Pour tout dire, c'est l'annonce de la parution de Mainstream sous format numérique qui m'a finalement décidé à le lire. J'ai malheureusement assez vite déchanté à l'usage. j'espère que ce coup de gueule attirera l'attention des auteurs et des éditeurs sur le fait qu'une version électronique d'un livre ne doit pas être un décalque de basse qualité de l'ouvrage papier.

Jusque là tout va bien

Cela commençait plutôt bien : cherchant le livre, je l'ai immédiatement trouvé sur ePagine au prix, fort raisonnable de 7€ (ici), soit moins cher que la version en poche (8,55€ à la Fnac). Surprise toutefois, la version électronique est également présente à la Fnac, mais proposée seulement sur la page de la version brochée et au prix de 14,90€ (ici). Je l'achète donc, et obtiens d'ePagine un lien de téléchargement.

DRM mon amour

L'ouvrage prend, c'était indiqué sur le site d'ePagine, la forme d'un fichier epub, protégé par les DRM Adobe Digital Edition. malheureusement pour moi, Adobe a décidé que le système que j'utilisais (Ubuntu Linux, dernière version et à jour), ne présentait pas les garanties de sécurité suffisantes pour qu'ils permettent d'y utiliser leur logiciel de gestion de bibliothèque, Adobe Digital Reader[1]. Évidemment, ce dernier s'installe sans piper mot sur un ordinateur utilisant Windows XP SP1, vérolé jusqu'à l'os et trou de sécurité ambulant.

Heureusement pour moi, ma liseuse est équipée d'Adobe Reader, qui gère ces DRM, et à une connectique Wi-Fi. J'ai n'ai donc eu qu'à y copier le lien de téléchargement et à m'enregistrer avec mon Adobe ID pour recevoir le fichier. Toutefois, j'ai rapidement constaté que la présence de DRM dégradait nettement mon expérience de lecture. À vrai dire, cela se sent très vite : si le changement d'une page est raisonnablement rapide, la liseuse met une bonne dizaine de seconde à ouvrir la première page de chaque chapitre. Avis au cryptographes : est-il raisonnable d'en déduire que cela correspond au décodage en bloc du chapitre ? Déjà pénible en soi, cela s'ajoute à un comportement étrange, peut-être propre à ma liseuse (mais j'utilise le logiciel d'Adobe, donc lui aussi est en cause) : souvent, en appuyant sur le bouton servant à aller à la page suivante, la diode d'activité s'allume, mais l'affichage reste le même. Nouvel appui, et je me retrouve deux pages plus loin, obligé de revenir une page en arrière. Le problème se corse d'ailleurs à chaque première page de chapitre, où le blocage se produit en direction avant comme arrière, la seule solution pour consulter la page concernée étant de changer la taille des caractères (ce qui permet ensuite de la consulter parfaitement normalement). Cela ne se produisant pas sur les epub sans DRM, je pense pouvoir pointer ceux-ci comme responsables de ces dysfonctionnements.

Un ebook bâclé

Ceci est toutefois secondaire par rapport à la qualité déplorable du fichier epub lui-même. Frédéric Martel faisant un large usage des citations, je me rends vite compte que le typographe électronique a oublié de mettre des espace insécables autour des guillemets. Je me retrouve ainsi à presque chaque page avec des guillemets ouvrants en fin de ligne ou des guillemets fermants en début de ligne. Cela me met la puce à l'oreille : dans l'introduction, je m'étonnais que Martel abuse autant du double point d'interrogation, finissant chacune de ses interrogatives par un ??. Je comprends alors que le point d'interrogation surnuméraire est en fait une espace insécable, mal codée. Le reste de la typographie est à l'avenant : l'usage des petites capitales pour les débuts de partie me gratifie d'un magnifique «  AU CœUR DES ÉCOLES DE CINÉMA AMÉRICAINES »[2]. Plus généralement, tous les noms que Martel a pris soin de retranscrire avec des diacritiques un peu exotiques s'en retrouvent endommagés, par exemple le « sho¯jo manga »[3]. Enfin, si le fichier a bien un sommaire utilisable (encore heureux), la table des matières n'est, elle, pas interactive (c'est-à-dire qu'elle ne permet pas d'aller aux chapitres listés, et comme elle ne donne pas non plus de numéro de page, elle est juste inutile).

Il m'a en outre semblé que l'éditeur aurait pu tirer un minimum partie du format électronique. Pour des raisons de taille, les notes de bas de page de l'ouvrage ont été écartées de la version papier : il faut aller sur le site de Frédéric Martel pour les lire. L'argument de place devenant caduc, on aurait pu imaginer que l'éditeur les réintègre dans la version numérique. Il n'en est rien, pas plus que les termes de l'index ne sont liés à leurs occurrences (ni dans sens ni dans l'autres, d'ailleurs), pas plus que le sommaire numérique ne propose un niveau de détail plus élevé que la table des matière papier (alors que l'organisation de l'ouvrage s'y prêtait, et qu'une telle table détaillée aurait constitué un moyen fort utile de navigation lorsque le format numérique et les DRM — honnis soient-ils — ne permettent pas un feuilletage confortable).

N'eut été l'intérêt du texte de Martel, ces défauts m'auraient fait abandonner la lecture de l'ouvrage. Je ne peux m'empêcher de me sentir passablement floué par Flammarion (qui a peut-être des explications à demander à son prestataire, Meta-systems, dont le site fait très Web 0.99), de me fournir un fichier qui n'est même pas à la hauteur de son équivalent papier. Et je suis également déçu que l'éditeur n'ait pas jugé utile de fournir à ce livre numérique le minimum de fonctionnalités supplémentaires qu'on peut attendre de ce format pour un ouvrage de ce type.

Notes

[1] Note pour les utilisateurs d'Ubuntu : Wine sait faire tourner un Adobe Digital Edition installé sur une partition Windows.

[2] Avec au passage une seconde erreur de typographie, puisque le A initial est aussi en petites capitales, alors qu'il devrait être en capitales normales

[3] Oui, je sais, les macrons,...