Étudier et travailler
Les articles le suggèrent et c'est également ce qui ressort de mon expérience de chargé de TD à Paris 1 puis à SciencesPo : le système universitaire français n'est pas conçu pour que les étudiants exercent parallèlement une activité salariée. À l'Université, la faible charge horaire pourrait laisser penser le contraire. C'est oublier que pour être utile, une heure de présence en cours se prépare (une heure) et se révise (une heure aussi). Cela fait des semaines chargées, et toute activité professionnelle se ferait au détriment du travail attendu. À force de compensations, il est possible de passer de justesse un semestre ou deux, puis vient l'heure où les lacunes d'accumulent.
Cette caractéristique, que je crois partagée par l'immense majorité des systèmes d'enseignement supérieur hors filières en alternance, ne serait pas un problème si l'interruption provisoire de la formation initiale n'était pas vue avec suspicion. Contrairement à d'autres pays où quelques années de travail servent à épargner pour aller ensuite suivre un premier ou un second cycle, il est exceptionnel en France de reprendre ses études une fois sur le marché du travail. La rigidité de celui-ci, ainsi que la plus-value aléatoire des formations accessibles en reprises d'études, contribuent certainement à ce phénomène. Réciproquement, je ne crois pas qu'il soit facile d'emprunter pour financer ses études en France - alors que nombre d'études (dont une à laquelle j'ai contribué) démontrent le rendement des années d'enseignement supérieur en termes de revenus et de chômage.
Le Logement
Point central à mon avis de l'étude de l'UNEF relayée par Le Monde, est le poids prépondérant des dépenses de logement. C'est à mon sens doublement dommageable. Cela nuit aux étudiants, qui se trouvent contraints soit à une situation financière délicate, soit à abandonner les filières visées au profit d'établissement plus proches. Cela nuit au système d'enseignement supérieur, qui pallie le problème par un maillage serré du territoire par des établissements trop petits pour constituer en leur sein des équipes de recherches viables.
Bien évidemment, une solution au problème serait le logement étudiant, mais celui-ci se heurte au triple écueil des voisins potentiels (et de fait, les résidences étudiantes sont rarement un voisinage idéal), des petits établissements et du prix du fonciers en centre-ville, où sont encore localisées de nombreuses universités.
La concentration des moyens
Sut Twitter, @baroquefatigue m'a fait remarquer qu'une filière présente un coût nettement inférieurs aux budgets-types présentés : les classes préparatoires. Nombre de celles-ci sont en effet dotés d'internats pratiquant des tarifs modiques, et de fait, je ne serais pas étonné que les prépas présentent le taux le plus élevés d'étudiants logés par le système scolaire lui-même. Certes, et je lui ai répondu en ce sens, il s'agit d'une élite. Il m'est seulement revenu en tête plus tard que j'entendais des rumeurs persistantes sur la difficultés de certaines prépas, pourtant dotées de débouchés honorables, à recruter (il s'agit essentiellement de prépas scientifiques). Il y a sans doute là une niche possible pour les étudiants sérieux et modestes.
Prendre le problème à l'envers
En bon économiste, je me suis alors demandé s'il ne faudrait pas prendre le problème initial à l'envers. À savoir : on part de l'idée que les étudiants travaillent pour financier leurs études. Hors, médecine excepté, les étudiants qui travaillent le moins (au sens du taux de salariat) sont dans les filières les mieux dotées en débouchés (prépas, IUT, IEP, etc.). C'est évidemment lié au nombre d'heures de cours, plus élevé dans ces filières. Mais je ne suis pas certain que le lien causal sont seulement dans la direction de plus d'heures => pas le temps de travailler. Il me semble possible de défendre l'idée qu'une partie du taux de salariat dans les filières universitaires procède de l'impression (fausse) qu'il est assez facile de faire ses études et d'avoir une activité salariée à la fois. En conséquence, une augmentation de la charge horaire dans les premiers cycles pourrait présenter à la fois l'effet direct de mieux rendre compte de la quantité de temps à dédier aux études en plus de l'effet direct sur la formation des étudiants.
Quelqu'un a une expériences naturelle (augmentation du nombre d'heures dans une formation) et un doctorant sous la main ?
P.S. : Je prie mes lecteurs de mettre sur le compte de l'heure tardive le côté très décousu de ce billet.
Mise à jour : on me signale ce matin (26/08/2012) un article de Médiapart intitulé qui démonte les chiffres de l'UNEF. Cela ne modifie pas je crois ce que je disais dans ce billet, où je ne commente pas les chiffres en question.
4 réactions
1 De Fabrice_BM - 26/08/2012, 02:18
Le ministère:
"À la rentrée 2011, 79 800 étudiants sont inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles (C.P.G.E.)"
Peut-on vraiment parler "d'élite" ?
Je peux en effet te confirmer que les prépas ont du mal à recruter et qu'il y a des fermetures de classes régulièrement.
