Faut-il faire payer les projections gratuites
Jusqu'à l'année dernière, le Parc de la Villette à Paris organisait un cinéma en plein air, d'accès gratuit. La programmation était un mélange de classiques et de films relativement récents. Cette année, des pressions diverses ont contraint les organisateurs à faire payer les séances. Le prix modique, 2 €, semble avoir fait très nettement chuter la fréquentation. Je dois dire que les raisons avancées me laissent dubitatif.
À qui les projections gratuites font-elles de la concurrence ? Au premier abord, il semblerait que l'accusation de concurrence déloyale vienne des petites salles. Effectivement, on peut imaginer qu'il existe un effet de substitution non-négligeable entre aller voir un classique dans une petite salle et aller le voix sur une pelouse. Quoique : il me semble que la moyenne d'âge dans les deux cas indique que le public n'est pas vraiment le même. Voir un classique avec le vent qui souffle, le groupe d'à côté qui papote ou qui mange des chips, ce n'est pas la même chose qu'aller le voir dans une salle d'art et d'essai. À l'appui de cette idée, je note que si les petites salles sont mises en avant, le groupe Mk2 (directement concerné, les projection ont lieu non loin de deux de ses multiplexes) était favorable au maintient de la gratuité.
Là où les choses deviennent vraiment étranges, c'est apparemment, c'est le CNC qui a fait la demande et qui a obtenu gain de cause. Officiellement, il s'agit donc de défendre les petits cinémas dans une période traditionnellement creuse (après la Fête du cinéma et Paris cinéma, ce n'est pas vraiment étonnant, me direz-vous) et de récolter plus d'argent pour le financement du film français. Là encore, j'ai du mal à me convaincre de l'argument. D'une part, j'aimerais bien voir une évaluation sérieuse du manque à gagner. J'ai plutôt l'impression que le CNC cherche simplement à augmenter ses recettes. Surtout, je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne solution. En effet, un des buts des projections gratuites est de convaincre un public qui ne fréquente plus les salles obscures d'y retourner, en démontrant qu'il ne s'agit pas de la même expérience qu'un DVD, fût-il regardé sur un écran 60'' Full HD.
Tout cela me semble donc un étrange mélange de corporatisme et de courte vue. Ce qui me dérange vraiment dans cette affaire, c'est l'implication du CNC, qui augure mal de la capacité de cet organisme à se défendre de l'influence des groupes de pression en son sein, et d'agir pour le bénéfice du cinéma dans son ensemble, et même du seul cinéma français.
Publié le dimanche, août 3 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Propriété intellectuelle - Lien permanent
Commentaires
lundi, août 4 2008
13:42
Sans vouloir jouer les cyniques, les phrases que je préfère dans votre billet sont "D'une part, j'aimerais bien voir une évaluation sérieuse du manque à gagner" et "Ce qui me dérange vraiment dans cette affaire, c'est l'implication du CNC, qui augure mal de la capacité de cet organisme à se défendre de l'influence des groupes de pression en son sein, et d'agir pour le bénéfice du cinéma dans son ensemble, et même du seul cinéma français."
— MoggioEst-il abusif de dire que, en France, les évaluations sérieuses dans le domaine du cinéma (mais aussi dans tous les autres domaines culturels) sont l'exception plutôt que la règle, la règle étant que les évaluations sont, semble-t-il, le plus souvent faites pour satisfaire tel ou tel groupe de pression aux dépens des nouveaux entrants côté offre et/ou des contribuables consommateurs côté demande (et même aux dépens des artistes ! ; voyez par exemple l'article de Victor Ginsburgh de janvier 2008 sur les effets économiques néfastes du droit de suite) ? J'ai entendu récemment une personne travaillant au ministère de la Culture suggérer que même le récent rapport Perrot-Leclerc sur "Cinéma et concurrence" aurait été, disons, remodelé en interne par le cabinet ministériel et/ou le CNC, avant publication... Et je regrette vraiment d'écrire cela car j'ai beaucoup d'admiration pour l'économiste Anne Perrot. A-t-elle eu toute liberté de rédaction ? C'est la question. J'avoue ne pas l'avoir lu en entier mais seulement sa synthèse. Est-il possible à sa lecture de deviner qu'il a été retouché ?
Je ne dirai rien de la capacité de défense du CNC face aux pressions des lobbies et de sa capacité d'action sauf que l'on peut penser que le CNC a peut-être pour objectif premier de défendre l'intérêt particulier d'une corporation plutôt que (allez je l'écris !) l'intérêt général, et que j'aimerais bien lire une analyse économique théorique et empirique indépendante et solide des effets économiques nets de, disons, l'intervention publique et parapublique en matière de cinéma en France depuis, disons, la création du CNC (ce même Victor suggérait l'autre jour, sur le ton de la plaisanterie mais en posant malgré tout une question intéressante, que les films anglais sont de bien meilleure qualité "depuis que les subventions aux films ont été supprimées"...).
Bon été !
lundi, août 4 2008
21:56
Je serais heureux de connaître votre avis sur ce rapport et j'ai réagi comme vous au sujet d'Anne Perrot. Pour information, le Conseil de la concurrence (qui publie régulièrement des avis sur les questions culturelles) a publié il y a un petit mois un avis intéressant sur la projection de films dans les "cinémas privés" et les "cinémas publics" (ici). J'avoue regretter de ne pas avoir des bases plus solides en économie pour saisir complètement les affirmations de ce genre d'avis !
— Moggiomardi, août 5 2008
09:35
Disons que par le passé j'ai eu entre les mains et ai consacré du temps à lire et travailler des chapitres des deux manuels de Hal Varian et celui de Jean Tirole. Mon regret est surtout de manquer aujourd'hui de temps pour m'y replonger et perdre ainsi en pratique. Merci pour votre conseil pour le livre de Luís Cabral.
— Moggiojeudi, septembre 4 2008
22:14
Heu... le mauvais temps pourrait être une variable explicative satisfaisante (il m'a dissuadé 2 fois d'y aller, mais je ne constitue pas une statistique), non ?
— Cimonjeudi, septembre 11 2008
22:02
@Cimon : Il serait amusant de faire une petite étude économétrique sur la fréquentation des salles de cinéma en fonction, entre autres, des variables de climat que sont par exemple le niveau de température, le taux d'humidité, le degré d'ensoleillement, etc. Les salles sont peut-être, toutes choses égales par ailleurs, plus fréquentées lorsque le temps est au froid ou lorsqu'il faut très chaud (par exemple, je crois qu'il y a eu un pic de fréquentation pendant la canicule d'août 2003, sachant que la plupart des salles sont climatisées).
— Moggio