Mon premier point est qu'il existe une assez vaste littérature, datant d'avant ou d'autour de 1999, vantant les mérites de la banque universelle, par opposition à la séparation alors en vigueur aux États-Unis. Pour ce que j'ai pu en voir, cette littérature tourne autour de deux thèmes majeurs. Le premier est que les crises répétées des caisses d'épargne américaines dans les années 1980 et 1990, caisses elles-mêmes autorisées pour faire face à la frilosité des banques en matières de prêts immobiliers, semblaient indiquer que la séparation entre banque d'affaires et banques de détail ne protégeait ni les petits épargnants, ni les contribuables. Le second est que les modèles de banque universelle en vigueur aux États-Unis et en Allemagne semblaient beaucoup plus performants pour le financement des entreprises, ayant en particulier la capacité de permettre le passage de la PME à l'entreprise de taille nationale ainsi que le financement des grandes entreprises, marche difficile à franchir lorsqu'il faut passer d'un système (le financement par une banque de détail) à un autre (le financement par banque d'affaires).
La nouveauté dans le débat par rapport à son état de 1999 est l'émergence du concept de too big to fail, qui dénote le fait que certaines banques sont si importantes pour le fonctionnement de l'économie qu'elles ont une quasi-assurance que l'État viendra à leur secours si elles sont en difficulté, ce qui les incite à une prise de risque excessive. L'importance données à cet argument aujourd'hui me semble mettre dans l'ombre l'argument inverse : la faible taille des banques américaines sous la législation de séparation les rendait très fragile à un choc local ou sectoriel, et requérait de fait soit l'intervention publique, soit de tolérer à chaque crise économique la ruine des clients de ses banques. Cette partie du débat se résoudrait alors dans un arbitrage fort insatisfaisant entre payer beaucoup et rarement ou payer peu mais souvent.
Mon deuxième point est que la fonction essentielle d'une banque est de créer de la liquidité. Un banque effectue essentiellement de la transformation : elle transforme de dépôts liquides (car retirables à la demande) en des prêts illiquides. Par construction, cela conduit à une structure de capital fragile, vulnérable à un bank run (tous les épargnants veulent retirer leurs dépôts en même temps) ou à un assèchement des marchés de liquidité : face à une forte demande de retrait, une banque peut, en temps normal, emprunter des liquidités sur les marchés en offrant la valeur des remboursements futurs de ses prêts comme garantie. C'est sur ce dernier point qu'il faut insister : par construction, toute banque va avoir là un contact avec les marchés financiers. La question est alors de savoir à quel point il faut qu'une banque soit totalement dépendante d'autres acteurs pour cet accès à la liquidité ou à quel point elle doit être en mesure de générer elle-même sa propre liquidité en intervenant des deux côtés de ces marchés. Cette question est essentielle dans la conjoncture actuelle, où les banques françaises, suite aux inquiétudes sur le traitement de la dette grecques, on vu se tarir brièvement l'accès aux marchés de liquidités américaines (nécessaires, par exemple, pour payer des fournisseurs qui veulent être réglés en dollars).
Ce problème me semble en fait largement orthogonal à la question de la séparation : une crise de liquidité peut se produire dès lors qu'existe un doute sur la valeur du capital d'une banque, qu'il s'agisse de prêts immobiliers ou d'une structure de capital plus complexe.
Mon troisième point est un appel à faire attention aux ordres de grandeur. Je lis régulièrement des accusations voulant que les banques jouent avec leur capital et avec l'argent des petits épargnants, souvent en face d'une perte importante comme celle qui vient de toucher UBS. Si l'expression conjure celle de l'homme ruiné par le jeu, il faut rappeler que ces pertes, exceptionnelles (celle d'UBS entre directement n°2 dans l'histoire des pertes réalisées frauduleusement par un trader), elles sont de l'ordre de grandeur d'une année de bénéfices de la banque concernée. En d'autres termes, rien qui ne puisse être épongé par une année sans dividendes aux actionnaires.
Mon quatrième point est une mise en garde. Plus encore que dans mes fonctions précédentes, je suis frappé par l'incompétence, quand ce n'est pas l'ignorance crasse, de nombreux commentateurs, fussent-ils eux-mêmes acteurs dans le domaine de la finance. Il faut donc, plus encore qu'ailleurs, se garder des simplifications et remonter aux sources. On ne peut, semble-t-il, pas faire confiance aux journalistes sur ce point. Ainsi, je me suis rendu compte en documentant ce billet que le rapport Vickers, réputé dans toute la presse préconiser une séparation entra banque d'affaires et banque de détails, ne recommande en fait qu'une séparation fonctionnelle en filiales à l'intérieur des groupes, soit quelque chose fort éloigné d'une séparation à la Glass-Steagall et pas si éloigné de la structure actuelle des banques européennes.
3 réactions
1 De Gizmo - 24/09/2011, 18:39
"Mon deuxième point est que la fonction essentielle d'une banque est de créer de la liquidité. Un[e] banque effectue essentiellement de la transformation : elle transforme de[s] dépôts liquides (car retirables à la demande) en des prêts illiquides. "
L'enchaînement des deux phrases montre l'incohérence : à proprement parler, la fonction de transformation consiste à transformer des actifs illiquides (/longs/risqués/contenant de l'information privée) en passifs liquides (courts/à faible risque). Même si l'intuition de la vulgate amène à écrire le contraire...
2 De Mathieu P. - 25/09/2011, 12:01
I beg to disagree : si les déposant devaient allouer leur épargne directement aux investisseurs, ils seraient contraints d'avoir une épargne très illiquide. Pour les épargnants donc, le recours au système bancaire crée donc bel et bien de la liquidité.
3 De Malou13100 - 08/03/2013, 13:28
Il y a une sérieuse faute d'orthographe à corriger pour donner plus de crédibilité à votre article.
Les banqu (ent)...
Arrgh, et dire que cette faute a traîné des mois. Merci, c'est corrigé.