Disclaimer : Je vais parler d'une observation personnelle, et pas d'un fait stylisé. Tout ce que je vais dire ici relève donc probablement de la généralisation abusive. Ce que j'ai observé, en quelques mots, est qu'il existe dans certaines très grandes entreprises françaises des gains de productivité et d'emploi significatifs. J'ai donc travaillé pendant quelques années dans une grande banque française. J'en retiens, pour cette discussion, deux éléments :

  1. les systèmes d'information auquel j'ai été confronté ne permettent que marginalement de bénéficier de l'évolution technologique des dix dernières années
  2. l'organisation de ces entreprises pèse sur leur efficacité.

La malédiction des systèmes d'information

Le premier constat est que les systèmes d'information y étaient dans un état calamiteux, tant en termes d'interconnexion que de qualité de données - et les collaborateurs venus d'autres banques nous disaient que ce n'était général dans le secteur. L'empilement de systèmes vieux de plusieurs générations, construits pour répondre exclusivement à des besoins comptables ou réglementaire, limitait énormément ce qui pouvait être envisagé en termes d'utilisation un peu avancée des données.

Une conséquence est que les fonctions support (Risques, Finances en premier lieu) emploient des effectifs considérables à résoudre des problèmes de cohérence des données entre systèmes, et à produire des reportings et tableaux de bord qui pourraient être générés automatiquement si les systèmes étaient meilleurs. Il ne faut pas y voir un avantage en termes d'emploi : sur le papier, les collaborateurs affectés à ces tâches sont censés accomplir des tâches à plus fort contenu cognitif : analyser ces éléments pour repérer risques et opportunités, donner le contexte au management en vie d'informer la prise de décision. De fait, ils n'ont pas le temps de le faire, et accomplissent des volumes horaires très importants sur des tâches à faible contenu.

Il faut être conscient à ce niveau que même si un big bang des systèmes d'information intervenait demain, ses effets ne s'en feraient pas sentir avant une dizaine d'années. Les données existantes sont pour la plupart peu réutilisables, car correspondant étroitement à des catégories réglementaires en forme de lit de Procuste, et sans possibilité d'appariement, par exemple pour évaluer un couple risque (systèmes Risques) / rendement (systèmes Finance). Avec des cycles de crédit d'une dizaine d'années, il faudrait compter à cet horizon avant d'obtenir des modèles tant soit peu robustes.

Le système de management

C'est une chose de dire que les grandes entreprises françaises sont très pyramidales, avec une structure managériale très lourde. C'est, je pense, autre chose de le vivre. Quelques éléments stylisés :

  • En réunion, la configuration la plus fréquente est que ceux qui ont l'information pertinente ne sont pas là, mais représentés par des managers briefés à la hâte (le manque de temps pour acquérir et transmettre l'information est chronique), ce qui fait que ceux qui ont le pouvoir de décider ne sont pas convenablement informés.
  • Globalement, une part significative des cadres intermédiaires voit les méthodes quantitatives comme une menace à leur capital humain, fondé sur les relations interpersonnelles et l'expérience. Ils entretiennent donc une relation conflictuelle avec la technologie, oscillant entre le rejet et la baguette magique.
  • La nature du feedback entre deux équipes de services différents est déterminée essentiellement par le poids politique interne des responsables des services concernés. Il est très difficile de critiquer, fût-ce constructivement, un service dirigé par un responsable qui a l'oreille du niveau supérieur.

Tout cela pour dire que nous sommes probablement fort loin de la frontière d'efficience en ce qui concerne ces entreprises, et qu'il y a de la place pour du progrès - que personnellement, je verrais par le remplacement progressif de ces entreprises par de nouveaux acteurs gérés différemment.