Faut-il autoriser la publicité pour les livres à la télévision ?
Dans un article du 18 mars dernier dans Le Monde, Arash Derambarsh (éditions du Cherche-Midi) propose de reprendre le débat sur la publicité pour les livres sur les chaînes hertziennes. En l'état de la législation, cette publicité est interdite. Elle a été autorisée sur les chaînes en accès payant, apparemment sans que l'expérience soit très convaincante.
Les fondamentaux de ce débat sont connus[1] : la publicité pour les livres à la télévision pourrait attirer plus de lecteurs, en particulier les grands consommateurs de télévision (on parle souvent des jeunes, mais il semblerait que les gros consommateurs de télévision soient surtout des seniors), mais le coût d'une publicité est hors de portée des petites maisons d'éditions, et cette publicité risquerait avant tout de renforcer la concentration des ventes sur quelques best-sellers.
Arash Derambarsh ne revient pas vraiment sur ces points. Il part du constat du recul des émissions littéraires à la télévision et propose que soit programmée à leur place de la publicité. Et, pour contrer les critiques ci-dessus, pas n'importe comment : sous la forme d'un quota partagé entre les éditeurs. De la publicité gratuite, en somme, ce qui au prix actuel des écrans publicitaires représente une coquette subvention du budget de promotion de l'édition par les chaînes concernées.
À tout le moins, je suis étonné par cette proposition. Il ne me semble pas évident qu'il s'agisse là d'une manière efficace d'attirer de nouveaux lecteurs. Mon intuition est qu'on assisterait à un déplacement de la demande vers la poignée de titres mis en avant, ce qui va à l'encontre de l'objectif culturel poursuivi. Ensuite, je vois mal pourquoi ce serait aux chaînes de télévision de financer le secteur de l'édition par le biais d'une subvention de ce type. S'il y a lieu de soutenir les petits éditeurs (ce qui en soi n'a rien d'évident), il est certainement plus efficace de le faire directement par le biais d'un transfert direct de fonds publics, ou indirectement, par la programmation sur les chaînes de services public d'émissions littéraires de qualité, qui auraient un objectif plus ambitieux que faire vendre des livres (en remettant aussi en valeur des textes du domaine public, par exemple).
Par ailleurs, mes recherches sur le marché du livre (voir mon second chapitre de thèse) suggèrent qu'augmenter la publicité pour les livres est de nature à nuire à la fois aux libraires, à la diversité et à la qualité de l'appariement entre lecteurs et titres. Il s'agit là de ma part d'une extrapolation des résultats du modèle, le motif de promotion n'étant pas (encore) explicitement présent, mais l'intuition tirée du modèle est qu'une réduction de l'incertitude sur le devenir d'un titre conduit à des stratégies de prix plus agressives qui nuisent à tous les autres titres.
Comme Françoise Benhamou, il me semble donc que la publicité pour le livre à la télévision est une fausse bonne idée, et qu'elle devient clairement une mauvaise idée quant elle fait l'objet comme ici d'une revendication de subvention publique.
Publié le mercredi, avril 6 2011, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
samedi, avril 30 2011
13:34
Il y a quand même quelques incohérence dans cette loi.
Elle a été voté pour que la publicité pour les livres ne favorise pas la vente de livre déjà "best sellers".
Mais l'essence même de la publicité télévisuelle favorise les produits des grosses entreprises, alors pourquoi l'interdire uniquement pour le livre?
Par exemple, les pubs pour CDs musicaux vues à la télévision ne favorisent-elles pas uniquement les gros éditeurs, ou les disques déjà best-sellers? Pourtant il nous paraîtrait improbable de voir les publicités musicales supprimées. Idem pour les spectacles, et tout les autres produits culturels.
Mais la publicité télévisuelle ne pourrait elle pas, dans un premier temps, amener les gens à lire, à leur apprendre à aimer la lecture?
Après avoir lu un best seller, un roman policier par exemple, si l'expérience lui fut positive, ne cherchera t'il pas à renouveler cette expérience, en cherchant à nouveau un roman policier, dont l'intrigue lui paraîtra plus intéressante, qu'il s'agisse d'un best seller ou non?
Un mélomane peut se forger une véritable culture musicale en partant de titres commerciaux. En tentant de chercher à chaque fois un artiste plus intéressant musicalement que le précédant, il va petit à petit découvrir de nouveaux artistes, peut être moins connus, mais qui répondent mieux à sa culture musicale de plus en plus développée. Il en est de même pour un lecteur.
— Samuel Msamedi, avril 30 2011
16:20
@Samuel M : Je suis très sensible à votre commentaire, qu'il s'agisse de la spécificité supposée du livre relativement à tout autre bien produit à grande échelle, qu'il soit culturel ou non, ou du caractère possiblement favorable car moteur de la lecture initiale de livres à forte vente. Mon point de vue sur cette question trouve son origine dans ce que j'ai pu lire chez le chercheur en gestion au CNRS Thomas Paris au sujet du prix unique du livre. Une des raisons de son succès chez les "acteurs de la chaîne du livre" serait que la réglementation, par son caractère tout à fait exceptionnel dans notre économie de marché, vient les conforter dans leur avis selon lequel le livre ne serait pas un bien (économique) comme les autres. J'ai tendance à penser que c'est la même chose pour l'interdiction de la publicité du livre à la télévision, d'où une explication possible au lobbying qui a dû avoir lieu à l'époque auprès des pouvoirs publics pour obtenir l'interdiction.
— Moggiodimanche, mai 1 2011
10:43
Si je ne me trompe pas, il s'agit, comme dans le cas des quotas radiophoniques, d'une loi dont la motivation a changé au cours du temps.
Dans le cas des quotas radiophoniques, il s'agissait à l'origine de favoriser la chanson française, sur la base d'arguments de défense et de supériorité de la culture française face à l'américanisation des esprits. Ce genre d'arguments nationalistes passant de mode, on lit aujourd'hui qu'il s'agit de favoriser la diversité (toujours face à la menace supposée d'une uniformisation américaine).
Dans le cas de la publicité pour les livres à la télévision, la loi remonte à une période où l'édition se portait plutôt bien (donc avait les moyens de faire de la publicité) tandis que la presse souffrait beaucoup de la concurrence avec les nouveaux médias de l'époque : la radio et la télévision. L'interdiction de la publicité pour les livres à la télévision avait ainsi pour objectif de réserver ces recettes publicitaires à la presse écrite. C'est en cours de route qu'on essayé de trouver d'autres vertus à cette restriction, afin de la faire accepter aux éditeurs eux-mêmes comme quelque chose dans leur propre intérêt.
— Mathieu P.