Organisation

Je commence par l'organisation, car elle était, de mon point de vue, remarquable. Je passe le stylo Lexon et la pochette griffée Starck (je cherchais justement une pochette pour un petit portable, elle tombe à point nommée) offerte à tous les participants pour parler le la brochure avec les biographies de tous les participants ainsi que le résumé (fort utile) de leurs interventions. Le lieu (musée du Quai Branly) ajoutait évidemment au cachet, mais la qualité de l'organisation se voyait surtout dans les détails : une traduction simultanée manifestement très efficace, et le détail qui tue, les présentations des intervenants respectant toutes une même charte graphique (je me demande comment ils ont réussi ce tour-là). Cela m'a donné l'occasion de voir Philippe Chantepie (chef du Département des études et de la prospective au Ministère de la Culture, dont m'avait parlé une amie ayant travaillé au Ministère), qui m'a fait l'impression de parvenir à être simultanément à plusieurs endroit à la fois tout au long de la journée. Je n'ai d'ailleurs sans doute pas été le seul à remarquer l'excellence de l'organisation : dans son discours de conclusion, Françoise Benhamou a dit que les universitaires étaient peu habitués à un tel confort.

Seul petit point un peu dommage : la cafétéria étant réservée au repas des intervenants aujourd'hui, il n'y avait pas d'espace pour les doctorants impécunieux pour manger leur sandwich (je n'ai pas osé manger dans l'auditorium, ni osé essayer de me rappeler au bon souvenir d'un des intervenants pour taper l'incruste).

J'oublie de dire que le programme était très dense : les interventions étaient minutées, et aucune pause n'était prévue au milieu de chaque demi-journée. Malgré cette absence quasi-totale de marge de manœuvre, le retard (normal) a été des plus acceptables, et la contrainte a à mon avis nettement élevé la qualité des interventions (impossible de diluer).

Matinée

Pour moi, la matinée était plus intéressante pour voir comment des économistes chevronnés adaptent leur discours à une audience hétérogène que pour le contenu des communications (ce qui est rassurant, je maîtrise quand même un minimum la littérature sur mon sujet). La première intervention était celle qui m'intéressait a priori le plus, portant sur les relations entre concentration et diversité éditoriale. Si l'étude de cas était fort bien faite, je suis restée sur ma faim quant au caractère généralisable des conclusions. Il s'agit cependant d'un type d'études qu'il faudrait effectuer d'urgence sur le cas des groupes médiatiques et éditoriaux français pour évaluer les effets de la concentration, mais aussi des nombreuses régulations en termes de participations croisées dans plusieurs entreprises de média.

La seconde intervention portait sur les rapports entre musique enregistrée et spectacle vivant. L'idée générale, si j'ai bien compris, est que les artistes disposant d'un renom certain utilisent les disques comme moyen de promotion pour leurs concerts, ou inversement, que des formations comme le London Symphony orchestra créaient leur propre maison de disques afin de capturer les rentes générées par leur image de marque : bref, les artistes commencent à vouloir récupérer une partie de leurs rentes, et sont prêts à faire ce qu'il faut pour. Pour la suite, j'avoue être totalement imperméable au néo-institutionnalisme tel qu'employé dans ce cas. Il m'a semblé que le chapitre du Handbook of the Economics of Art and Culture (le Handbook dans tout ce qui suit) m'éclairait mieux sur les problèmes de créativité, mais c'est sans doute moi qui n'arrive pas à comprendre quand il n'y a pas assez d'équations.

L'intervention sur les relations entre médias et publicité était intéressante, quoique sans surprise pour qui a lu le chapitre sur ce thème du Handbook (dont l'intervenant a fait une bonne synthèse de vulgarisation). Il m'a semblé qu'il aurait pu insister sur certains des aspects les plus contre-intuitifs des marchés bifaces (oui, je vous renvoie à l'article anglophone, l'article francophone n'étant à mon avis pas au niveau), en particulier les stratégies de subvention d'un côté du marché pour extraire plus de rentes de l'autre. Ceci dit, le temps imparti ne lui en a probablement pas laissé le loisir, et les résultats qu'il présentait étaient déjà suffisamment perturbants pour une partie de l'audience pour ne pas en rajouter. Exemple : quand les programmes convergent, le prix demandé aux annonceurs augmente, alors que la concurrence entre chaînes pour attirer les annonceurs augmente aussi. La clef est que la concentration des spectateurs augmente encore plus vite. Certes, être dans un labo où tout le monde a lu les articles fondamentaux sur les marchés bifaces aide à être familier avec un phénomène qui n'est pas des plus évidents (et oui, j'ai posé une question et probablement encore perdu une occasion de me taire).

Le dernier intervenant était Andrew Stirling. Là aussi, rien de très nouveau pour moi, j'avais déjà lu son papier. Il mène une réflexion sur le concept de diversité, et propose trois axes pour le définir, la variété (nombre d'éléments), l'équilibre (en taille) entre les différents éléments et la disparité (différence intrinsèque). Je n'ai pas bien suivi comment il ramenait ça à une métrique utilisable, j'ai dû manquer une marche. Il faudra que je relise cette partie.

