La pratique de la détermination des paramètres

En pratique, mon impression est que le système des RWA a été pensé de manière un peu indépendante du contexte pratique de l'octroi des crédits. Quand une banque participe au financement d'un équipement d'importance (une usine Samsung, par exemple), on peut penser qu'elle a accès à une information très importante sur le risque du projet (la PD[1]), les possibilités de récupération en cas de défaut (LGD) ainsi que la somme effectivement engagée (EAD). De fait, dans ce genre de cas, la fiabilité de la maison-mère est déjà estimée par les agences de notations, ce qui fournit un point de référence.

Les choses commencent à se gâter quand on commence à parler de crédits octroyés en beaucoup plus grand nombre à des contreparties sur lesquelles l'information est nettement plus limitée[2]. Il peut s'agit de particuliers souscrivant un crédit pour payer une voiture ou une télévision ou de PME, le problème s'exacerbant dans des pays périphériques ou dans les pays émergents. Ces emprunteurs sont souvent traités au moment de l'octroi par la détermination d'un score de crédit sur la base des informations disponibles, qui les positionnent dans des classes de PD et de LGD pré-définies. La pondération des RWA dépendra donc de manière assez cruciale de la marge de conservatisme prise dans la détermination des PD et LGD, et surtout - point souvent omis par les anglo-saxons - du cadre réglementaire de la contrepartie.

La LGD n'est en effet pas la même dans un système où il est facile de saisir les biens d'un débiteur qui ne paie pas que dans un système où cela prend plusieurs années d'une procédure coûteuse et incertaine. Les subtilités dans la séparation des patrimoines des professions libérales et chefs d'entreprise, au sein d'un couple, etc. ont des conséquences majeures sur l'ampleur de la LGD. La pondération en RW des portefeuilles correspondant dépend ainsi de manière majeure de la répartition des crédits entre les différents systèmes - et encore sous l'hypothèse que les conséquences de ces systèmes soient bien appréhendées, ce qui n'est pas toujours le cas face à un nouveau marché ou un nouveau produit.

Exemple assez caractéristique, les banques françaises ont mis en place un syndicat, Crédit logement, qui récupère et garantit les prêts immobiliers au-dessus d'un certain seuil de qualité. L'existence de cet organisme, combiné à des critères d'octroi très stricts (part de l'apport personnel), fait que le poids des RWA sur les prêts immobiliers des banques françaises est moitié moindre qu'ailleurs en Europe ou aux États-Unis.

Évolution des paramètres

Le simple nombre des crédits et la rareté de l'arrivée des nouvelles informations entraînent une stabilité des évaluations en temps normal, et des dégradations massives en cas de crise. En cas de chute brutale du prix de l'immobilier, la LGD d'un grand nombre de prêts peut ainsi augmenter brutalement, et la PD aussi pour peu que d'autres crédits soient également garantis par la valeur du bien immobilier financé.

La crise a rapidement attiré l'attention des régulateurs sur le fait qu'un calcul des RWA avec des variables instantanées (PD et PGD point-in-time, pit) entraînait une procycliqualité importante des RWA, qui se trouvaient augmenter brutalement au moment même ou des pertes exceptionnelles liées à la crise impactaient les fonds propres des banques, conduisant à un double impact dans un contexte de renchérissement du capital. En conséquence, les régulateurs ont autorisé l'emploi de valeurs "moyenne de cycle" (through the cycle, ttc), destinées à lisser ces chocs et à ne pas fragiliser les banques au plus mauvais moment. Si elle fait sens dans une perspective de gestion de crise, pour éviter un credit crunch brutal, cette option augmente encore plus l'hétérogénéité des pratiques entre banques, et donc entravant la comparabilité des RWA entre elles.

Un outil pour deux objectifs

Les éléments précédents illustrent la tension entre les deux objectifs des RWA. D'une part, ils sont destinés à constituer un outil harmonisé de gestion des risques au sein de banques. C'est en partie à ce titre qu'ils s'appuient sur les grandeurs fondamentale de détermination des risques. D'autre part, ils sont un outil de politique macro-prudentielle, déterminant le niveau de capitalisation des banques tant individuellement que dans leur ensemble.

Dans une perspective de gestion des risques, on aimerait que les RWA suivent bien l'évolution du profil de risque des encours. Dans une perspective macro-prudentielle, il est contre-productif de créer la panique dans le système bancaire face à un trou d'air ponctuel. Une grande part de la régulation des banques consiste ainsi en une suite d'arbitrages dans un sens ou dans un autre, au gré des crises, de l'actualité et de l'impact des contraintes passées.

Naturellement, les options choisies par les régulateurs ne sont pas les mêmes sur chaque point : la Commission européenne n'a pas la même lecture que le Comité de Bâle (au point que ce dernier lui a envoyé un sérieux avertissement dans son analyse de l'application du cadre Bâle III), qui diffère dans d'autres dimensions de la FSA ou du régulateur américain (pour ne pas parler des Japonais).

Tous ces éléments me conduisent à l'idée que les RWA ne sont pas une mauvaise idée en soi, mais qu'ils achoppent sur deux difficultés. La première est l'hétérogénéité du cadre réglementaire, sur lequel je reviendrai dans un futur billet. La seconde est la manière dont des différences légitimes mais peu observables de cadre institutionnel, de politique d'octroi ou de simple composition de portefeuille peuvent expliquer des écarts de pondération considérables - ce qui laisse évidemment une place à un perpétuel soupçon de manipulation difficile à dissiper.

Il serait pourtant dommage, à mon sens, de s'arrêter là et d'abandonner purement et simplement cet outil au profit d'une mesure insensible au risque, tel l'effet de levier. Le noeud du problème réside en effet dans deux effets : le caractère peu satisfaisant en crise d'une approche de type Value at Risk et l'asymétrie d'information. C'est à ces deux éléments que cherchent à répondre les Piliers II et III du cadre bâlois, qui feront l'objet de prochains billets.

Notes

[1] Probabilité de défaut

[2] En particulier dans le cadre français. Aux États-Unis, les particuliers ont un credit rating, et il semblerait qu'il en aille de même en Allemagne.