront peut-être intéressants ? On peut certes imaginer que des personnes en fassent leur métier, et ne dévoilent leurs recommandations que moyennant paiement par l'utilisateur ou l'auteur. Mais là, on vient de réinventer l'éditeur, en moins bien. Vous commetez d'ailleurs une erreur révélatrice, puisque dans l'exemple donné ci-dessus, c'est bel et bien un éditeur de Science-Fiction qui a accepté de jouer le jeu de la mise en ligne que lui suggérait un de ses auteurs. Non pas parce qu'il a eu peur que l'auteur le quitte, mais parce qu'il a vu là un prolongement de son activité d'édition.
Le second exemple que vous donnez, celui de Kamini, démontre a contrario ce que je viens de dire ci-dessus : alors que les groupes qui cherchent la célébrité sur Internet se comptent par milliers, et que les lycéens et étudiants qui forment l'essentiel du public de leurs sites, ont beaucoup de temps libre et sont technophiles, les groupes ayant émergé de la Toile se comptent sur les doigts des mains. C'est aussi parce qu'en musique, encore plus qu'en littérature, l'intermédiaire n'a pas un rôle purement technique, et que faire carrière ne s'improvise pas. Ce qu'a bien compris Kamini : s'il a signé avec une maison de disque, c'est qu'il a bien compris que la notoriété seule ne payait pas, et que s'il voulait disposer des moyens matériels de produire d'autres chansons, il lui fallait rentrer dans le circuit traditionnel : la location d'un studio d'enregistrement (avec un ingénieur son) coûte plusieurs milliers d'euros.
Le problème de la qualité ne se résout donc pas de lui-même, bien au contraire : l'abaissement des barrières techniques à l'entrée augmente le problème déjà présent d'une offre qui dépasse la demande de plusieurs ordres de grandeur, offre dans laquelle le consommateur, fût-il averti, n'a pas le temps de faire le tri. Les conséquences de cette offre pléthoriques sont très bien analysées dans Creatives Industries de Richard Caves, dont je vous recommande chaudement la lecture. Il démontre très bien pourquoi, dans toutes les industries culturelles, le pouvoir de marché est détenu par des Gatekeepers qui contrôlent l'accès aux canaux de diffusion certifiés.
Du coup, je ne crois pas que les rémunérations en droit d'auteurs de la plupart des écrivains augmentent du fait de la mise en ligne. Au contraire, si on assiste à un recul de la fonction d'édition assistera-t-on à une augmentation de la polarisation des revenus sur une poignée d'écrivains qui se sont déjà fait un nom, et n'ont plus besoin du label d'un éditeur. Car s'il est clair que les mécanismes de propriété intellectuelle existants fournissent des rentes importantes aux intermédiaires, il faut être conscient que ce type de distribution se retrouve dans l'ensemble des secteurs culturels, malgré des régimes de propriété intellectuelle assez différents. Il est donc parfaitement possible que cette pyramide des revenus procède d'une distribution intrinsèque du talent ou de la dynamique propre à la circulation d'information sur les biens culturels, et ne soit pas grandement affectée par des changements dans le mode d'intermédiation. Il faut donc être prudent avant de la déclarer injuste, ou penser qu'on pourra la changer d'un coup de baguette magique virtuelle. Les technologies de réseau n'ont, à cet égard, que souligné l'existence d'une contrainte fondamentale : une journée n'a que 24 heures.
— Mathieu P.lundi, juin 1 2009
00:10
Mathieu,
— FrédéricJe ne suis toujours pas d'accord. Concernant le choix de départ et l'amorçage, il y a un facteur qui permet l'écrémage naturel, le prix, et un exemple où la qualité finit par émerger et être reconnue au milieu d'une masse de choses médiocres, l'Appstore d'Apple.
