C'est presque une évidence de dire que le fabricant d'un produit a intérêt à ce que les compléments de son produit soient vendus de la manière la plus concurrentielle possible : moins l'essence est chère, plus il se vend de voiture, moins la musique est chère, plus il se vend de lecteurs de musique (coucou Apple). De ce fait, on observe régulièrement des entreprises (parfois bien connues pour leurs pratiques anti-concurrentielles sur leur marché principal) agir pour augmenter la concurrence sur le marché des biens complémentaires. Dont acte de la part de Google.

Que vend Google ? S'arrêter à la vente d'espaces publicitaires, qui génère l'essentiel de ses revenus, serait passer à côté du problème. D'autres annuaires et moteurs de recherche ont les mêmes espaces, mais bien moins d'utilisateurs. Les utilisateurs, de leur côté, achètent (à prix nul) à Google un service de tri de l'information. Le cœur de Google est donc, à l'heure actuelle, là. Pour être complet, il faut sans doute ajouter les autres services déployés par Google ces dernières années, qui proposent d'organiser l'information privée (mails, photos, documents) et plus seulement l'information publiée sur le Web.

Quels sont les compléments de Google ?

D'un côté, il y a l'information elle-même : plus il y a d'information, plus il est difficile de faire un tri manuel, et plus le service de Google est rentable. Parallèlement, plus il y a d'information, plus le gain à y accéder pour le consommateur augmente. Bref, Google a intérêt à l'augmentation de l'information disponible. D'où YouTube, Picasa ou Knol : le but de ces opérations n'est pas forcément qu'elles soient rentables en soi, mais que leur existence augmente l'intérêt du service de recherche (et, dans les trois cas, puisse servir de laboratoire à de nouvelles méthodes de recherche d'information, permettant de faire des recherches plus fines ou sur autre chose que du texte). D'où aussi Goggle books, évidemment.

De l'autre côté, il y a tout le soft et hardware permettant de faire tourner un navigateur. Côté hardware, Microsoft a depuis longtemps fait le nécessaire pour qu'il existe un environnement concurrentiel sur le marché des PC : le faible prix de vente des machines fut leur stratégie principale face à des paquet machine+OS du type proposé par Apple, Atari, Thomson ou Sun. Reste le software, et justement, Microsoft. Cette dernière entreprise détient une position de quasi-monopole qui nuit à Google par deux voies. La première, directe, est le renchérissement du paquet ordinateur+software (puisque c'est du soft dont Microsoft tire ses rentes de monopole). La seconde est le comportement technologique propre au monopole, qui, faute de pression concurrentielle, peut perdurer même en ayant raté un train (Bill Gates ne croyait pas à Internet, ce qui explique le retard chronique d'Internet Explorer en la matière) et la tentation toujours présente de verrouiller les utilisateurs et surtout l'information dans des formats propriétaires moins transparents aux outils d'indexation de Google.

Les problèmes d'Internet Explorer sont connus : longue histoire de sécurité défaillante, de retards dans l'adoption d'innovations ergonomiques (les onglets, par exemple), instabilité chronique de certaines version, intégration au système qui étendent le problème à la machine entière, support des normes aléatoire et pratiquement en retard sur l'état de l'art. Bref, toutes choses qui dégradent l'intérêt des utilisateurs, et partant l'intérêt porté aux services de Google. Le même argumentaire vaut également pour l'OS, le fonctionnement de Windows n'encourageant pas les bonnes pratiques qui, incidemment, augmenteraient l'efficacité des outils de Google.

Google a donc de bonnes raison de vouloir un marché des navigateurs et des OS plus concurrentiels. Pour ce faire, l'entreprise n'hésite pas a susciter elle-même la concurrence en question. Pour ce faire, nul besoin de chercher à acquérir une part de marché importante : il suffit de mettre la pression, en proposant des innovations qui pourront être reprises par les concurrents de Microsoft les plus rapides (d'où le choix de l'Open Source). Du coup, se focaliser sur la part de marché de Chrome, de Google OS ou d'Android est probablement faire fausse route. Tout ce qu'il faut à Google, c'est que la menace d'une concurrence soit crédible pour générer chez Microsoft (ou la Mozilla Foundation) les réactions qui auront les effets souhaités par Google. Si la menace est crédible dès 5% du marché, l'intérêt pour Google d'aller au-delà est limité.

P.S.: un article de The Economist qui illustre assez bien mon propos. Les adversaires de Google tombent, semble-t-il, dans le piège de faire porter le débat sur la question de la propriété intellectuelle ce qui ouvre un boulevard à Google pour mettre en évidence les tares connues du système. Je crois même qu'ils se trompent plus lourdement encore en croyant que Google veut faire des profits sur la vente des textes numérisés (parce c'est ce que les membre du consortium feraient), alors que Google a probablement intérêt à subventionner peu ou prou la consommation de ces textes pour renforcer son moteur de recherche. Ce qui ouvre une autre voie royale pour Google, qui va s'engager à des conditions d'accès et de consultation bien plus favorable que ce que ses concurrents peuvent promettre ou (quand il s'agit de la BnF, par exemple) tout simplement offrir.