L'ouvrage s'articule en trois chapitres principaux. Le premier est dédié une description de la manière dont les technologies de l'information et de la communication sont en mesure de remplacer des humains dans des tâches dont on ne les aurait pas crues capables il y a encore dix ans. Le second s'attache à lier ce remplacement au niveau élevé du chômage aux États-Unis et à la stagnation du salaire médian. Le troisième propose des pistes pour sortir d'une situation où une part importante de la population active est en concurrence avec l'automatisation.

Positionnement

Face au problème de la stagnation des revenus et du chômage, les auteurs se positionnent à l'opposé de la thèse de la stagnation, défendue par exemple par Tyler Cowen et en surplomb des explications liées à l'augmentation des inégalités dont Krugman est un des porte-parole les plus en vue. Là où Cowen argumente que la morosité économique est liée à un effet de rendements décroissants de la technologie, les auteurs avancent qu'au contraire elle procède de l'accélération de ce progrès et tout particulièrement dans les technologie de l'information et de la communication, qui constituent un élément universel des processus de production.

Leur objectif est donc de montrer que le problème vient de ce que le rythme d'évolution des personnes et des organisations a été dépassé par celui de la technologie, conduisant à une situation où des gains importants sont intégralement capturés par le faible nombre de ceux qui ont réussi à suivre le rythme, concepteurs ou propriétaires de ces nouveaux moyens de production. Dans la mesure où il serait illusoire, et contre-productif, de vouloir freiner une révolution technologique en marche, les auteurs avancent que la solution passe par la remise en mouvement d'une société devenue trop immobile.

I, Robot

Le premier chapitre pourrait, et c'est délibéré de la part des auteurs, figurer en bonne place parmi les essais catastrophistes de remplacement de l'humanité par des robots. Le fil rouge du chapitre est un conte indien qui raconte que l'inventeur du jeu d'échec demanda à être payé de la manière suivante : un grain de riz sur la première case de l'échiquier, deux sur la seconde, quatre sur la troisième et ainsi de suite en doublant à chaque case. Ce n'est qu'arrivé qu'à la moitié de l'échiquier que le souverain se rendit compte que la somme demandée dépassait toutes les richesses de son royaume.

Il s'agit là d'une illustration classique de la progression géométrique, ou exponentielle : au départ, elle est proche de la familière progression linéraire, puis diverge de manière de plus en plus spectaculaire. Depuis ses débuts, l'informatique a suivi une progression de ce type, le phénomène le plus connu étant la loi de Moore[1]. L'argument des auteurs est que nous n'arrivons qu'à peine à la moitié de l'échiquier et donc que les progrès les plus importants de cette technologie sont encore à venir et arriveront beaucoup plus vite que nos esprits, habitués à une progression linéaire, ne l'anticipent.

Ils illustrent leur propos d'exemples visant à montrer comment les ordinateurs sont parvenus à accomplir des tâches dont on les pensait il y a peu de temps encore incapables. Ils décrivent ainsi la manière dont Google a fait circuler pratiquement sans intervention humaine une flotte de dix-sept Prius dans des conditions de circulation réelles pendant plus de six mois et pour un total de 230000 kilomètres sans accident notable[2], ainsi que le Projet Watson qui effectue des traductions automatisées de messages instantanées pour les services de support technique.

De manière moins anecdotique, ils insistent sur la manière dont des machines ont rapidement remplacé vendeurs, caissiers et conseillers dans une large part des activités de contact. Il devient en outre évident que ce remplacement va prochainement toucher des professions plus qualifiées. Les documentalistes sont en première ligne face aux moteurs de recherche; les auteurs citent également les jeunes juristes, employés en masse dans le système anglo-saxon pour la recherche des textes de lois applicables et de la jurisprudence, qui sont porgressivement remplacés par des moteurs de recherche branchés sur des bases de données de textes juridiques.

Dans l'ensemble, j'ai trouvé convaincante la thèse de ce premier chapitre. Il est fort possible que nous ne soyons qu'au début des applications de ces technologies et que très rapidement leurs nouvelles applications nous semblent aussi incroyables que peut l'être un smartphone à la génération de nos grands-parents.

Seconde partie

Notes

[1] Celle-ci connaît plusieurs formulation, dont la plus simple, à défaut d'être la plus exacte, est que la vitesse des microprocesseurs double tous les dix-huit mois.

[2] En fait, le seul accident est dû à un conducteur humain venu rentrer dans l'arrière d'un des véhicules alors que celui-ci s'arrêtait à un feu rouge.