Quotas de diffusion
Un lecteur m'a signalé il y a quelques temps un article paru dans Les Échos concernant les quotas de musique francophone à la radio. Un article similaire dans Le Monde, dont j'ai malheureusement, perdu la référence, semble indiquer que le sujet devrait revenir rapidement (une fois, j'imagine, que sera retombée la poussière au sujet du prix unique du livre).
Rappel des faits : depuis 1996 (et plus précisément cette loi), les radios musicales doivent consacrer une part minimale de leur temps d'antenne aux chansons francophones (Céline Dion entre donc dans le quota, mais pas Daft Punk), cette part étant de 60%, ou 40% si la moitié des chansons sont de nouvelles productions[1].
L'Observatoire de la musique se félicite régulièrement de ce que cette mesure a augmenté la part des chansons francophones dans l'offre musicale. Ce résultat n'est pas allé sans douleur : les radios n'ont obtempéré que sous la menace de sanctions du CSA, qui distribue régulièrement des rappels à l'ordre.
La mise en place de cette règle a vu s'affronter deux visions de l'offre culturelle. La première veut que l'effet négatif pour les radios d'une telle mesure soit transitoire : les goûts des consommateurs étant essentiellement forgés par ce qui leur est proposé à la radio, une plus forte diffusion de morceaux francophones devait leur apprendre rapidement à apprécier les morceaux en français et à les écarter des morceaux étrangers, essentiellement en langue anglaise. La seconde veut que le programme optimal des radios procède de goûts des consommateurs, goûts peu malléables et donc que l'effet négatif était de nature à perdurer. La régularité des rappels à l'ordre par le CSA et maintenant cette offensive des radios suggère que la seconde vision décrit mieux ce marché et que la demande est moins malléable qu'on l'a un temps pensé.
À la lecture de l'article, je remarque que certaines propositions d'assouplissement des radios reviennent essentiellement à une officialisation des pratiques de contournement des quotas dénoncées par les éditeurs de musique : calcul sur une base annuelle (ce qui permet de remplir le quota sur les périodes de moindre écoute), par exemple. Le calcul par groupe en revanche peut avoir un sens si le grouype comprend des radios dédiées à la chanson française, qui seraient structurellement au-dessus du quota.
Je me réjouis que la discussion sur les mérites des quotas s'articule autour de la question de la diversité. Heritiana Ranaivoson[2] a en effet montré qu'il existait une forte présomption que ces quotas ont réduit la diversité de l'offre musicale des radios. Observant les taux de rotation (nombre de fois où un morceau donné est diffusé), il remarque que ces taux ont augmenté au point où, à temps constant dédié à la musique, le nombre de chansons a dû diminuer, ceci valant tant pour les chansons françaises qu'étrangères. Partant de cette observation, j'ai montré dans le second chapitre de ma thèse[3] que des quotas pourraient avoir un tel effet si les radios maximisent leur audience et si les consommateurs sont rigides dans leurs goûts. Une ré-évaluation de l'effet de ces quotas paraît donc une bonne idée ainsi qu'une réflexion un peu plus large sur la manière de favoriser la diversité de la programmation musicale à la radio.
Je pense que ce sujet reviendra sur la table avec la question de l'application de ces quotas aux webradios et autres acteurs en ligne.
Notes
[1] On imagine bien que Radio Nostalgie va opter pour la première possibilité et NRJ pour la seconde.
[2] Diversité de la production et structure de marché. Le cas de l'industrie musicale, http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00258246/en/
[3] "Radio competition and programming diversity", http://www.pse.ens.fr/junior/perona/WP/Perona-radios-extensions.pdf
Publié le dimanche, avril 3 2011, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
lundi, avril 4 2011
13:41
L'article du Monde est peut-être celui-là ? : http://www.lemonde.fr/idees/article...
Sur les quotas radio, au départ, j'ai l'impression qu'il s'agissait surtout de faire du "patriotisme culturel" en utilisant la puissance coercitive des pouvoirs publics pour empêcher les programmateurs privés de programmer selon leurs préférences. La question de la diversité culturelle semble être arrivée après (jeunes talents).
— Moggiolundi, avril 4 2011
15:28
Oui, c'est bien de cet article dont il s'agit.
De fait, le passage de l'argument nationaliste « Défense de la Culture Française » à l'argument « Promotion de la Diversité » est symptomatique du glissement de la politique culturelle, où le terme de diversité constitue un motif plus consensuel pour continuer à faire les mêmes choses. Il s'agit d'un glissement bien analysé par Françoise Benhamou dans Les Dérèglements de l'exception culturelle (Paris, Seuil, 2006, ISBN : 978-2020818445).
— Mathieu P.mardi, avril 5 2011
18:49
Je suis assez agacé par la proportion de chansons anglophones qu'on nous diffuse sur les radios françaises, même sur les radios publiques. Même sur France Inter, on a plus de chansons en anglais que de chansons en français ! On se croirait sur la BBC ! J'envoie parfois un petit commentaire critique (très modéré, je vous rassure) sur les pages des émissions pour lesquelles on peut laisser une réaction, mais mon message n'est généralement pas publié par les modérateurs. Les journalistes n'apprécient apparemment la liberté d'expression que lorsqu'elle n'est pas critique envers leurs émissions !
