Revenant sur mon précédent billet, j'ai l'impression de ne pas assez avoir souligné la répartition des rôles dans un oligopole à frange, structure qui me semble assez bien décrire le secteur des jeux vidéos.

Dans ce type de structure de marché, le rôle de l'oligopole central est de faire passer à l'échelle industrielle les idées surgies de la frange. En d'autres termes, de repérer les recettes qui fonctionnent et de les exploiter de manière la plus large (ampleur des projets) et profonde (suites, déclinaisons, produits dérivés) possible. Dans le cas des jeux vidéos de ce type, qui nécessitent des budgets comparables à ceux d'un long-métrage, cela passe par une anticipation correcte des représentations du public potentiel, qui est aussi le public associé traditionnellement au produit concerné. Plus encore, c'est à ce niveau qu'on a observer les stratégies les plus agressives de segmentation du marché, destinées à augmenter les revenus tirés de ce cœur de cible, quitte à ne pas vouloir ratisser plus large.

C'est de type de stratégie marketing qu'observe Denis, avec une sorte de course en avant sur la représentation sexiste, s'adressant à un public supposé masculin en sexuellement un tantinet frustré (ce qui, ex post, est autoréalisateur).

Dit autrement, le mode de fonctionnement de l'oligopole est d'amasser, à l'aide d'idées établies, des rentes qui permettront de racheter les bonnes idées émergeant du terrain d'expérimentation qu'est la frange.

Rechercher l'innovation (ici, la sortie des clichés sexistes) dans les produits de l'oligopole est donc faire dès le départ fausse route. L'innovation n'est pas la compétence première de l'oligopole, et certainement pas son avantage comparatif. Chercher une évolution dans ce domaine, c'est donc être sûr de ne pas la trouver.

Si innovation il doit y avoir, elle se trouve, nous dit la théorie économique de ces industries, dans la frange. Quelle est cette frange ? En l'état, on la trouve probablement dans les myriades d'applications et de jeux sur téléphones portables ou sur réseaux sociaux (PloumVille, CastleBidule, MachinQuest). C'est en effet là que les coûts d'entrée sont les moins élevés, où peuvent se déployer les essais de modèles d'innovation par rapport à l'oligopole.

Justement, il me semble avoir relevé, au fil de mes lectures, que le sex ratio sur ces jeux était souvent proche de la parité. Il existe donc, pour ces jeux, une demande féminine solvable (Zynga), et qui a été dûment valorisée comme telle par le marché.

Tout cela me conduit à maintenir la conclusion de mon billet précédent : il faut bien préciser de quoi on parle. Il existe une demande féminine solvable pour des jeux vidéos, demande qui a été repérée et exploitée, prenant la forme d'un type particulier de jeux (dérivations de Sim City, avec une dimension sociale).

Ce que cherche Denis, ce ne sont donc pas des jeux vidéos destinés à un public féminin, mais des adaptations gender-neutral de jeux sont le public est masculin. Et là je persiste à penser que s'ils n'existent pas, c'est parce qu'il n'y a pas de demande solvable pour ce type de jeux (rappelons qu'il s'agit de jeux qui ne sont rentables qu'à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires).

Je souligne que je ne dis pas qu'un FPS attirant un public féminin ne peut pas exister. En revanche, je pense pouvoir dire qu'un FPS attirant largement un public féminin sera très significativement différent des FPS actuels, comportant une innovation majeure. Innovation qui n'a pas été réalisée pour l'instant.

Pour aller un peu plus loin et enfoncer le clou, je suis bien convaincu qu'il est difficile de faire de la bonne économie des secteurs culturels sans en comprendre la sociologie. Mais la réciproque est également vraie, et je regrette qu'une mauvaise connaissance du fonctionnement économique du secteur puisse conduire Denis à chercher l'innovation là où elle ne peut pas être.