2 De jmdesp - 28/08/2012, 10:52
Sur le point des établissements trop petits pour constituer en leur sein des équipes de recherches viables, Bouba-Olga a publié plusieurs articles solides tendant à montrer qu'on raconte pour beaucoup à peu près n'importe quoi concernant la taille indispensable des unités de recherche.
Comme ici :
http://blogs.univ-poitiers.fr/o-bou...
"La production scientifique se déconcentre en France, mais la production scientifique de qualité se déconcentre encore plus vite"
http://blogs.univ-poitiers.fr/o-bou...
"jusqu’à preuve du contraire, tout semble indiquer que la masse critique nécessaire à la réalisation d’une recherche de qualité s’établit très précisément à 1. C’était d’ailleurs exactement l’effectif des spécialistes de théorie physique au bureau des brevets de Berne en 1905" Albert Einstein déjà à l'époque disposait du courrier pour échanger avec les meilleurs spécialistes, et ne s'en privait pas.
Pour autant je ne dis pas qu'il n'y a pas non plus un problème d'efficacité économique à construire des universités trop petites, comme ça arrive en PACA. Et qu'il n'y a pas non plus certains domaines où les équipements techniques nécessaires ne se rentabilisent qu'avec pas mal de chercheurs.
3 De Mathieu P. - 28/08/2012, 11:59
Oui, il y a eu beaucoup de discussions sur le sujet. L'exemple d'Einstein est la tarte à la crème du débat : il reflète un fonctionnement de la science qui ne correspond plus à son fonctionnement actuel, et est à mon avis sans pertinence. La question est en fait très différente selon les disciplines. Dans les domaines scientifiques et théoriques, l'existence de communautés et de ressources en ligne pallie l'isolement. En lettres, la plupart chercheurs ayant une production sérieuse se retrouvent à la Bibliothèque nationale de France, seul fonds suffisant pour leurs besoins (ce qui casse de fait la géographie des équipes, et recentre l'activité de recherche sur Paris où habitent souvent ceux qui le peuvent).
Sur l'étude citée en lien, je suis mal à l'aise avec le biais d'endogénéité. En effet, l'affectation des enseignants-chercheurs n'est pas sans frictions. Typiquement, les jeunes chercheurs se retrouvent souvent ailleurs que dans l'établissement maximisant leur productivité scientifique. Ils ont alors une incitation forte à produire beaucoup pour obtenir une mutation ou passer leur HdR pour pouvoir bouger. En supposant que la plupart voudraient retourner sur Paris (tant pour les raisons ci-dessus que pour des raison de compatibilité avec le travail de leurs conjoints), la productivité hors Paris serait tirée par des gens qui veulent quitter la région où les a envoyés leur première affectation. Il me semble donc indispensable, dans ce genre d'évaluation, de prendre en compte les dynamiques de carrière et non seulement une image statique.
Toutefois, mon point portait plus sur l'enseignement que sur la recherche. Une petite université ne peut pas offrir la palette de formations que peut proposer une université plus grande : pas assez d'étudiants pour offrir des formations plus innovantes, expérimentales ou simplement diversifiées. Cela se fait au détriment des étudiants coincés dans des formations qui ne leurs conviennent pas vraiment. Après, il serait possible d'imaginer des petites universités concentrées sur une formation où une filière particulière, où elles excelleraient. Mais cela suppose résolu le problème initial, celui du coût de la mobilité des étudiants.
4 De Michaël Malter - 30/08/2012, 12:35
J'ai vécu cela. Mon expérience ne reflète évidemment que mon petit cas personnel.
J'ai commencé par une prépa et il m'a fallu emprunter pour payer la première année. J'avais dans l'idée qu'il serait plus aisé de rembourser plus tard, la prépa étant décrite à priori comme un enfer qui ne laisse pas une minute de répit.
Je me suis bien vite rendu compte qu'il n'était pas envisageable d'accéder aux formations les plus prestigieuses en exerçant une activité salariée. Je me suis donc tourné vers l'université. Ce fût extrêmement difficile et la combinaison des deux activités vaut largement n'importe quelle prépa en terme de charge de travail. J'étais épuisé. Il est toujours possible de réviser ses cours et de faire des exercices. Par contre, rien n'est plus difficile dans ces conditions de faire preuve d'imagination, de créativité, d'intelligence. Je n'ai retrouvé cela que bien plus tard. À ces niveaux de qualification et vu le vide intersidéral des CV étudiants, le travail n'est alors qu'une tâche souvent répétitive, toujours abrutissante.
Je reste heureux de mes années passées à l'université. Il eût été impossible pour moi de poursuivre des études supérieurs si le nombre d'heures avait été plus élevé. Est-ce un mal? En assouplissant les contraintes budgétaires des étudiants, ils travailleront naturellement moins. J'ai évidemment rencontré sur mon parcours des étudiants salariés qui n'avaient pas réellement le besoin de travailler. Ils sont adultes et responsables : libre à eux de se saborder.
Dans les esprits, l'étudiant à l'université reste un glandeur invétéré. C'est très triste.