Quantités de jeux, autre domaine où il fallait auparavant en passer par des "Gatekeepers" défilent sur ce circuit de distribution, le plus souvent créés par une seule personne. De nouveaux créateurs ont émergés et ont été reconnus, et sont devenus riches, et n'étaient pas connus avant; l'astuce ?
Les jeux ne sont pas chers, pas chers du tout. L'achat est beaucoup plus simple, et beaucoup moins risqué ici que celui d'un jeu en boutique, très cher et qui n'offre pas non plus au final une garantit totale de qualité. Conséquence, le succès du store est foudroyant et les ventes de livres numériques, souvent anciens, sont aussi très importantes. Je parle là d'une vraie reconnaissance liée à ce milieu; ces personnes font maintenant des interviews, on veut savoir comment elles travaillent. Un point commun: elles empochent 70% de la somme de l'applications vendues, et c'est la même somme sur les livres numériques. Une journée est courte, mais une version "lite" et donc courte d'un jeu ou quelques paragraphes d'un livre permettent de savoir aisément si on à affaire à quelque chose de valable ou à un énième nanard. Ce procédé est déjà rodé sur le premier magasin de vente d'Applis et de livres numériques au monde (devant Amazone), et, tout comme les podcasts, l'achat en ligne et les contraintes particulières qui en découlent sont en train d'être assimilés à vitesse grand V par des consommateurs de plus en plus soucieux du prix du produit final.
Les systèmes de synthèse d'avis, les commentaires, les blogs et sites qui se créent permettent un écrémage encore une fois naturel et personne ne vient ici se plaindre que l'immense majorité de ce qui est disponible ne soit pas de bonne qualité, l'essentiel étant bien que sur la masse, de la qualité émerge et soit reconnue, ce qui est le cas. L'avantage est grand à la fois pour le consommateur qui trouve des pépites à petits prix et pour le créateur qui y gagne une vraie indépendance d'autant plus importante que nombre de "concepts" frais ont ainsi émergés qui n'auraient pas trouvé de financements dans une structure classique. La liberté c'est aussi celle de ne pas faire ce qui soit disant est bon pour vous, et de réussir malgré tout en agissant ainsi.
Etrangement là, le problème du temps disponible s'est résolu de lui-même. En fait , on postulait que l'accès à une offre beaucoup plus forte que la demande conduirait à un goulet d'étranglement, mais il faut faire confiance dans la capacité d'organisation des sociétés humaines. Ici, devant l'offre, il y a eu une adaptation du "marché" qui a conduit à une situation inédite où ni les créateurs ni les consommateurs n'ont eu à se sentir perdants.
Vous parlez de 15 000 manuscrits potentiels, je vous parles des 6000 jeux déjà disponibles et qui pourtant n'ont pas empêché la reconnaissance d'une bonne vingtaine de talents dont le travail est maintenant reconnus, y compris par leurs pairs. Pourquoi cela serait différent pour les livres ?
Quant à l'exemple de Kamini, sachez qu'il existe déjà des moyens de se faire produire en ligne, avec au final tous les moyens nécessaires à la réalisation d'un album. Et cela marche: Gregoire est l'un des premiers à avoir sorti un album grâce à la toile et sans le soutien des majors du disque et non seulement cela marche, mais on peut parier que Gregoire aujourd'hui n'a pas à craindre ses fins de mois comme Kamini. Vous doutez trop des capacités d'organisation des hommes quand on leur laisse une partie du pouvoir "final". La toile est en ce sens révélatrice des capacités créatrices de nouvelles structures quand dans le même temps les hommes ont tant de mal à renouveler le fonctionnement de vieilles structures dans le monde "réel", sans doute parce qu'ils sont d'emblée dans la situation de n'être que des intermédiaires et pas des acteurs du système (nos institutions démocratiques en sont un bon exemple).