Je me demande quelle est la raison de cette proportion de chansons anglophones. J'ai du mal à croire que la raison en soit la demande des auditeurs. N'y aurait-il pas d'autres raisons, financières, ou autres ?
Qu'on ne nous passe pas que de la chanson francophone, par ouverture à une certaine diversité, pourquoi pas. C'est bien de sortir un peu de son monde. Mais on pourrait quand même avoir une majorité de chansons en français. Marre de ne pas comprendre les paroles ! En outre, la proportion restante de chansons non francophones ne devrait pas se concentrer sur la chanson anglophone. Aucune des langues étrangères ne devraient représenter plus de, par exemple, cinq pour cent des chansons. Qu'on ne nous passe pas que des chansons en français, soit ! Mais alors passez-nous des chansons en espagnol, chinois, mahori... Marre des chansons en anglais.
— Explosermardi, avril 5 2011
21:16
Exploser : il faut croire que vous n'êtes pas représentatif des goûts de la majorité de l'auditoire. Car si on peut imaginer qu'il y ait des relations entre radios et éditeurs de musique qui biaisent la programmation (voir cet article - lors d'une émission de Masse Critique, Pascal Nègre a formellement démenti l'existence de telles pratiques en France. On peut ne pas vouloir le croire sur parole, mais il y a lieu de penser que si le phénomène existe, il est de peu d'ampleur), on devrait observer un écart massif entre la programmation des radios et les ventes de disques. Or, les deux sont proches, ce qui rejette cette hypothèse. On est donc fondé à croire que si la chanson anglo-saxonne domine, c'est qu'elle correspond effectivement à ce que les auditeurs ont envie d'entendre, ou à tout le moins ce qu'ils pensent vouloir que les radios diffusent.
Sinon, pourquoi avoir une majorité de chansons en français ? D'un point de vue un peu extérieur, le français n'a pas plus de mérite que l'anglais, l'allemand, l'espagnol ou le japonais. Comme on le faisait remarquer plus haut, l'argument paternaliste est faible, et celui sur la diversité recommande d'abord l'abandon des quotas, donc à l'opposé de ce que vous suggérez. Si on sort un peu de notre Hexagone, on se rend d'ailleurs compte qu'au niveau mondial, l'audience de la musique produite par un PIB est à peu près proportionnelle au PIB du pays en question, ce qui semble assez logique, avec l'idée qu'une part comparable du PIB finance la création musicale dans chaque pays. Ce point est démontré par Ferreira, F. & Waldfogel, J., "Pop Internationalism: Has A Half Century of World Music Trade Displaced Local Culture?" 2010, accessible ici, qui relève en outre que la part des chansons produites aux États-Unis est plus faible que ne le voudrait son PIB (à rebours donc de l'idée d'une hégémonie) et que de nombreux pays présentent un biais domestique très fort, ce qui peut s'expliquer par l'existence de quotas.
Si on en croit mon modèle, c'est précisément à cause des quotas de chanson française que la musique non-anglophone n'est pas programmée sur les radios grand public, l'obligation de programmer des chansons françaises monopolisant l'intégralité de la prise de risque que peuvent supporter ces radios.
Enfin, vous noterez, et c'est un argument important, qu'un quota de cinq pour cent de chaque langue n'aurait pas de sens s'il était appliqué radio par radio : il n'existe probablement pas de rap maori ou de country vietnamienne. De tels seuils n'auraient un sens qu'au niveau de l'ensemble des programmes, et reposeraient sur l'existence de radios de niche... que les quotas rendent impossibles (non, il n'y a pas d'équivalent français de la J-Pop). Il faudrait d'ailleurs commencer par se demander si cela à tout simplement un sens d'imposer de telles contraintes aux radios commerciales, et si l'outil pertinent ne serait pas d'offrir la diversité jugée optimale par le service public, laissant le secteur privé faire ce qu'il veut et les auditeurs décider. C'est le parti qui a été d'ailleurs pris en matière de musique savante, avec la coexistence de Radio Classique et de France Musique.
En relisant votre message, je me pose d'ailleurs une question : si vous voulez entendre essentiellement de la chanson française, il y a au moins une radio qui ne diffuse que ça. Pourquoi alors vouloir imposer vos goûts aux auditeurs des autres radios, puisqu'il en existe une qui devrait vous convenir sur ce point ?
— Mathieu P.mardi, avril 5 2011
23:42
"une réflexion un peu plus large sur la manière de favoriser la diversité de la programmation musicale à la radio"
Je dois être un peu concon, mais pourquoi faudrait-il favoriser la "diversité" ? On peut me répondre que c'est une fin en soi, dans lequel cas c'est peu discutable ; mais j'imagine que ce n'est pas la réponse standard, que c'est un moyen.
