Si je ne suis pas complètement convaincu par l'idée d'une stérilisation de l'innovation matérielle par une régulation assise du un certes fumeux principe de précaution, il me semble qu'il y a quelque chose de pertinent dans l'idée qu'une régulation plus stricte de la production physique par rapport à la production numérique a fourni une incitation à plus d'innovation dans ce dernier domaine. Il me semble effectivement juste que des innovations importantes (moteur à explosion, antibiotiques, pilule contraceptives) ne pourraient que difficilement émerger aujourd'hui, en raison de l'ampleur de leurs effets collatéraux nocifs, en particulier dans les premiers temps de leur utilisation. De ce fait, l'innovation radicale devient plus difficile qu'elle ne l'était dans un environnement où il n'était pas requis de faire la démonstration préalable de l'innocuité d'une nouvelle technologie.
Je suis en revanche assez convaincu par l'idée d'une société devenue collectivement plus averse au risque, du moins dans les pays riches, et qui préfère investir dans des actions de préservation de l'existant et l'innovation incrémentielle que dans l'innovation radicale. Le vieillissement des populations concernés n'est probablement pas étranger à ce déplacement. J'en viens d'ailleurs à me demander si le choix massif de l'austérité dans la crise actuelle ne constitue pas une manifestation majeure de cette aversion au risque, préférant une sûre récession à une possible relance.
5 réactions
1 De Arnaud Spiwack - 27/07/2012, 11:58
Apparemment Peter Thiel a fait le même genre de remarques. Je suis tombé sur des critiques de ce point de vue par Paul Krugman et Matthew Yglesias ce matin (liens en dessous).
Aussi séduisante que soit cette narrative (désolé pour l'anglicisme, mais je cherche toujours une traduction adéquate pour cette notion), je doute qu'elle soit très pertinente, ou particulièrement ancrée dans les faits. Quand on pense droit d'auteurs ou brevets logicielle, on a du mal à dire que le monde du numérique est peu régulé. D'un autre côté, les nouveaux médicaments de mauvaise factures produits de manière régulière par les industries pharmaceutiques semblent prouver que finalement, les instances régulatrices ne sont pas si sévère.
Après, évidemment, tout progrès technologique ne peut s'installer que dans un environement favorable, et c'est un peu difficile de savoir si un produit qui est devenu désormais banal aurait un marché si il était nouveau (sans aller jusqu'à la pillule, on peut penser aux statues grecques, qui, gageons, passeraient pour pornographiques si elles étaient produites de nos jours).
En somme, si on n'a pas de voiture volante aujourd'hui, c'est parce que c'est une mauvaise idée (du moins tant qu'on n'a pas réglé le problème de l'autopilotage dans un milieu encombré). Et ce n'est pas parce qu'on les prédit depuis un siècle que ça devrait en être une. Et les progrès spectaculaires du numériques tiennent probablement d'avantage à sa nature même et à sa relative nouveauté qu'à quelque volonté collective.
Après, le vieillissement de la population a certainement des effets non-triviaux. Mais je ne suis pas convaincu qu'on en ait trouvé un ici (cela dit, pour la crise, ça me paraît assez plausible au moins dans le sens où les jeunes ont beaucoup plus intérêt à la relance que les vieux).
refs:
http://www.slate.com/blogs/moneybox...
http://krugman.blogs.nytimes.com/20...
2 De Mathieu P. - 27/07/2012, 13:29
Ton dernier paragraphe souligne le problème dans l'arbitrage : les gains à un progrès technologique radical mettent une génération à se manifester. Du coup, ceux qui ont payés pour la recherche sont morts, et les bénéficiaires ne sont pas encore nés (et donc ne sont pas représentés au moment du choix).
Sur la différence entre produit matériel et numérique, tu ne peux tout simplement pas vendre un produit matériel se dédouanant de toute responsabilité dans l'utilisation comme le font la quasi-totalité des licences et EULA les plus courants.
3 De Proteos - 27/07/2012, 15:47
Le principe de précaution ne limite sans doute pas les innovations: le monde est devenu suffisamment vaste avec suffisamment de gens bien éduqués. On peut aussi rester sous le radar suffisamment longtemps pour innover peinard.
Il peut par contre décider à qui elles profiteront. En +, ce n'est pas tant que ce soit un principe fumeux, mais plutôt qu'il est facile à dévoyer. Après, avec une bonne campagne de vandalisme, je pense qu'on peut réguler les innovations qui déplaisent.
Le 2e effet est que les innovations subséquentes sont faites ailleurs, tant spatialement que sur les secteurs préférés pour les nouveautés.
4 De Mathieu P. - 27/07/2012, 16:08
Je ne suis pas sûr qu'au nom du principe de précaution tel qu'il est entendu aujourd'hui, il serait possible de faire des expériences à l'échelle d'un pays sur la communication au moyens de rayonnements dont les effets sur la santé sont inconnus (onde hertziennes). Adieu radio, télévision et téléphonie mobile. C'est une des thèses de l'article : la nécessité de rester sous le radar empêche l'innovation à grande échelle.
5 De Proteos - 27/07/2012, 18:43
Jusqu'à présent, il s'est toujours trouvé des endroits pour tester des nouveautés. Depuis le 16e siècle jusqu'au dernier quart du 20e siècle, l'Europe fit partie de ces endroits, alors même que d'autres étaient fermés (Chine, Japon,...). Maintenant, c'est ailleurs: les USA sont toujours partants, il y a la Chine de nouveau & d'autres.
Il n'y a pas que le vieillissement qu'on peut trouver comme raison à l'aversion pour les innovations matérielles en Europe: le fait que l'Europe de l'Ouest soit un espace fort riche ne facilite pas l'envie de tester. Là où il y a une demande de progrès en niveau de vie, les innovations peuvent se répandre. Il n'y a qu'à voir le succès des OGMs en Inde: en 10 ans, les cultivars de cotonniers OGMs ont pris 90% du marché (en superficie semée)