Société Générale : des occasions manquées

Un aphorisme fréquent en entreprise dit qu'on entre dans une entreprise pour son projet, et qu'on la quitte à cause de son manager. Ceux qui ont suivi mon parcours savent que la première partie est fausse en ce qui me concerne. La deuxième est en partie vraie, toutefois. Non que j'ai à me plaindre de mon management direct, j'ai eu beaucoup de chance à ce niveau-là, mais très clairement une ambiance générale de management a fortement contribué à mon départ.

Pour rappel, j'avais pris en 2014 la responsabilité de l'équipe Méthodes de Pilotage, département du Suivi transversal des risques (aujourd'hui Enterprise Risk Management), direction des Risques de la Société Générale. Petite équipe, formée de quatre personnes, elle était dédiée à la conception des modèles et méthodes de stress-test et de pilotage des risques. À vrai dire, les choses auraient pu mieux commencer pour cette équipe : d'orientation résolument quantitative, elle a été dès sa création transférée du service de modélisation vers le service de pilotage, pour des raisons qui n'ont jamais été très claires (et que je soupçonne d'être des raisons d'équilibre en nombre de personnes dans les sous-services). Nous nous sommes donc retrouvés coupés de la communauté des modélisateurs centraux auxquels nous appartenions par nos fonctions.

Les problèmes n'ont cependant vraiment commencé qu'en 2016, avec le stress-test EBA. Il est en effet apparu à ce moment que nous n'étions pas outillés pour répondre avec le degré de granularité demandé par l'EBA. Ce n'était pas faute d'avoir averti du problème, mais la mise en place de solutions est arrivée beaucoup trop tardivement, et avec un budget inadéquat. Faute de volonté managériale d'assumer cette situation, nous nous sommes retrouvés avec mon équipe (ainsi que l'équipe voisine et les développeurs chargés en urgence de nous construire une solution) à faire des horaires indécents pour des tâches qui ne relevaient ni vraiment de nos mission, ni de celles où nous apportions une vraie valeur ajoutée. Le fait que personne dans aucune des trois équipes ne soit parti en burn-out, malgré des impacts très réels sur la vie personnelle des uns et des autres, témoigne de la haute qualité des personnes et de l'ampleur de leur engagement.

Cette crise a révélé pour moi une disposition du management de l'époque à sacrifier une équipe plutôt que d'assumer une incapacité à faire dans des conditions et un niveau d'exigence raisonnables et, à un plus haut niveau de management, une volonté déclarée de limiter les investissements en outils informatique tant que l'humain restait une ressource abondante.

Deuxième déconvenue, un ancien manager m'a à un moment fortement démarché pour me proposer un poste à l'étranger. Il se trouvait que cela m'aurait à l'époque beaucoup tenté et que ma situation de famille me le permettait. Tout devait se faire vite, les RH étaient censément OK, puis plus de nouvelles. Silence face à mes relances par mail, tentatives de m'éviter lors d'un événement corporate, jusqu'à ce que je coince la personne. Pour m'entendre dire, sans un mot d'excuse, que c'est tombé à l'eau pour une question de coût, qui était pourtant la première question que j'avais posée aux uns et aux autres trois mois plus tôt.

Troisième déconvenue, liée à la première, le non-traitement de certaines de mes alertes. Le contexte est celui du développement d'une nouvelle norme comptable, IFRS-9, qui implique de calculer les provisions pour le risque de crédit selon des méthodes proches de celles utilisées pour les stress-tests. Pendant deux ans, j'ai averti qu'il ne serait possible de réaliser des stress-tests dans cet environnement que si cette fonction était incluse dès le départ comme un prérequis dans le développement des modèles et des infrastructures informatiques. Deux ans de on verra plus tard et de non prioritaire dans le budget. Je voyais donc arriver avec une certaine appréhension l'exercice EBA 2018, premier à se dérouler en utilisant cette norme.

Enfin, j'avais préparé une mobilité interne (preuve que je n'avais pas perdu confiance dans l'entreprise), vers la direction de l'innovation. Tout était prêt en février, mais mon management ne voulait pas me voir partir avant novembre, comptant probablement sur moi pour limiter la casse sur le stress EBA.

Prise du virage

C'est dans ce contexte que je tombe par hasard (et sur LinkedIn) sur une annonce de poste correspondant à peu près à ce que j'avais profondément envie de faire : du support et de la diffusion de la recherche en économie. L'Observatoire du Bien-être du CEPREMAP cherchait un nouveau coordinateur, poste qui au vu de mon profil et de ce que je proposais a été amélioré en directeur exécutif. Les entretiens se passent bien, et j'y trouve la confirmation qu'il s'agit de ce dont j'ai besoin à ce moment de ma trajectoire : des sujets à impact social clair, un contact étroit avec de la recherche, beaucoup d'autonomie et une orientation vers la diffusion large, ainsi qu'un meilleur équilibre des temps de vie. Je présente donc ma démission.

Et là, la SG me surprend. En bien. Alors que j'attendais un accueil quelque peu froid de la nouvelle, les personnes les plus directement concernées (mon équipe, évidemment, mais aussi ma manger directe ainsi que ma responsable RH) m'ont félicité et se sont sincèrement réjouies de me voir trouver un poste qui me correspond de manière aussi évidente, et cela même quand cela les mettait dans des positions quelque peu difficiles pour l'année à venir.

Il y a probablement de nombreuses leçons à tirer de cette trajectoire. Je vous passe les plus banales, voulant qu'il faut toujours être en veille pour les opportunités, ou celles qui apparaissent évidentes après coup, comme le fait que je n'aurais pas dû me laisser faire lors du stress EBA et poser les conditions pour un travail bien fait. Ce que je retiens plutôt, c'est la grande décorrélation qui peut exister entre les qualités professionnelles et humaines des collaborateurs d'une structure, et le manque d'efficacité et d'humanité de cette même structure qui, par un jeu d'incitations qu'il n'est pas très difficile d'identifier, conduit à un usage clairement sous-optimal de ses ressources internes. Et je sais, pour en avoir pas mal discuté, que le problème n'est propre ni à la SG, ni même au secteur bancaire en général.

Avec le recul, j'aurai probablement encore pas mal de choses à dire sur ce que j'ai vécu dans le monde bancaire. Si j'ai un peu de temps, il y aura donc quelques billets à ce sujet sur ce blog, avant que ce que j'ai pu apprendre ne soit complètement périmé. En attendant, je vous invite à suivre mes nouvelles activités sur Twitter, le site de l'Observatoire et son blog.