Mais je n'arrive tout simplement pas à comprendre un moyen pour quoi ? Développer l'emploi dans le secteur de la musique ? Rendre le public plus cultivé ? En fait, je ne pige tout simplement pas.
Alors, la diversité, fin en soi ou moyen vers un autre objectif ?
— Le concombre masquémercredi, avril 6 2011
09:39
Concombre masqué : vous n'êtes pas con-con, loin de là. L'idée selon laquelle la diversité constitue pratiquement une fin en soi est si ancrée dans le milieu de l'économie de la culture que j'ai vu se lever des yeux au ciel lorsque j'ai fait remarquer au cours d'une conférence que cela n'allait pas de soi. Il a fallu que je rappelle que dans d'autres champs (organisation industrielle, par exemple), on ne manque pas de cas où le marché peut produire trop de diversité.
Pour comprendre cet accent sur la diversité, il faut je crois remonter de deux côtés. Du côté de l'économie de la culture, le rôle central de la maladie des coûts de Baumol incite à penser que laissé à lui-même, le marché va produire trop peu de diversité et se concentrer sur les produits les plus populaires, au détriment des contenus de niche (souvent abusivement considérés comme culturellement plus exigeants ou intéressants). L'analyse des médias, née des articles de Steiner 1952 (Steiner, P., "Program Patterns and Preferences and the Workability on Competition in Radio Broadcasting", Quaterly Journal of Economics, 1952, 66, 194 - 223, sur JStor) et de Beebe 1977 (Beebe, J. H., "Institutional Structure and Program Choices in Television Markets", The Quaterly Journal of Economics, 1977, 91, 15-37, sur JStor), renforce cette présomption. De ce fait, l'économie de la culture part volontiers de l'idée que la diversité fournie (ou consommée) est inférieure à l'optimum social et donc que toute mesure augmentant la diversité constitue un pas vers une meilleure allocation des ressources. Après, il existe une vaste littérature théorique et empirique visant à montrer qu'un environnement culturel plus divers a des effets bénéfiques non seulement sur la production de contenus culturels mais aussi sur l'innovation en général, sur le lien social ou sur le sentiment subjectif de bien-être.
Du côté de la politique publique, le on peut se référer à l'ouvrage Les Dérèglements de l'exception culturelle de Françoise Benhamou pour comprendre comment l'argument de diversité issu de l'économie de la culture a été récupéré et recyclé pour justifier des politiques culturelles protectionnistes au moment où la construction européenne et l'ouverture aux cultures extra-européennes rendait difficilement tenables les arguments identitaires fondant originellement l'exception culturelle à la française.
Votre question est donc parfaitement pertinente mais il s'agit d'un sujet qui n'est abordé dans le milieu de l'économie de la culture qu'avec beaucoup de prudence dans la mesure où toute réflexion sur le sujet est ressentie comme une menace du côté des institutions culturelles. C'est un des points où l'économie de la culture se retrouve inconfortablement à cheval entre son environnement scientifique, l'économie en général étant assez agnostique sur le sujet, et son environnement social (cultural economists are often also cultured economists, ainsi que le dit David Throsby), celui des intellectuels et des artistes où la qualité culturelle d'un bien est souvent considérée comme inversement proportionnelle à son succès commercial (et donc où les contenus marginaux ou de niche, essentiels dans la question de la diversité, bénéficient d'un a priori positif quant à leur valeur culturelle). Il y a de bons arguments économiques en faveur de la diversité mais leur mise en avant se fait au risque de perdre de vue les arguments extra-économiques reposant sur des notions de valeur culturelle.
— Mathieu P.lundi, juin 20 2011
11:19
D'après La Tribune et Le Figaro Économie de ce matin, le CSA s'apprêterait à "durcir les quotas de diffusion des chansons françaises" pour les radios musicales, "l'industrie musicale" estimant que ces dernières les "détournent", d'où sa demande de durcissement auprès du CSA. Il semble que ce dernier va bientôt y répondre favorablement. "Furieux", plusieurs groupes radiophoniques se sont insurgés, parlent de "mise sous tutelle des musicales par l'industrie musicale" et renvoient la balle de "l'appauvrissement de la production francophone [...] à l'édition et à la production musicale" avec les baisses depuis dix ans de la production d'albums, de celle des singles et du nombre d'artistes commercialisés, cela en "dépit des considérables aides publiques et parapubliques à la production dont bénéficie la filière du disque".
— Moggiolundi, juillet 11 2011
16:45
La querelle continue, avec les mêmes arguments de part et d'autre : voir cet article du Monde.
— Mathieu P.dimanche, avril 29 2012
19:27
Les radios jeunes qui diffusent une grande majorité de titres en anglais et qui se font régulièrement rappeler à l'ordre par les CSA sont,à mon avis,sous la pression financière des majors anglo-saxonnes et des sondages qui leur servent au calcul du prix des spots de pub.NRJ spécialement ne respecte pas les quotas.
— RAPOUNET