De quoi ça parle ?
Comme son nom l'indique, l'article s'essaye à calculer un niveau optimal de capital pour les banques. L'approche a l'intérêt de prendre le point de vue d'un planificateur social, tout en traitant explicitement des questions centrales du débat : quels sont les gains macro-économiques à un système bancaire plus stable, et quels sont les coûts à augmenter le niveau de capitalisation des banques.
Pour comprendre l'enjeu, il faut partir de l'argument souvent entendu, et mis en avant par les banques, que le capital est cher, et donc que toute augmentation de leur niveau de capitalisation ne passe pas par une augmentation de la masse de capital, mais par une réduction du dénominateur, les actifs des banques, c'est-à-dire moins de crédit octroyés à l'économie (de fait, les principales banques françaises ont utilisé partiellement ce levier dans le cadre de la convergence vers les ratios Bâle III).
Le contre-argument de la littérature est le Théorème de Modigliani-Miller (article original et correctif), qui veut qu'avec des marchés efficients, la structure du capital (actions ou dette) n'ait aucune influence sur le coût total du capital. L'idée centrale du théorème est qu'une augmentation de la part de dette augmente les revenus des actions, mais que la prime de risque supplémentaire demandée du fait d'une structure capitalistique plus risquée annule exactement ce gain.
En pratique, on se doute que le théorème ne tient pas. En effet, on observe empiriquement des divergences entre les rendements relatifs des actions et de la dette et ceux que prévoient le théorème de Modigliani-Miller. Il y a des raisons évidentes à cela, une des principales étant l'imposition : les dividendes versés aux actionnaires sont imposés (au titre de l'impôt sur les sociétés et au titre de l'impôt sur les revenus) tandis que les remboursements de dette sont déduits du résultats, ce qui favorise fortement la dette.
Le principal apport, de l'article est, à mon sens, de fonder sur une série historique longue une estimation de l'effet Modigliani-Miller (ils trouvent un effet de compensation entre 45% et 70% de celui prévu par le théorème), dont ils peuvent déduire une estimation du renchérissement du capital pour les banques.
À cette base, ils ajoutent un modèle simplifié de l'économie, du type de ceux utilisés par le FMI pour calculer l'impact des réformes Bâle III, et trouvent un ratio de capital (au sens Bâle III) de l'ordre de 20% (le seuil Bâle III est de 7%, jusqu'à 10% pour les établissements systémiques), et nettement plus (50%) si on pondère beaucoup les événements extrêmes.
L'intérêt de l'article ne réside pas selon moi dans le niveau absolu de ces chiffres (on ne sait pas à quel point ils sont sensibles, probablement beaucoup, à l'erreur de modèle liée à une modélisation assez élémentaire de l'économie), mais dans l'argument assez solide qu'ils apportent à l'idée que se financer en capital n'est pas aussi coûteux que les banques veulent bien le dire.
J'aurais toutefois deux réserves.
Les coûts de transition
Dans le calcul des coûts des banques à une augmentation du ratio de capitalisation, l'article s'appuie sur un historique, et donc sur des mouvements de ratios de capitalisation de moyen terme, qui ne sont pas séparables de leur conjoncture économique. Ce n'est pas la même chose d'augmenter sa capitalisation en période de croissance et en pleine crise de confiance.
En l'espèce, un passage rapide à un ratio de capitalisation plus élevé des principales banques mondiales signifierait une baisse massive du stock de dette bancaire, et une augmentation tout aussi massive de la demande de capital en actions ou assimilés. En raisons du poids des acteurs en question, nous ne sommes plus dans la configuration de marchés profonds et liquides : l'appétit pour le risque inhérent aux actions bancaires est faible, tandis que celui pour la dette bancaire (qui reste un actif assez peu risqué) reste élevé. Il y a là un effet de conjoncture, mais aussi un effet réglementaire, des réformes comme Solvency II (assurances) ayant réduit les capacités d'investissement en actions des investisseurs ayant la surface nécessaire pour absorber une telle demande de capitaux.
Dans le cadre réglementaire actuel, une augmentation importante du ratio de capitalisation ne pourrait donc se faire que sur une période très longue (sans doute quelque chose comme vingt ans), sauf à vouloir provoquer une contraction du crédit, et pas mal d'effet de bord indésirables (du côté des investisseurs tenus de détenir un stock de dette bien notée).
La question de la taxation
Dans l'article, les auteurs notent que le biais inclus par la taxation des dividendes mais pas de la dette peut être négligé dans la transition dans la mesure où l'État peut retourner aux banques toutes l'augmentation des recettes fiscales liées à l'augmentation de leur stock de capital. En substance, c'est exact, mais l'argument me semble un peu court en termes d'incidence fiscale. Distinguer l'effet de l'augmentation du stock de capital de l'effet du renchérissement du capital paraît ardu en pratique, et relever de l'usine à gaz.
L'alternative est évidemment de prendre le problème à la racine, en ne taxant pas les bénéfices des sociétés mais en intégrant l'ensemble des revenus du capital dans l'impôt sur le revenu. Cela ne résout qu'en partie le problème, puisque la taxation des revenus du capital nouvellement levé induit toujours un biais par rapport à la dette.
Tout cela me fait penser que si l'argument pour un niveau de capitalisation plus élevé des banques se tient (et a beaucoup plus de sens que les réformes de structure du type séparation des activités), il ne faut pas sous-estimer les coûts de transition vers un régime de capitalisation plus élevé. Cela ne peut à mon sens se faire que très progressivement, et dans un contexte macro-économique moins perturbé.