L'essentiel de ce qui me fait réagir tient en ce paragraphe :
La transaction consistait à échanger la dette grecque, libellée en dollars et en yens, en euros en utilisant un taux de change fictif permettant de réduire l'endettement de 2 %, affirment les anciens officiels hellènes. Mais, comme le reconnaît Sardelis, ses services n'étaient pas équipés pour comprendre la complexité du contrat signé avec Goldman Sachs en juin 2001.
On peut certes discuter l'intérêt pour un pays ou une collectivité d'avoir recours à un swap. On peut regretter que les termes du swap en question aient, avec le recul, été particulièrement mal choisis. Mais ce qui est proprement effarant dans ce paragraphe est l'idée qu'un service gouvernemental spécialisé dans la gestion de la dette publique, auteur par ailleurs de savantes manœuvre de comptabilité créative, n'ait pas eu les compétences pour comprendre les risques posés par un swap.
Il s'agit en effet d'un des produits dérivés les plus simples, au point qu'il sert de point d'entrée à bien des cours sur le sujet. L'agence gérant la dette publique grecque n'aurait donc eu dans ses rangs personne ayant suivi ne serait-ce qu'un M1 de finance ? À en croire C. Sardelis, c'est bien le cas.
Imaginons ce cela soit vrai : ça signifierait que cette agence (et au prix d'une généralisation sans doute pas abusive à ce point) ne disposait pas des compétences élémentaires pour l'exécution de sa mission fondamentale. Autant donner le bâton aux plus féroces critiques du pays, qui peignent son administration comme une structure pléthorique peuplée à force de clientélisme, qu'on ne pourra réformer qu'en mettant l'intégralité du pays sous tutelle. Loin d'incriminer Goldman Sachs, il s'agit avant tout d'une déclaration dévastatrice quant on s'interroge sur la simple capacité de la Grèce à mener à bien des réformes élémentaires. Admettre une part de la corruption et un maquillage des comptes aurait sans doute été moins coûteux à l'extérieur, et sans doute aussi à l'intérieur (les Grecs sont sans illusions sur la moralité de leur classe politique).
Pourquoi, à votre avis, C. Sarledis a-t-il choisi la ligne de défense la plus à même de resserrer l'étau sur son pays ?
5 réactions
1 De alexandre delaigue - 12/03/2012, 19:31
La première chose à faire est de ne pas lire Marc Roche sur les questions de finance.
http://www.bloomberg.com/news/2012-...
2 De Mathieu P. - 12/03/2012, 21:21
Merci pour le lien vers l'article plus détaillé. Cependant, la question reste entière à mon sens : un swap de taux de change est un produit de base (« vanille »). Celui-ci a l'air un peu plus compliqué, mais rien que les tout frais diplômés d'un Master finances qu'on recrute ne sachent calculer. Cela reste difficilement compréhensible d'imaginer que pas une personne dans l'équipe de Sardelis n'avait ce genre de compétences.
Ce que l'article de Blommberg laisse entendre, c'est en fait qu'il savaient qu'ils prenaient de gros risques, et qu'ils l'ont fait car cela leur permettait de rentrer dans les clous pour l'entrée dans la zone euro. Le fait même de prendre un structuré dont les conditions sont tenues secrètes est à ce titre suspect pour un État. L'incompétence reste donc une mauvaise excuse, qui peut avoir des externalités appréciables sur l'image du pays (« Non seulement ils sont tricheurs, mais en plus ils mentent en se disant incompétents, ce qui en plus pourrait bien être vrai »).
3 De jmdesp - 13/03/2012, 09:01
Je vois 2 hypothèses :
- ils sont *vraiment* incompétents :-)
- empêcher/retarder le fait que les gens ne regardent de plus près l'aspect corruption est leur priorité absolue au dépend de quoi que ce soit d'autre, y compris de l’intérêt du pays => ils sont mouillés jusqu'au coup dedans
4 De alexandre delaigue - 13/03/2012, 18:58
Ce swap était particulièrement compliqué. Voir quelques détails dans l'article qui en avait révélé la teneur:
http://www.risk.net/risk-magazine/f...
Utilisation d'un taux de change hors marché avec règles assez complexes de progression, tranches de paiement... c'était une première, même pour Goldman Sachs. C'est le précurseur des dérivés de crédits par tranches qui allaient se développer par la suite. Je ne serai pas du tout surpris que le gouvernement grec n'ai pas eu de personnel capable d'en calculer réellement le coût.
Cela dit, cela reste d'une grande naiveté. La règle de base, c'est que quand on ne comprend pas ce qu'on achète, on n'achète pas. Je pense que le gouvernement grec avait tellement envie de réussir son passage à l'euro qu'il n'était guère incité à aller chercher trop loin.
Mais surtout je ne comprends pas la question. Le gouvernement grec a le choix entre dire 1- nous avons sciemment, avec le concours de Goldman, truqué nos comptes pour dissimuler de la dette en abusant de la réglementation, afin de réussir le passage à l'euro et 2-Goldman nous a fourgué un swap incompréhensible et très coûteux, nous avons cru de bonne foi qu'il était avantageux. La seconde possibilité est nettement moins dévastatrice que la première...
5 De Mathieu P. - 13/03/2012, 21:26
La question est : on sait que les Grecs ont triché pour rentrer dans l'euro. Ce n'est un scoop pour personne, et le coût à l'admettre est à peu près nul. En revanche, le coût à dire qu'ils sont en plus incompétents est fort, puisque cela signifie que le seul moyen de sortir le pays de l'ornière est de le mettre sous tutelle intégrale.