Le point sur lequel je rejoins la pétition est l'absence de reconnaissance du doctorat dans les carrières de la fonction publique hors de l'enseignement supérieur. J'en avais moi-même fait l'expérience et cela a été un des facteurs qui m'ont poussé vers un secteur privé reconnaissant mieux l'expérience que représente une thèse.

En revanche, je diverge avec les auteurs dès lors qu'ils réclament un statut dérogatoire des doctorants et docteurs qui enseigneraient dans le secondaire. En effet, le fond de mon argument est que je ne vois pas ce que la recherche aurait de supérieur à d'autres formes de formations continue qui sont très probablement plus utiles à l'exercice de la fonction première d'un enseignant du secondaire : enseigner.

Le premier point qui m'a fait tiquer est l'affirmation "Il est évident que la recherche enrichit l’enseignement.". Quand je faisais ma thèse, on m'a dit que si j'allais écrire il est évident que, je devais reprendre ma phrase : si je dois rappeler quelque chose à mon lecteur, c'est que ce n'est justement pas évident pour lui. De fait, cela n'a pour moi rien d'une évidence, et cette assertion brutale ne fait pas honneur à la rigueur intellectuelle qu'exige une formation à la recherche. L'enseignement secondaire n'est en effet ni un enseignement par ni un enseignement à la recherche. Il a des objectifs, un public et des méthodes différents. Il n'est pas difficile d'ailleurs de pousser l'argument voulant que les années de recherche dégradent les compétences d'enseignement au moins les premières années. Au bout de cinq ans passés à travailler sur un sujet de recherche précis, les souvenirs des cours généralistes sont lointains, ce qui demande un travail supplémentaire par rapport aux collègues qui construisent leurs séquences d'enseignement au sortir de leur M2. L'assertion selon laquelle un docteur est meilleur enseignant d'avoir fait ou de faire la recherche me semble donc sérieusement à étayer : les élèves formés par ces enseignants réussissent-ils mieux que ceux formés par des enseignants au cursus plus classique ? Les suivi de panels de l'Éducation nationale devraient fournir de premiers éléments.

Plus fondamentalement, je suis assez stupéfait du caractère très étroit du point de vue. J'aurais compris, et adhéré, à une pétition demandant une refonde du système profondément dysfonctionnel de la formation continue des enseignants. En revanche, je ne vois absolument pas pourquoi il faudrait faire aux docteurs des aménagements (la pétition réclame des décharges) pour une recherche sans lien évident avec l'enseignement si de même conditions ne sont pas également accordées aux autre formes de formations ou d'initiatives : suivi de cours dans le supérieur (qui permettent plus certainement de nourrir les cours), initiatives pédagogiques en direction de publics spécifiques (dyslexie, dyscalculie), utilisation de supports numériques, modes d'évaluation alternatifs[1]. Il ne pouvait certainement pas échapper aux auteurs de la pétition que dans un contexte budgétaire tendu, tout aménagement signifie un report sur les collègues, qui sont en droit de se demander le bien-fondé de ce report.

Dans la même veine, la pétition "les enseignants-chercheurs du secondaire (...) assurent une partie substantielle des enseignements et des activités de recherche". Ceci est partiellement vrai dans un certain nombre de disciplines des sciences humaines et sociales (et pas toutes, loin s'en faut), et pour ce que j'en sais assez faux dans les filières scientifiques. De fait, en sciences, l'obligation de disposer d'un financement dédié pour faire une thèse limite le nombre de doctorants exerçant dans le secondaire. Comment expliquer que des sociologues et des philosophes puissent être aussi ignorants de la diversité des situations, et surtout que le problème évoqué est d'abord un problème qui leur est spécifique plutôt qu'une faille générale du système français ?

Il me semble également que la question évoquée ne peut pas être approchée indépendamment de deux questions :

  • Dans un contexte où structurellement plus de docteurs soutiennent que de postes de recherche ne sont créés, le peu d'attention porté par les directeurs de recherche aux débouchés des docteurs hors de l'enseignement supérieur. Je vous renvoie à ce sujet aux réflexions de David Monniaux. Cela inclut une réforme des exigences vis-à-vis des thèses de LSH pour qu'elles soient réalisables dans le temps réglementaire de trois ans.
  • L'utilisation des concours de l'enseignement comme un parachute pour faire ou finir sa thèse, ou encore comme solution de repli. En termes d'efficacité, il faudrait qu'il n'y ait en fait de docteurs dans le secondaire que des personnes ayant fait un choix délibéré du secondaire, par goût plutôt que par contrainte ou dépit. Sans cela, toute revendication apparaîtra comme la démonstration d'un désintérêt vis-à-vis de la mission essentielle d'un enseignant du secondaire.

Au final, cette pétition exprime une absence de remise en cause des dysfonctionnement dont les auteurs sont les premières victimes, et des revendications qui, loin d'y porter remède, seraient de nature à renforcer des aspects pervers du fonctionnement de la recherche en LSH.

Ajout (2014-11-04) : l'équipe d'Aggiornamento Histoire-Géo a également réagi à cette pétition, voir chez médiapart.

Note

[1] Sur tous ces sujets, suivre @Celia Guerrieri