Sur le fond, vous avez raison, avec un bémol sur la fin: "il faut être conscient que ce type de distribution se retrouve dans l'ensemble des secteurs culturels, malgré des régimes de propriété intellectuelle assez différents. Il est donc parfaitement possible que cette pyramide des revenus procède d'une distribution intrinsèque du talent ou de la dynamique propre à la circulation d'information sur les biens culturels, et ne soit pas grandement affectée par des changements dans le mode d'intermédiation."
Mais replacé dans le contexte du tout numérique et avec encore une fois les jeux comme principal exemple on constate tout de même une importante variante: là où les revenus seraient nuls pour certains du fait de la médiocrité de leurs créations, ces revenus deviennent maintenant équivalent à la tranche basse des revenus de ceux qui auparavant étaient pourtant mis dans le circuit de façon traditionnelle et l'on peut ainsi remonter jusqu'en haut de la pyramide le grossissement des revenus attribués (les compte rendus des programmeurs en attestent sur leur blog, même les plus mauvais y gagnent un substantiel complément de salaire; pensez aux nombres d'écrivains pourtant publiés qui ne gagnent que l'équivalent du tiers d'un SMIC). Tout le monde y gagne quelque chose et ceux en haut y gagnent bien sûr plus encore que s'ils avaient été reconnus par le biais du circuit classique (on parle là de millions de dollars de gain pour de petit jeux sans commune mesure niveau réalisation avec ceux qui bénéficient de lourds budgets). C'est ce qui s'appelle un changement d'échelle. Si ces gars bossaient pour des studios, ils ne toucheraient qu'un pourcentage infime de ces gains.
Les musiciens, sucés jusqu'à l'os, commencent eux aussi à envisager d'autres portes de sortie: le quasi bénévolat dans les faits, même avec la reconnaissance induite par l'appui d'une grosse major a des limites. Et les écrivains, c'est peu dire s'il y aurait sans doute besoin d'un bon coup de pieds dans la fourmilière pour changer le niveau de vie indécent qu'on leur propose en partage de la notoriété.
jeudi, juin 4 2009
21:54
Nous ne sommes effectivement pas d'accord sur un élément fondamental : je ne pense pas qu'il suffise de quelques paragraphes pour juger de la qualité d'une uvre, ou de sa simple adéquation à ses goûts. Combien de personnes ont abandonné Le Seigneur des anneaux du fait de la lenteur de son début ? Quoi de plus rébarbatif que le monologue de Raskolnikov au début de Crime et châtiment ? De plus, vous donnez en exemple une plate-forme, l'Apple Store, qui est déjà un filtre, puisque toutes les applications proposées sont validées par Apple, et toutes ne le sont pas, loin de là. On retombe ainsi dans le fonctionnement habituel de l'édition, ou Apple joue le rôle de Gatekeeper (j'ai d'ailleurs entendu dire que certaines des plus intéressantes ne passaient pas la barrière, Apple sachant fort bien jouer de son pouvoir de monopole). On est donc loin, il me semble, de la vision idéale que vous donnez de ce marché.
Pour Grégoire comme pour Kamini, je crains que l'arbre ne vous cache la forêt. Dans une offre de plusieurs dizaines de nouveaux artistes chaque année (et je suis sans doute loin du compte), à peine deux ont réussi à émerger, et je ne parle pas de se maintenir. L'avantage des relations contractuelles avec des maisons de production, c'est que ces dernières peuvent répartir le risque en produisant plusieurs artistes.
En choisissant les jeu, vous commentez en outre une erreur d'optique : si la rémunération des programmeurs a augmenté, c'est qu'ils sont une ressource rare : on ne s'improvise pas programmeur comme on s'improvise écrivain. Je crains que vous ne mettiez au crédit des effets de réseau un simple effet d'augmentation de la demande face à une offre qui évolue beaucoup plus lentement. C'est pourquoi les politiques de révolution ou de coup de pied dans la fourmilière, sans se poser la question de savoir pourquoi la fourmilière existe, me laissent froid.
— Mathieu P.