Suivait une table ronde sur les stratégies des secteurs économiques, par des intervenants des secteurs eux-mêmes. Hasard des places, Bruno Patino s'est trouvé à côté d'Olivier Abecassis : le contraste à la fois de tenue et de discours entre Le Monde et TF1 était assez frappant. D'un côté, O. A. mettait en avant des continuité dans la manière de « monnayer » les contenus, et regrettait que les nouveaux acteurs (fournisseurs d'accès, essentiellement) ne soient pas soumis aux mêmes obligations de financement de la production de contenus. De l'autre, B. P. estimait que le phénomène des UGC (user generated contents) modifiait assez radicalement le mode même de production des contenus, mettant en concurrence des acteurs qui jouaient auparavant un jeu de concurrence monopolistique.

Je ne me souviens plus de ce qui a été dit en synthèse, sauf que c'était très bien.

Après-midi

J'ai assez peu suivi la première table ronde, sur les politiques culturelles comme levier de croissance. Je n'étais a priori par convaincu par le thème de la table ronde : la première chose à savoir sur ce sujet est que s'il est vrai que la dépense culturelle peut avoir un effet multiplicateur, c'est une très mauvaise manière de la défendre, puisqu'il est toujours possible de faire mieux avec une autre dépense. J'ai eu la très nette impression que F. van der Ploeg, qui présidait l'après-midi, était tout aussi dubitatif. Un point intéressant, cependant, j'ai découvert le dispositif de l'IFCIC, qui accorde des crédits et des garanties plutôt que des subventions directes.

Le moment le plus intéressant de la journée fut pour moi la dernière table ronde, dédiée aux soutiens publics et régulations du nouveau champ culturel et créatif, animé par Anne Perrot. La vedette de la table ronde fut en fait Ruth Towse, à qui son statut de co-fondatrice du champ confère une grande liberté de parole. Son intervention constituait ainsi un véritable programme de recherche. Commençant par remarquer qu'on ne dispose d'aucune donnée fiable disant quelle part du chiffre d'affaires du secteur culturel finit dans les poches des artistes et qu'on se pose des questions sur l'efficacité des organismes de collecte et de distribution des droits, elle a enchaîné en disant qu'il fallait s'interroger sur les alternatives au copyright. En effet, disait-elle, nous n'avons pas non plus la moindre idée de l'effet incitatif réel du copyright sur la production des artistes : en l'absence de preuve empirique, l'argument que plus de copyright signifie plus de création est une simple croyance sans fondement solide. En outre, le copyright est un outil très brutal, contrairement au brevet. Le copyright est en effet automatique, sans aucune exigence ni d'originalité, ni de qualité : le moindre gribouillis sur un coin de nappe est ipso facto protégé. Elle a fini sur deux propositions de politique : pour elle, l'allongement du copyright sert essentiellement les éditeurs et pas du tout les artistes, et une durée de protection de 20 ans après publication lui semble un arbitrage beaucoup plus raisonnable entre incitation et accès large à l'œuvre (j'ai été presque surpris de l'absence de réaction de la salle). Par ailleurs, beaucoup plus que les droits, un problème récurrent des artistes est une difficulté d'accès au marché du crédit. Ruth Towse proposait donc d'étudier plutôt les dispositif d'aide à l'accès au crédit comme moyen de remédier au problème des coûts fixes.

Il faut noter qu'à mi-chemin de la table ronde, le rôle d'animateur de facto est passé à F. van der Ploeg (président de l'ensemble de la séance de l'après-midi), dans le cadre d'un dialogue avec R. T. Il y a également eu un échange assez intéressant sur le thème du prix unique du livre, avec un F. vdP assez prudent et suggérant un prix unique restreint aux ouvrages de littérature difficile et R. T. exprimant un très grand scepticisme à l'égard de cette mesure.

La journée s'est conclue sur une synthèse de Françoise Benhamou (intéressante, mais je n'ai pas pris de notes), puis sur deux interventions de nature plus politique (une Commissaire européenne, puis le Secrétaire général du Ministère de la Culture), au cours desquelles j'ai mis mon cerveau en veille.

Bref, journée très riche, mais qui montre qu'il existe un décalage très sérieux entre la recherche et les acteurs du secteur. Ce décalage était particulièrement sensible, lorsqu'a été évoqué le « problème » de la gratuité, menace voire spoliation pour la plupart des acteurs, tandis que les économistes soulignaient à l'envi qu'on ne savait pas bien si spoliation il y a, qui est exactement spolié (vraisemblablement pas les auteurs), et que l'apparente gratuité était une illusion due au fonctionnement des marchés bifaces. Il y a encore pas mal de travail de pédagogie à faire dans ce domaine.