Dans le contexte d'une polarisation croissante de la vie politique aux États-Unis, cet ouvrage arrive comme un fort utile retour au réel. Exploitant plus d'un demi-siècle de sondages d'opinion ainsi qu'une enquête inédite de leur cru, les auteurs démontrent l'existence d'un fossé entre les termes du débat politiques et les positions des citoyens américains.

La thèse essentielle des auteurs est qu'une solide majorité des américains est à la fois conservatrice, c'est-à-dire attachée aux libertés individuelles, pensant qu'un certain niveau d'inégalité est nécessaire au bon fonctionnement de la société et sceptique sur l'intervention publique, et pragmatiquement libérale (au sens américain), c'est-à-dire très favorable et prête à financer les coûteux programme permettant une réelle égalité des chances.

Ils démontrent ainsi que si le concept de lutte des classes est inopérant dans les représentations des américains, ceux-ci sont en revanche à la fois informés et sensible au niveau d'inégalité de revenu et de richesse dans le pays. Alors qu'ils expriment un support massif dans l'idée que l'inégalité des revenus est la conséquence logique de l'inégalité des efforts et des talents, ils estiment tout aussi massivement, y compris les Républicains, que le niveau actuel d'inégalité est tel qu'il décourage plus qu'il n'encourage et devient de ce fait une négation du rêve américain.

Le même type de position à deux faces se retrouve dans le domaine de la taxation, de l'éducation ou de la sécurité sociale : à la fois un attachement de principe à la responsabilité individuelle et un recours pragmatique à la progressivité de l'impôt, au service public d'éducation et à l'intervention de l'État pour assurer l'égalité des chances, en particulier en direction des plus défavorisés.

Les auteurs expliquent l'écart entre leurs résultats et le débat public américain par le poids disproportionné joué par les franges extrémistes (tant chez les Démocrates que chez les Républicains) dans la désignation des candidats, tant au niveau local que national ou fédéral. La primaire républicaine pour les élections présidentielles de 2012 semble leur donner amplement raison.

Si l'adhésion fondamentale du public américain à la liberté individuelle n'est naturellement pas transposable au cas français, cet ouvrage pousse en revanche à s'interroger sur l'existence en France d'un divorce de ce type entre les représentations du débat politique et la position de la majorité des citoyens. La polarisation du débat sur des questions mineures, comme l'immigration ou les délocalisation, plutôt que sur des questions majeures, comme la croissance ou l'éducation, constitue un élément assez probant en ce sens.