Les paramètres de crédit

Les RWA correspondant à une exposition sont calculés sur la base des quatre paramètres qui caractérisent une exposition de crédit :

  • L'exposition au défaut (Exposure At Default, EAD), la somme qui est due à la banque en cas de défaut de l'emprunteur;
  • La probabilité de défaut (PD), qui s'estime sur un horizon un an;
  • La perte en cas de défaut (Loss Given Delfault, LGD), qui correspond à la perte effective attendue en cas de défaut, exprimée en pourcentage. Il s'agit de la part de la créance que la vente de collatéraux ou les procédures de recouvrement ne permettront pas de récupérer;
  • La maturité résiduelle (le temps qu'il reste jusqu'à la fin contractuelle du crédit).

Le calcul de chacun de ces éléments comprend son lot de subtilités. Par exemple, l'estimation de l'EAD n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît : en entreprise en difficulté a tendance à tirer autant que possible sur ses lignes de crédit avant de faire défaut. L'EAD sur une telle entreprise peut ainsi être supérieure au montant effectivement dû à la banque au moment du calcul.

Théoriquement, ces éléments doivent être bien connus et modélisés par la banque. Il s'agit des éléments fondamentaux de l'évaluation de son risque. Elle en a donc besoin pour sa propre politique interne, indépendamment des contraintes réglementaires. Cette incitation à avoir des modèles fiables et robustes pour le pilotage de la banque devrait limiter les incitations à distordre l'évaluation de ces grandeurs afin de présenter un meilleur profil : il existe un arbitrage entre maquillage réglementaire et bonne gestion des risques. Toute la question réside dans les coûts (totaux et marginaux) de chacun de ces éléments, j'y reviendrai plus tard.

Supposons donc que nous disposons de paramètres de crédit raisonnablement biens mesurés par la banque.

La formule réglementaire

La formule réglementaire bâloise est alors donnée par :

  • Un coefficient de corrélation R= = 0.12 × (1 – EXP (-50 × PD)) / (1 - EXP(-50)) + 0.24 × (1 - (1 - EXP(-50 × PD))/(1 - EXP(-50))) – 0.04 × (1 – (S-5)/45)
  • Un ajustement de maturité b(PD) = (0.11852-0.05478*log(PD))^2
  • Le RWA = 12.5*EAD*(LGD * N( (1 - R)^-0.5 * G (PD) + (R / (1 - R))^0.5 * G (0.999)) - PD * LGD) * (1 - 1.5 x b(PD))^ (-1) × (1 + (M - 2.5) * b (PD))

où N est une loi normale centrée réduite et G son inverse, et S un paramètre de taille de l'emprunteur. Le facteur 12.5 est là pour ramener le tout à un ratio de capital de 8% (12.5=1/0.08).

Face à cela, il y a deux réactions possibles : se dire que c'est n'importe quoi parce qu'on ne comprend pas, ou se dire que c'est héroïque, parce qu'on ne comprend que trop bien.

Je laisse de côté la première réaction. En effet, quand je lis les critiques du cadre IRB, je lis en sous-texte l'idée que les mesures de capital d'une banque devraient être compréhensibles par le premier venu (ceci dans un cadre américain, ou effectivement le premier venu est amené à investir sa retraite). Cette idée est pour moi à ranger dans la même catégorie que les revendications d'une économie simple et transparente : un reliquat d'une époque où on se faisait beaucoup d'idées sur la capacité de l'intellect humain à saisir des systèmes complexes.

Voyons plutôt la deuxième. Si on laisse de côté le caractère pénible de l'écriture d'équation sans LaTeX, on perçoit assez rapidement[1] ce que la troisième ligne capture : il s'agit de la différence entre les pertes attendues (l'espérance de perte, soit EAD*PD*LGD) et un quantile élevé (99.9%) de la distribution des pertes, en supposant que celles-ci suive une loi normale avec une corrélation (R, entre 12% et 24%) avec les autres expositions.

Conceptuellement, on capture donc là le niveau de pertes tel qui, dans un modèle (dit de Merton) à un facteur systémique, ne se rencontre en moyenne qu'une fois tous les mille ans.

On voit qu'il y a là un mélange assez surprenant de conservatisme et d'optimiste. De conservatisme par le choix d'un quantile très élevé de la distribution. Ce conservatismes aussi dans la limite à la diversification (plancher sur la corrélation) et dans l'obligation de prendre une marge de prudence substantielle dans l'estimation des LGD (downturn LGD, LGD dans un environnement dégradé). D'optimiste par le choix d'une loi normale comme centre du calcul, alors qu'il n'est absolument pas garanti que les défauts suivent une loi normale, en particulier en crise.

Les documents réglementaires ne font cependant pas mystère du fait qu'il s'agit là d'un compromis entre la recherche d'une modélisation du risque de crédit et tout un ensemble de choix empiriques et de contraintes a priori (comme celle de favoriser le passage à l'IRBA tout en obligeant les banques à mettre plus de capital en face des crédits les moins bien notés que dans l'approche Standard) et opérationnelle, qui en font une cote mal taillée.

Le calcul par la méthode avancée des RWA entend ainsi définir une exigence en capital telle que, avec un ratio en capital de 8%, on n'observe une faillite de banque en moyenne tous les mille ans. Manifestement, la pratique ne valide pas cette théorie. Le prochain billet se penchera sur ce qui sépare cette théorie d'avec la pratique.

Note

[1] Ce document permet d'aller plus loin.