Je viens de lire, avec beaucoup de retard, Petite Poucette de Michel Serrres.

Il est difficile de ne pas sympathiser avec le regard affectueux, admiratif et encourageant que le vieil homme jette sur une jeune génération, regard qui contraste si agréablement avecl'aigreur d'autres hommes de son âge (Alain Finkelkraut en est un exemple). Ce d'autant plus que je rejoins à titre personnel beaucoup des idées exprimées dans ce livre sur les transformations individuelles et sociales amenées par la diffusion des technologies de communication en réseau. Comme l'a relevé le collègue qui m'a prêté ce livre (merci Thomas), si l'ouvrage est concis et se lit rapidement, il n'en est pas moins dense en idées, que Serres esquisse plus qu'il ne décrit, sans doute pour que les étapes ne puissent pas faire perdre de vue l’ensemble du parcours.

Pour autant, je ne suis pas complètement convaincu par ce livre. Michel Serres me semble en effet souvent verser dans la généralisation abusive, généralisant à toute une génération la Petite Poucette qu'il observe dans le cercle privilégié d'établissements d'enseignement sélectifs et de quartiers privilégiés. Si une nouvelle relation à la connaissance explique effectivement le chahut de classes des beaux quartiers, Michel Serres ne semble pas avoir mesuré l'ampleur que peut prendre la contestation systématique appuyée non pas sur une information universelle et distribuée, mais sur une restriction de l'information à une poignée de sources partisanes. Même dans un monde idéal où l'information serait librement accessible, l'attention reste une ressource rare, et le choix des sources d'information pertinentes n'est ni inné, ni aisé.

Il y a de plus loin du monde de la communication fluide et instantanée décrit par Serres à l'ensemble de bulles très inégalement poreuses qui constituent les internets actuels. Sur ce point, les constats énoncés par Frédéric Martel dans Smart (note de lecture) écrasent la version idéale de Serres comme le parpaing de la réalité écrase la tartelette aux fraises de nos illusions[1].

Je suis peut-être trop sombre dans ma vision de ce livre. L'effort fait par Serres de comprendre les générations nées à partir des années 1980 mérite qu'on s'y arrête, d'autant plus que ce livre se veut un antidote aux clichés du vau-l'eau et des neiges d'antan. Il s'agit indéniablement d'un livre riche et très agréable à lire. Mais sa musique optimiste ne doit pas faire oublier que l'éducation aux outils du numérique, dont la Petite Poucette de Serres serait un produit presque idéal, ne va pas de soi.

P.S : ce post a été écrit sur tablette dans le train, donc je vois prie d'excuser les nombreuses coquilles.

Note

[1] © @Bouletcorp